CARITAS.

Au Dr Viaud-Grand-Marais.

Dans une chambre obscure, au troisième étage
D'une maison vouée au culte de Vénus,

Une fille qui fut bien plus belle que sage,
Se mourait, n'ayant pas dix-neuf ans révolus.
Le mal avait creusé sa joue et sa poitrine,
Etendu sur sa lèvre une teinte opaline,
Et d'une fièvre lente allumé, dans ses yeux,
Des éclairs fugitifs comme ceux de la lampe
Dont la faible clarté tremblotait sur la rampe
Du rapide escalier de ce logis honteux.
Souvent une toux sèche empourprait sa figure
Par des efforts suivis d'une affreuse pâleur,
Et son front se couvrait d'une froide sueur
Qu'elle essuyait avec un mouchoir de guipure,
Vieux témoin déchiré de ses jours de splendeur,
Que le musc imprégnait encor de son odeur.

La pauvre jeune fille, aujourd'hui délaissée
Par les adorateurs dont la foule empressée
Naguère assiégeait le seuil de son hôtel,
De chute en chute, hélas ! en était arrivée
A se réfugier dans la chambre isolée
Où, pour se garantir contre un hiver mortel,
Il ne lui restait plus que la toison soyeuse
D'un tout petit barbet couché sur ses genoux

Et la faible chaleur de la pauvre veilleuse

Où chauffait, pour eux deux, un diner de deux sous.

Un soir, se sentant près de rendre à Dieu son âme,
Elle vit, dans sa chambre, apparaître une dame
Qui n'avait rien des airs effrontés et fripés
Des deux ou trois Laïs dont l'amitié fidèle
Lui venait apporter les cancans de ruelle
Et les débris sucrés de leurs petits soupers.

Jamais tant de beauté joint à tant d'élégance
De cet ange déchu n'avait frappé les yeux.
Son regard était pur comme l'azur des cieux,
Son visage aussi doux que celui de l'enfance;
Sur sa bouche flottait un sourire charmant
Qui creusait aux deux coins, des fossettes pareilles
A ces fleurs de pêcher où puisent les abeilles
Et que le papillon courtise en voltigeant.

J'ai su que vous étiez malheureuse, dit-elle,
D'une voix dont le timbre était plein de douceur;
Je viens vous consoler.

Qu'êtes-vous?

Une sœur

Qui vous offre l'appui de sa main fraternelle. -- Vous ne savez donc pas qui je suis?

Mais souffrir, et si jeune, en voilà bien assez
Pour qu'à vous soulager mon amitié s'empresse,
Sans penser aux erreurs d'une folle jeunesse. »
Puis, tirant du panier qu'elle avait à la main,
Un frais déshabillé, des fruits, du vin d'Espagne,
Elle offrit tout avec cette grâce qui gagne
Les cœurs les plus aigris par un mauvais levain.

Aussi facilement qu'une pauvre sœur grise,

De la jeune malade elle refit le lit,

Tressa ses beaux cheveux et fut toute surprise
De voir, à son chevet, pendre un rameau bénit.
Elle ne savait pas, cette épouse fidèle,

Que toute vierge folle en son cœur dégradé,
Comme un suprême espoir soigneusement gardé,
De sa première foi conserve une étincelle.

Cette branche de buis fut le point de départ
Des consolations goutte à goutte versées
Dans cette âme livrée aux plus sombres pensées,
Avec un tact poussé jusqu'aux bornes de l'art.
Pendant près de deux mois la fervente chrétienne
Vint ainsi, chaque jour, visiter ce laudis,

Sans penser au danger que dans ces lieux maudits
Couraient sa renommée et sa beauté de reine.
Parfois, il arrivait qu'en montant l'escalier,

De jeunes débauchés, frappés de sa démarche,
S'effaçaient, chapeau bas, sur le bord d'une marche,
Retenant sur leur lèvre un propos cavalier.

Une autre fois, c'était comme un long bruit d'orgie
Qui, d'étage en étage, arrivait jusqu'au toit
Où cette sainte allait consoler l'agonie.

Sur un marais fangeux, c'est ainsi que l'on voit, Sans tacher son plumage, une bergeronnette Poursuivre un moucheron, gracieuse et coquette.

Tout était bien changé dans la pauvre chambrette,
Depuis que cette femme, ange de la pitié,
L'avait purifiée en y mettant le pied.

Les regards n'étaient plus offensés par les scènes
Des amours qu'étalaient des gravures obscènes
Sur les murs maculés par l'orgie et le temps;
Sur les meubles boiteux, plus un grain de poussière,
Mais du bon linge blanc et des fleurs dans un verre,
Ce luxe préféré de la jeune ouvrière