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Premièrement, on ne saurait nier que ses sentiments intimes, tant qu'ils n'influent pas sur sa conduite d'une manière indue, n'intéressent point l'assemblée, mais qu'il ne peut les déclarer sans devenir moins agréable à un parti, ni s'exposer mêmeà un soupçon de partialité, qui altère toujours plus ou moins la confiance.

Secondement, si vous lui permettez de rester impartial, il le sera plus facilement que tout autre. 11 envisage les débats sous un autre point de vue que les débattants, eux-mêmes. Son attention, principalement dirigée vers le maintien des formes et de l'ordre, est distraite du fond principal. Les idées qui occupent son esprit, durant la scène d'un débat, peuvent différer de celles qui occupent les acteurs, autant que les pensées d'un botaniste, à l'aspect d'un champ, peuvent différer de celles du propriétaire. L'habitude facilite beaucoup ces sortes d'abstractions. Si cela n'était pas, comment verraiton des juges pleins d'humanité fixer leur attention, avec une parfaite impartialité, sur un point de loi, pendant qu'une famille tremblante attend, sous leurs yeux, l'issue de leur jugement?

Il résulte de ce qui précède que, dans une nombreuse assemblée politique, où l'on doit s'attendre à voir naître des passions et des animosités, il faut que celui qui est appelé à les modérer ne soit jamais dans la nécessité de s'enrôler sous les bannières d'un parti, de se faire des amis et des ennemis, de passer du rôle de combattant à celui d'arbitre, et de compromettre, par des fonctions opposées, le respect dû à son caractère public.

Il est des assemblées qui n'ont donné un suffrage au président que dans le cas où les voix se trouveraient égales. Ce droit serait bien plus contraire à l'impartialité que celui de voter dans tous les cas, et il n'y a point de raison à alléguer en sa faveur. Le parti le plus simple et le plus naturel à prendre, en cas d'égalité, c'est d'envisager la proposition qui n'a pas eu la majorité des suffrages comme tombée. En matière d'élection, il vaudrait mieux s'en remettre au sort que de donner la voix prépondérante au président. Le sort n'offense personne.

Ce qui me reste à dire sur le choix du président se réduit à peu de mots. Il faut qu'il soit élu par l'assemblée, exclusivement par elle, à la majorité absolue et au scrutin. Il faut de même qu'il soit amovible par elle seule.

Tout cela découle du même principe. Nul ne doit remplir cette place que celui qui possède la confiance de l'assemblée, et qui la possède dans un degré supérieur à tout autre. Tout le bien qu'il peut faire est en proportion de cette confiance.

Mais il ne suffit pas qu'il ait possédé une fois la confiance, il faut qu'il la possède continuellement.

Si elle cesse, l'utilité de l'office cesse de même. Sans le pouvoir de destituer, le pouvoir d'élire serait pis qu'inutile; car le plus odieux des ennemis, c'est un ami infidèle. S'il fallait séparer ces deux pouvoirs, celui de destituer serait bien préférable à celui d'élire.

Ces règles sont particulièrement convenables à de nombreuses assemblées, à des corps législatifs. Des comités, des bureaux de législation, des cours de justice, n'auraient pas les mêmes raisons pour ôter au président le droit de délibérer, de voter ou de départager les suffrages.

Une assemblée temporaire, formée pour un objet occasionnel, n'a point les mêmes motifs qu'une assemblée législative pour nommer elle-même son président. Le danger de l'élection est de perdre un temps considérable en disputes qui ne font que retarder l'objet pour lequel on est convoqué. Dans les assemblées de comté en Angleterre, on laisse présider le shérif, officier public nommé par le roi. L'avantage de choisir un président est inférieur à celui de la tranquillité, et de l'expédition des affaires.

Le règlement de la présidence, tel qu'on le propose ici, paraît si simple, si convenable, qu'il a dù, ce semble, se présenter de lui-même à toutes les assemblées politiques.

