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| meilleure constitution pour un peuple est celle à laquelle il est accoutumé. Il pense que le bonheur est l'unique but, l'unique objet d'une valeur intrinsèque, et que la liberté politique n'est qu'un bien relatif, un des moyens pour arriver à ce but. Il pense qu'un peuple, avec de bonnes lois, même sans aucun pouvoir politique, peut arriver à un haut degré de bonheur; et qu'au contraire, avec les plus grands pouvoirs politiques, s'il a de mauvaises lois, il sera nécessairement malheureux.

Le vice fondamental des théories sur les con stitutions politiques, c'est de commencer par attaquer celles qui existent, et d'exciter tout au moins des inquiétudes et des jalousies de pouvoir. Une telle disposition n'est point favorable au perfectionnement des lois.

Le scule époque où l'on puisse entreprendre avec succès de grandes réformes de législation, est celle où les passions publiques sont calmes, et où le gouvernement jouit de la stabilité la plus grande.

L'objet de M. Bentham, en cherchant dans le vice des lois la cause de la plupart des maux, a été constamment d'éloigner le plus grand de tous, le bouleversement de l'autorité, les révolutions de propriété et de pouvoir. Le gouvernement existant est l'instrument même par

1. Examen critique de la déclaration des droits lequel il cherche à opérer, et en montrant à de l'homme.

2. Des circonstances de temps et de lieu à considérer dans l'établissement des lois.

tous les gouvernements les moyens de s'améliorer, il leur indique ceux de prolonger et d'assurer leur existence. Ses résultats sont

3. Des délits contre la religion: dėlits commis applicables aux monarchies comme aux répupar l'abus de la sanction religieuse.

4. De l'invention en matière de législation. 5. Du panoptique: maison d'inspection centrale pour remplacer les prisons ordinaires.

6. De la promulgation des lois, et d'une promulgation séparée des motifs ou des raisons des lois.

On sera étonné qu'une collection si vaste n'offre aucun traité sur la constitution politique, ou la forme du gouvernement. L'auteur a-t-il regardé toutes ces formes comme indifférentes, ou a-t-il pensé qu'il ne peut y avoir aucune certitude dans la théorie des pouvoirs politiques? Il ne serait guère probable qu'une telle opinion pût exister dans l'esprit d'un philosophe anglais, et je puis dire qu'elle n'est point celle de M. Bentham: mais il est bien loin d'attacher une préférence exclusive à aucune forme de gouvernement. Il pense que la

bliques. Il ne dit point aux peuples: «Emparezvous de l'autorité, changez la forme de l'État. » Il dit aux gouvernements: Connaissez les maladies qui vous affaiblissent, étudiez le régime qui peut les guérir; rendez vos législations conformes aux besoins et aux lumières de votre siècle; faites de bonnes lois civiles et pénales; organisez les tribunaux de manière à inspirer la confiance publique; simplifiez la procédure; évitez dans les impôts la contrainte et les nonvaleurs; encouragez votre commerce par les moyens naturels. N'avez-vous pas tous le même intérêt à perfectionner ces branches d'administration? Apaisez les idées dangereuses qui se sont répandues parmi vos peuples, en vous occupant de leur bonheur. Vous avez l'initiative des lois, et ce droit seul, bien exercé, peut devenir la sauvegarde de tous les autres :

c'est en ouvrant une carrière aux espérances | cations; il inventa le mécanisme du syllogisme, légitimes que vous arrêterez la débauche des

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Ceux donc qui chercheraient dans ces écrits des principes exclusifs contre telle ou telle forme de gouvernement seraient trompés dans leur attente. Les lecteurs qui ont besoin des stimulants de la satire et de la déclamation ne trouveront rien ici qui les satisfasse. Conserver en corrigeant; étudier les circonstances; ménager les préjugés dominants, même déraisonnables; préparer les innovations de loin, de manière qu'elles ne semblent plus être des innovations; éviter les déplacements, les secousses, soit de propriété, soit de pouvoirs ; ne pas troubler le cours des espérances et des habitudes; réformer les abus sans blesser les intérêts actuels: tel est l'esprit constant de tout l'ouvrage.

