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En somme, c'est l'absorption par l'Etat de toutes les propriétés et de toutes les industries, même les plus modestes, et la transformation du pays en un immense atelier où tous les citoyens travaillent sous la surveillance d'une armée de fonctionnaires.

Que ce régime d'autoritarisme sans limite ait germé dans la cervelle d'un compatriote de M. de Bismark: on l'a dit avec raison, cela n'a rien qui étonne.

Mais on ne s'explique pas l'accueil qu'il a reçu dans notre pays de France, si passionné pour sa liberté.

Il serait puéril, en tous cas, de se dissimuler l'influence considérable qu'exercent sur les mœurs les programmes socialistes. Les foules sont de grands enfants qui ne comprennent pas l'absurdité des promesses avec lesquelles on les leurre, et le suffrage universel, insuffisamment instruit et perfidement manié, a entrepris la conquête des Pouvoirs publics.

Le moment m'a semblé opportun pour rappeler le passé et l'issue tour à tour puérile, immorale ou despotique de toutes les conceptions socialistes.

Ce sort était inévitable; il attend tous ceux qui, méconnaissant les conditions de l'humanité, s'imagineront qu'il suffit d'un décret pour changer notre nature et faire régner le bonheur. Soyons plus modestes; n'oublions pas les enseignements du bon Lafontaine et la fable du Gland et de la citrouille.

Au lieu de nous attaquer aux institutions sur lesquelles l'humanité s'est appuyée depuis son origine, prenons-nous-en à nous-même et reconnaissons qu'il est oiseux d'inscrire la fraternité dans les lois avant de l'avoir gravée dans les

cœurs.

Commençons par nous réformer et prêchons d'exemple. J'ai vu des jeunes femmes, parées de tous les dons du corps.

et de l'esprit, à l'âge où l'expérience n'a encore rien enlevé aux charmes de la vie, abandonner tout ce qu'elles aimaient pour se consacrer au service des pauvres.

J'ai vu de jeunes médecins, penchés sur des lits d'hôpital, contracter pour ainsi dire volontairement, par un excès de zèle et de sacrifice, le germe des maladies qu'ils étaient appelés à guérir.

Voilà, à mon sens, Mesdames et Messieurs, le vrai socialisme.

Non pas celui qui, sous prétexte d'égalité, courbe tous les citoyens sous le même despotisme, et, sous prétexte de fraternité, les débarrasse, en en chargeant l'Etat, de toute préoccupation fraternelle; mais celui qui, laissant à chacun la conscience et la responsabilité de son devoir, respecte cette précieuse faculté, qui fait à la fois la misère et la grandeur de l'homme la liberté.

LE PORT DE NANTES

CONFÉRENCE

FAITE A LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE LE 14 MARS 1897

PAR M. MAURICE SCHWOB

MESDAMES, MESsieurs,

Lorsque la Société Académique m'a demandé de vous faire une Conférence, j'ai accepté sans hésitation.

El cependant je mentirais en affirmant qu'aujourd'hui je ne le regrette pas un peu. C'est que l'existence d'un homme peut se partager en deux phases. Tout d'abord, il semble que parler n'est rien écrire, voilà qui est compliqué, difficile. Ce n'est que plus tard qu'on change d'avis: écrire, pourvu qu'on le fasse simplement et sans prétention, c'est bien peu de chose: c'est parler qui est tout! Parler pour dire quelque chose, s'entend; parler sans être ridicule, sans voir, sur le premier rang des spectateurs polis s'étouffer un bâillement discret, qui s'accuse avec plus de franchise chez les auditeurs plus éloignés.

Mais si la parole est une arme bien difficile à manier, elle est singulièrement plus puissante et plus efficace que la plume. On apprend à nos enfants à écrire, au collège; je

voudrais aussi qu'on leur enseignât à parler. Parler sans emphase, dire en public, sans appréhension comme sans forfanterie, ce qu'on peut avoir à dire, est pour un homme moderne, une force inappréciable. Le meilleur écrivain n'aura jamais sur ses lecteurs l'empire qu'exerce un orateur, même médiocre, sur son auditoire. Il s'établit entre celui qui parle et ceux qui écoutent une communication magnétique que la parole écrite ne déterminera jamais. J'ai donc accepté parce que j'avais à vous dire des choses que je n'aurais jamais réussi à vous faire lire.

Il y a d'abord une toute petite raison matérielle. Un lecteur peut toujours filer..... à l'anglaise, tandis qu'ici je vous tiens et, comme vous êtes tous des gens polis, j'espère bien vous garder jusqu'au bout.

Nous voilà loin de notre sujet! Pas tant que cela.

Je dois, en effet, vous parler du port de Nantes, mais je vous parlerai aussi de la Loire navigable, du danger allemand -c'est l'actualité, du danger anglais aussi, du danger belge, suisse, hollandais, italien, américain, voire même du danger jaune qui n'est pas le moindre. Je vous parlerais encore, si j'osais, de la dépopulation, de l'éducation et même un tout petit peu de politique. Comment voulez-vous que je puisse songer à vous faire lire tant de choses ! C'est à peine si j'espère les faire écouter. Et, ce qu'il y a d'étrange, c'est que tout cela pourrait se tenir, faire un tout, car il s'agit, en somme, du relèvement de notre cher pays, de notre admirable France, si pleine de ressources qu'il ne. faut jamais désespérer d'elle. Nous en sommes une partie, non la moins vivante; en vous entretenant du relèvement du. port de Nantes, c'est donc à la Patrie tout entière que je veux penser avec vous.

J'ai promis de vous parler du danger allemand. Il pourrait, à mon avis, se résumer en un seul mot: La Méthode.

Nos ennemis ne s'emballent pas au hasard, sur quelques phrases creuses et sonores; ils travaillent patiemment et scientifiquement en toutes circonstances. C'est moins brillant, mais plus sûr. C'est un Français qui a écrit le Discours sur la Méthode, mais ce sont les Allemands qui l'ont mis

en action.

Nous allons, pour étudier notre sujet, appliquer ensemble la méthode allemande.

Lorsque les Allemands veulent connaître l'avenir d'un pays ou d'une ville, ils commencent par étudier son passé. Dans une certaine mesure, se souvenir c'est PRÉVOIR. Mais il faut se souvenir intelligemment, si je puis employer ce terme; il faut classer ces souvenirs, les grouper avec méthode, toujours la méthode! pour faire ressortir des faits particuliers les causes générales d'où ils proviennent. Il faut chercher les raisons d'un stationnement, d'une chute ou d'un progrès, les analyser, puis en induire des lois générales qu'on puisse appliquer à l'avenir. Telle est la méthode scientifique qui permet aux Vivants d'aller demander conseil aux Morts, de faire jaillir du Pussé la prédiction de l'Avenir.

Ce passé glorieux de Nantes, je n'en prendrai que tout juste ce qu'il faudra pour notre étude.

La situation exceptionnelle de notre ville, à l'embouchure du plus grand fleuve de France, a toujours frappé les hommes les plus clairvoyants. Dès le début de la conquête des Gaules, Jules César fit de Nantes un entrepôt important pour les Romains, d'où les marchandises remontèrent dans le haut pays par la Loire et ses affluents. Notons, pour y revenir, ce point capital.

A partir de ce moment, l'histoire maritime de Nantes ne nous présente guère qu'une suite de progrès ininterrompus, grâce à la hardiesse et à l'esprit d'initiative de ses

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