Mais si nous passions à considérer ce qui s'est pratiqué chez les différentes nations, nous verrions que ces règles ont été presque partout méconnues. Le système anglais, qui en approche le plus, en diffère dans un point essentiel. Il permet au prési dent de délibérer et de voter. Tous les établissements ont commencé dans des temps d'ignorance : les premières institutions n'ont pu être que des essais plus ou moins défectueux; et quand l'expérience fait sentir les inconvénients, l'esprit de routine s'oppose aux réformes, et de plus il empêche de remonter aux véritables causes du mal.

CHAPITRE VII.

de l'initiative d'obligation, et du droit de PROPOSER

COMMUN A TOUS.

Il doit y avoir dans toute assemblée un individu qui soit chargé officiellement de l'initiative, c'està-dire chargé de commencer les opérations, de proposer des mesures : car si aucun membre en particulier n'était tenu d'avoir un plan, il se pourrait qu'il n'y en eût point, et qu'on restât dans l'inaction.

Il faut non-seulement un projet à chaque occasion, mais il faut une suite, une liaison entre les projets. Il ne suffit pas de pourvoir à la première séance, il faut pourvoir à toute la session. Il doit y avoir un plan général qui embrasse toutes les opérations compétentes, qui les dispose dans le meilleur ordre, et les conduise à leur fin.

Cette initiative d'obligation doit naturellement appartenir à celui qui a convoqué l'assemblée, et qui connaît le mieux les besoins de l'État. La distribution générale des travaux est du ressort de l'administration. Les ministres proposent, l'assemblée délibère et résout.

Mais le droit d'initiative ne doit pas être exclusivement le privilége du pouvoir exécutif. Chaque membre doit le posséder également. Ceci est fondé sur trois raisons principales.

1o L'avantage de tourner au profit commun Fintelligence de toute l'assemblée. Il y a autant de chance d'obtenir le meilleur avis de la part des uns que de la part des autres. Limiter le droit de proposer, c'est renoncer à tout ce qu'on pourrait attendre de la part de ceux qui en sont exclus; c'est instituer un monopole nuisible sous tous les rapports, soit parce qu'il éteint l'émulation de ceux qu'on réduit à un rôle purement négatif, soit parce qu'il peut retenir les plus grands talents dans l'inaction. Les hommes les plus intelligents et les plus capables peuvent, dans ce régime exclusif, èêtre enchaînés par ceux qui leur sont bien inférieurs en génie ou en connaissances.

2° La faculté de réformer les abus. Si le droit de proposer n'appartenait qu'à l'administration, les abus qui lui sont favorables pourraient être perpétuels l'assemblée n'aurait aucun moyen direct de les faire cesser. Ce serait donner au gouvernement l'espèce de négative la plus commode contre toutes les mesures qui pourraient lui déplaire, une négative sans éclat et sans débats 1.

3o Le danger du droit négatif, quand il existe seul. L'assemblée qui serait réduite, par cet arrangement, au seul pouvoir de rejeter, pourrait être tentée d'en abuser, c'est-à-dire de rejeter de bonnes mesures, soit par un sentiment d'orgueil, pour ne pas paraître nulle, pour faire un acte d'autorité, - soit pour forcer la main du gouvernement, et l'amener à céder un point pour en obtenir un autre; car le droit de refuser peut se convertir en arme offensive, on peut en faire un moyen positif de contrainte. Ainsi, un pareil système, au lieu de produire l'harmonie, pourrait bien ne tendre qu'à la

1 Dans les anciens temps, le parlement d'Écosse était soumis, dans l'ordre de son travail, à un comité nommé par le roi. Les lords des articles avaient seuls l'initiative de toutes les mesures. Ils préparaient d'avance tout ce qui

BENTHAM. — TOTF I.

discorde, et nécessiter, de la part de l'assemblée, une conduite artificieuse contre le pouvoir exécutif.

Mais, dira-t-on, si la direction des affaires doit être confiée aux officiers du pouvoir exécutif, si c'est à eux à proposer les mesures que les besoins de l'État exigent, comment cela peut-il s'accorder avec le désir qu'auraient tous les membres de faire des propositions? Car ce droit, pour être efficace, suppose que l'assemblée a le pouvoir de s'en occuper. Or, si elle s'en occupe, voilà le plan ministériel sujet à être interrompu par des propositions incohérentes, et même entièrement bouleversé. Il n'y a plus de marche régulière, et il peut en résulter une confusion générale dans le gouverne

ment.

Je ne puis répondre à cette objection qu'en supposant, de la part de l'assemblée, une disposition habituelle à laisser aux ministres l'exercice ordinaire du droit de proposer. Elle conservera ce privilége à tous ses membres indistinctement, mais elle accordera la priorité, par une convention tacite, aux propositions ministérielles.

C'est ici qu'il faut observer la conduite du parlement britannique. Dans le cours ordinaire des choses, tous les yeux sont fixés sur le ministre. Soit qu'il présente un plan, soit qu'il parle pour le soutenir, il est écouté avec un degré d'attention qui n'appartient qu'à lui. Par un consentement général, quoique tacite, les affaires importantes ne commencent point avant qu'il arrive. C'est lui qui propose toutes les grandes mesures : ses antagonistes se bornent à les attaquer. En un mot, il est le directeur, le moteur en chef, le personnage principal.

Cependant il n'a pas, de droit, la plus légère prééminence : il n'est aucune règle qui assure à ses motions la préférence sur celles de tout autre ; aucune règle qui lui donne la priorité de la parole. C'est une disposition qui n'existe qu'en vertu de sa convenance et de son utilité; c'est le résultat de l'expérience et de la réflexion. Pendant que le ministre possède la confiance de la majorité, il est sûr de conserver ce privilége de l'initiative: vient-il à perdre cette confiance, il ne peut plus rester dans le ministère ; il est forcé de céder sa place à un autre.

Je ne puis me dispenser de relever ici une erreur populaire dans tous les sens de ce mot, tant par le peu de réflexion qu'elle décèle, que par le nombre de ceux qui l'adoptent. Cette erreur consiste à conclure qu'une assemblée comme celle des communes est corrompue de cela seul que, dans sa marche

devait être présenté à l'assemblée, et, par conséquent, ils avaient une négative absolue bien plus puissante que celle qui aurait eu lieu après le débat. Voyez Robertson, Histoire d'Écosse, liv. 1, règne de Jacques V.

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ordinaire, elle est conduite par les ministres. Cette prétendue preuve de la corruption ou de l'asservissement de cette assemblée est, au contraire, la preuve réelle de sa liberté et de sa force. Pourquoi le ministre conduit-il toujours le parlement? C'est qu'à moins de pouvoir le conduire, il ne peut plus être ministre. La conservation de sa place dépend de la durée de son crédit auprès du corps législatif. Qu'on suppose à tous les membres de l'assemblée l'indépendance la plus héroïque, et qu'on dise comment, à cet égard, les choses peuvent aller mieux qu'elles ne vont.

NOTE

SUR LA PRÉSENCE DES MINISTRES DANS L'ASSEMBLÉE.

M. Bentham n'a pas insisté sur la nécessité de la présence des ministres dans l'assemblée législative, parce qu'il l'a supposée comme une règle admise et nécessaire, d'après l'usage immuable du parlement britannique, où il n'est jamais venu dans l'esprit de personne de les en exclure.

Cette idée, vraiment anarchique, prévalait tellement en France à l'époque des états généraux, que les ministres qui les convoquèrent ne pensèrent pas même à s'y placer. Ils ne prirent l'initiative sur rien; ils abandonnèrent l'assemblée à elle-même, sans aucun plan, sans aucun travail préparé, se tenant en dehors de tout, comme pour soumettre l'autorité royale à ne recevoir que des ordres du vainqueur. C'était déjà une abdication virtuelle.

Les hommes judicieux, qui étaient en grand nombre dans cette assemblée, quoiqu'ils ne fussent pas la majorité, s'aperçurent bientôt des inconvénients de ce manque de connexion entre le corps législatif et le pouvoir exécutif. Un journal qui se publiait sous le nom du comte de Mirabeau (quoiqu'il n'eût aucune part à sa composition), mit dans le plus grand jour la nécessité de les faire marcher de concert, en donnant aux ministres séance et voix consultative dans l'assemblée. La citation de ce passage n'est point étrangère ici. (Courrier de Provence, no 41.)

«En vain une politique étroite et soupçonneuse prétendrait-elle que l'indépendance du corps législatif « souffrirait de cette réunion dont un Etat voisin offre « l'exemple, et dont les bons effets sont prouvés par « l'expérience. En vain l'opiniâtre et présomptueuse « ignorance de quelques hommes rejette-t-elle toute « induction tirée de la constitution de ce peuple que « notre esclavage nous fit si longtemps envier, et que notre sottise méprise aujourd'hui. Jusqu'à ce que a notre constitution ait subi l'épreuve du temps, les hommes sages admireront toujours dans cette Angleterre des résultats pratiques supérieurs aux sublimes théories de nos utopiens: ils ne cesseront de penser qu'une correspondance directe et journalière entre les ⚫ ministres et le corps législatif, telle qu'elle a lieu dans

le parlement britannique, est non-seulement juste et utile, mais nécessaire et sans inconvénient.

Elle est juste. Les ministres sont citoyens comme les <«< autres Français; et s'ils ont le vœu des bailliages, on « ne saurait voir pourquoi l'entrée de l'assemblée nationale leur serait fermée.

Elle est utile. Le corps législatif s'occupe des mêmes objets que le pouvoir exécutif; toute la différence conasiste en ce que l'un veut et que l'autre agit. On ne saurait attendre de la législature des résultats sages,

« adaptés aux circonstances, tant qu'elle ne s'aidera pas des lumières que l'expérience, l'habitude des affaires et la connaissance des difficultés fournissent conti<<nuellement au pouvoir exécutif.

« Cette correspondance paraitra surtout nécessaire, si l'on fait attention à l'excessive diversité des objets qui entrent dans la législation; au caractère national; à l'impatiente ardeur qui nous dévore pour mettre en avant nos idées, pour opérer, sous le nom d'améliorations, des changements dans la partie qui nous est connue, sans trop nous soucier des rapports qu'elle peut avoir avec celles que nous ne connaissons pas; à l'effrayante activité que cette disposition recevra de la composition de cette assemblée, et de son renou« vellement biennal.

« Les inconvénients ne nous frappent point. De quelque manière qu'on les exprime, ils reviennent tous à « ces deux mots : Influence royale, influence ministéarielle... Vains fantômes avec lesquels on effraye les esprits faibles, mais qui ne doivent point détourner « des hommes raisonnables d'une mesure nécessaire. Sans doute l'influence, soit royale, soit ministérielle, a est à craindre; mais c'est lorsqu'elle est indirecte, lorsqu'elle agit dans l'ombre, lorsqu'elle mine sour<dement, et non quand elle se montre à découvert dans << une assemblée où chacun parle en liberté, où chacun « discute, où le ministre le plus éloquent et le plus adroit peut trouver son supérieur ou du moins son égal.

La voie des comités, à laquelle l'assemblée a éte forcée de recourir pour correspondre avec les minis« tres, est nécessairement vicieuse. Outre qu'elle fournit à l'influence ministérielle des développements plus « sûrs, des armes que rien ne peut combattre, elle tend à tirer en longueur les arrangements les plus simples, et souvent les plus provisionnels. Elle ne pourvoit d'ailleurs qu'imparfaitement à l'instruction de l'assemblée. Que de choses un comité n'osera jamais demander au ministre, et que ce ministre n'oserait < pas refuser dans l'assemblée, même sur la récla mation d'un seul membre! Enfin, ces comités ne sont jamais établis que pour des objets isolés, et il n'y a point de séance de l'assemblée où la présence, sinon <de tous les ministres, au moins de quelqu'un d'eux, « ne soit indispensable.

« Qu'on se figure une séance où les ministres siègeraient à leur place comme tout autre député, où ils <donneraient leurs avis, fourniraient leurs éclaircis« sements; où ces avis, ces éclaircissements seraient débattus par eux et avec eux. Une telle séance ne serait-elle pas tout à la fois plus utile à l'assemblée, plus fructueuse pour la chose publique, que vingt « séances où les ministres n'auraient point assisté, el

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‹ où, faute d'information nécessaire, l'assemblée aurait pu commettre quelqu'une de ces erreurs qui discréditent toujours la législation aux yeux du peuple?

Qu'on se figure enfin quelle révolution produirait dans les esprits cette habitude, que contracteraient les ministres, de déposer leur morgue vizirale dans l'assemblée de la nation, d'y exposer non-seulement leurs principes politiques, mais leur vrai caractère, et jusqu'à leurs défauts; d'abjurer enfin cette étiquette, <ces réserves astucieuses qui si longtemps composèrent tout l'art ministériel, pour revêtir les formes candides, franches et loyales des Etats républicains. › Les ministres, n'étant pas admis à siéger dans l'assemblée, furent réduits à un rôle aussi singulier que dangereux. Recevant des décrets et des masses de décrets pour être soumis à la sanction royale, ils furent dans la nécessité de suspendre cette sanction dans plusieurs circonstances, et de présenter à l'assemblée des mémoires, des notes, des observations, des remontrances où ils sollicitaient des explications et des modifications dans ces décrets. Il fallait, dans un tel conflit, ou que la dignité royale fût compromise, ou que l'assemblée nationale fit l'aveu d'une erreur. Mais un corps législatif ne se soumet guère à recevoir des leçons; et les ministres étaient souvent mandés à la barre et réprimandés pour avoir osé remplir le premier devoir de leur place.

Le 6 novembre 1789 (Courrier de Provence, no 63), M. de Mirabeau fit une motion expresse pour donner aux ministres une voix consultative, et requérir leur présence dans l'assemblée. Ses arguments étaient les mêmes que ceux que nous venons de citer, en y joignant toutes les insinuations oratoires qui pouvaient flatter l'orgueil de ceux qu'il voulait convaincre.

Dira-t-on que l'assemblée nationale n'a nul besoin d'être informée par les ministres? Mais où se réunissent d'abord les faits qui constituent l'expérience du gouvernement? N'est-ce pas dans les mains des agents ⚫ du pouvoir exécutif? Peut-on dire que ceux-ci qui exécutent les lois, n'aient rien à faire observer à ceux qui les projettent et qui les déterminent? Les exécuteurs de toutes les transactions relatives à la chose publique, tant intérieures qu'extérieures, ne sont-ils pas • comme un répertoire qu'un représentant actif de la ■ nation doit sans cesse consulter? Et où se fera cette consultation avec plus d'avantage pour la nation, si ⚫ce n'est en présence de l'assemblée? Hors de l'assemblée, le consultant n'est plus qu'un individu auquel € le ministre peut répondre ce qu'il veut, et même ne faire aucune réponse. L'interrogera-t-on par décret ⚫ de l'assemblée? Mais alors on s'expose à des délais, à des lenteurs, à des tergiversations, à des réponses obscures, à la nécessité, enfin, de multiplier les décrets, les chocs, les mécontentements, pour arriver à • des éclaircissements qui, n'étant pas donnés de bon gré, ⚫ resteront toujours incertains. Tous ces inconvénients se dissipent par la présence des ministres. Quand il ⚫ s'agira de rendre compte de la perception et de l'em< ploi des revenus, peut-on mettre en comparaison un <examen fait en l'absence du ministre, avec un examen • qui sera fait sous ses yeux? S'il est absent, chaque question qu'il paraîtra nécessaire de lui adresser,

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deviendra l'objet d'un débat; tandis que, dans l'assemblée, la question s'adresse à l'instant même au ministre par le membre qui la conçoit. Si le ministre s'embarrasse dans ses réponses, s'il est coupable, il « ne peut échapper à tant de regards fixés sur lui; et la crainte de cette redoutable inquisition prévient bien mieux les malversations, que toutes les précautions dont on pourrait entourer un ministre qui n'a jamais à répondre dans l'assemblée. Où les ministres pourront-ils combattre avec moins de succès la liberté du peuple? Où proposeront-ils avec moins d'inconvénients leurs objections sur les actes de législation? Où leurs préjugés, leurs erreurs, leur ambition, seront-ils dévoilés avec plus d'énergie? Où contribueront-ils mieux à la stabilité des décrets? Où s'engageront-ils avec plus de solennité à leur <exécution? N'est-ce pas dans l'assemblée nationale?» Les objections furent toutes tirées de la crainte de l'influence ministérielle. On eût dit que ces hommes, qui venaient de faire une révolution, allaient tous devenir humbles et tremblants, s'ils avaient à parler en présence d'un ministre du roi. M. de Noailles fit un tableau burlesque du parlement britannique, où il représenta le chancelier de l'échiquier, au milieu de la troupe qu'il a enrôlée, distribuant les fonctions, assignant les postes, prescrivant la parole ou le silence, observant de l'œil qui l'on doit récompenser, qui l'on doit punir, dirigeant à son gré toutes les évolutions de sa bande mercenaire. L'un des membres les plus distingués, M. de Clermont - Tonnerre, fit un dernier effort pour soutenir la motion du comte de Mirabeau. « On oppose à l'admission des ministres le nom de liberté mais il ne faut pas regarder le pouvoir exécutif comme l'ennemi de la liberté nationale. Je ne vois que des avantages <à admettre les ministres dans l'assemblée, avec voix <consultative (car la voix délibérative n'appartient qu'à ceux qui la tiennent de leurs commettants). Nous • avons gémi longtemps sous des ministres ineptes, qui sont le fléau le plus humiliant pour une nation : mais des ministres ineptes, appelés à soutenir l'é< preuve et l'éclat des délibérations publiques, seront chassés dans quatre jours. Leurs palais sont les asiles de leur ignorance; ils ont là mille moyens d'en imposer et d'échapper aux regards des citoyens : ils sont entourés de flatteurs, de commis, de protégés « qui se croient honorés d'un coup d'œil: mais, au milieu de l'assemblée nationale, ils verront des hommes; ils seront forcés de savoir et de faire eux-mêmes « leur métier de ministres s'ils ont des talents et des « vertus, ils ne sont point à craindre; s'ils ont des ta«<lents et des vices, ils seront démasqués ici par des talents égaux. Quant aux brigues, à l'influence, aux traités secrets, tout ce trafic est dangereux dans l'assemblée et ne l'est point dans le silence du cabinet. Le mal qu'on ne voit pas est toujours le plus funeste. «La présence des ministres, loin d'ajouter à ce danger, le diminue. »

Un député breton proposa une motion directement contraire; non content que celle de Mirabeau eût été rejetée, il demanda qu'aucun membre de l'assemblée ne pût parvenir au ministère durant la présente session. Le bruit s'était répandu que le roi voulait appeler

M. de Mirabeau dans son conseil; et la question, de politique qu'elle était d'abord, était devenue purement personnelle. On peut voir, dans le Courrier de Provence, la réponse que fit le député d'Aix au député breton. C'est un modèle d'esprit, de raison, de sarcasme; mais les passions étaient enflammées, et l'exclusion fut prononcée.

Je me suis permis cette longue digression, parce qu'il m'a paru nécessaire de mettre dans le plus grand jour la faute essentielle de l'assemblée nationale, et de la constitution qu'elle donna au peuple français, le défaut de concert entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. On ne saurait trop insister sur la nécessité de mettre l'initiative habituelle des opérations entre les mains du ministère. Ceux qui ne comprennent pas cette nécessité n'entendent rien à la véritable tactique d'une assemblée politique, et ne sont que des ouvriers d'anarchie.

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Ceux qui ne jettent qu'un regard superficiel sur une assemblée politique, peuvent penser qu'il n'y rien de plus simple qu'une proposition, un débat, un décret. Est-ce là l'objet d'une science ou d'un art? Les affaires communes de la vie nous appellent tous à proposer, à délibérer, à décider. Il n'y guère de notions plus familières que celles-là.

Oui ces opérations sont faciles à concevoir, mais elles sont difficiles à décrire. Il en est des actes de l'esprit comme des mouvements du corps. Mouvoir le bras est l'affaire d'un instant : pour expliquer ce mouvement, pour décrire les muscles qui l'opèrent, combien de connaissances anatomiques ne faut-il pas ?

Suivons la formation d'un décret. L'ouvrage qui lui sert de base est un simple projet proposé par

1 Décret, arrêté, résolution. Ces trois mots sont souvent employés comme synonymes pour désigner l'acte définitif de l'assemblée. Ils présentent le même sens intellectuel, mais ils sont dérivés de différents types physiques.

Quand on dit arrêté, on s'est peint les idées comme flottantes, ou comme passant en succession dans l'esprit : il en choisit une, et s'y arrête. Décret offre à peu près la même idée : on a vu et considéré divers objets, on a discerné celui qu'on juge meilleur, et on s'y fixe.

Quand on dit résolution, on s'est représenté une question comme un noeud à délier.

Ceci est un exemple de la manière dont on pourrait expliquer les termes fondamentaux d'une science par l'étymologie. On remonte à l'archétype, au premier type physique, à l'image qui a servi de modèle pour imposer

un individu. Quand il présente ce projet à l'assemblée selon les formes prescrites, il fait ce qu'on appelle une proposition.

La proposition originaire étant faite, toutes celles qui s'y rapportent ne peuvent avoir que l'un ou l'autre de ces deux objets : l'amender ou la supprimer. De là deux sortes de propositions secondaires. Propositions émendatoires. Propositions suppressives.

Ceux qui proposent de modifier la proposition originaire considèrent ces modifications comme des amendements, c'est-à-dire comme des améliorations ou des corrections.

J'entends par propositions suppressives, toutes celles qui tendent directement ou indirectement à faire rejeter la proposition originaire, comme de demander la priorité en faveur de quelque autre, où de proposer un ajournement pour un temps indéterminé, etc.

Pour produire un décret, il n'y a que trois actes absolument nécessaires : 1o faire une proposition; 2o voter; 3o déclarer le résultat des votes.

Mais, avant d'arriver à la conclusion, il y a, dans le cours ordinaire des choses, bien des degrés ou des actes intermédiaires par lesquels il faut passer. Les voici dans leur ordre chronologique : 1. Promulguer d'avance les propositions, les projets de loi, les amendements.

2. Faire la proposition qui expose le projet. 3. Occasionnellement, en ordonner l'impression et la publication.

4. Seconder la proposition.

5. Délibérer.

6. Poser la question.

7. Voter sommairement.

8. Déclarer le résultat de la votation sommaire. 9. Diviser l'assemblée, c'est-à-dire demander la votation distincte.

10. Recueillir les votes régulièrement. 11. Déclarer le résultat.

12. Enregistrer tous ces actes 1.

des noms aux choses intellectuelles. Ce travail serait très-propre à entrer dans la composition d'un diction naire.

Les Français se servent très-souvent du mot délibération, comme synonyme de décret. En voici la preuve dans l'acte constitutionnel de 1795: Chaque conseil pourra se former en comité général et secret, mais seulement pour disculer et non pour délibérer. C'est un contre-sens grammatical. Qui délibère est indécis. Tant que la délibération continue, il n'y a point de résolution prise, point d'acte commun, point d'arrêté produit. Le type de délibération est librare, tenir en balance.

Amendement vient du latin menda, faute. Amender,

c'est ôter une faute.

Motion est un terme générique pour exprimer toutes les

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