:

La première partie de ce recueil, intitulée Principes généraux de législation, est la seule qui soit rédigée en partie d'après des manuscrits, et en partie d'après un ouvrage imprimé par l'auteur c'est une introduction générale qui renferme les principes fondamentaux de tous ses écrits. Si on la possède bien, tous les autres n'en paraîtront qu'une conséquence naturelle. Le titre que j'aurais voulu lui donner, et dont je me suis départi d'après des objections peutêtre bien fondées, c'est celui de Logique de législation. Elle contient le principe du raisonnement; elle enseigne l'art de s'en servir; elle présente de nouveaux instruments d'analyse et de calcul moral.

Dans les sciences physiques, la découverte d'un nouveau moyen d'opérer est toujours l'époque d'un nouveau progrès: c'est ainsi que l'invention du télescope accéléra celui de l'astronomie. Eu général, quand l'esprit humain s'arrête longtemps au même point, c'est qu'il a épuisé tout ce qu'il peut par les moyens qu'il a en sa possession, et qu'il attend du génie ou du hasard la découverte d'un nouvel instrument qui étende ses opérations et ajoute à sa puis

sance.

si ingénieux, mais si peu utile. Ces méthodes ne sont pas moins des instruments pour la raison, que le compas pour la main ou le microscope pour les yeux. Quand Bacon donnait à son grand ouvrage le titre singulier de Novum organum, il considérait cette méthode philosophique comme une machine spirituelle, comme un métier logique qui devait perfectionner l'art du raisonnement et la fabrique des sciences.

M. Bentham s'est fait de même un appareil logique, qui a son principe, ses tables, se catalogues, ses classifications, ses règles; et au moyen duquel il me paraît convertir en science des branches de morale et de législation qui avaient été jusqu'à présent le domaine de l'érudition, de l'éloquence et du bel esprit.

L'auteur lui-même est bien loin de penser qu'il ne doive rien à ses prédécesseurs.

Toute science est nécessairement l'œuvre du temps. On commence par des conjectures vagues. On observe des faits détachés. Il se fait un dépôt d'érudition, dans lequel le vrai et le faux sont mêlés ensemble. Lorsque la suite des événements a fourni à l'observation un grand nombre de faits, on aperçoit des analogies, on essaye de les réduire en systèmes. C'est le règne de l'imagination et de l'esprit qui précède celui de la raison et de la science. Il a fallu que Descartes ait fait des romans ingénieux sur la physique générale, avant que Newton l'ait soumise à des principes certains. Il a fallu que Leibnitz et Malebranche aient élevé leurs châteaux aériens de métaphysique, avant que Locke ait pu déterminer les premiers faits qui ont fourni une base solide à cette science. Platon et Aristote ont dû précéder Bodin, Grotius, Harrington, Hobbes et Puffendorf. Tous ces degrés étaient nécessaires pour arriver jusqu'à l'Esprit des lois, et l'Esprit des lois n'est lui-même qu'un intermédiaire jusqu'au point où la législation sera devenue un système complet et simple.

L'auteur, dans un essai intéressant, a indiqué la marche et l'acquisition de ses principales idées. Mais qu'est-ce qu'un instrument dans les « Ce n'est pas, dit-il, dans les livres de droit sciences morales? C'est un moyen de rapprocher et de comparer des idées : c'est une nouvelle méthode de raisonnement. Socrate en avait une qui lui était propre, et qui était une espèce d'analyse. Aristote y joignit des classifi

que j'ai trouvé des moyens d'invention et des modèles de méthode : c'est plutôt dans les ouvrages de métaphysique, de physique, d'histoire naturelle, de médecine. J'étais frappé, en lisant quelques traités modernes de cette

science, de la classification des maux et des remèdes. Ne pouvait-on pas transporter le même ordre dans la législation? Le corps politique ne pouvait-il pas avoir son anatomie, sa physiologie, sa nosologie, sa matière médicale? Ce que j'ai trouvé dans les Tribonien, les Cocceius, les Blackstone, les Vattel, les Potier, les Domat, est bien peu de chose: Hume, Helvétius, Linné, Bergman, Cullen, m'ont été bien plus utiles. »

Il fallait d'abord chercher un principe général qui fût comme un point fixe auquel on pût attacher toute la chaîne des raisonnements. Ce point fixe il le nomme principe d'utilité; mais ce n'est rien encore, parce que chacun peut appeler utilité tout ce qui lui plaît, et qu'on n'a jamais rien fait ni rien proposé sans avoir en vue quelque utilité réelle ou imaginaire. Il fallait donner à ce terme une signification précise, et c'est là une tâche neuve.

L'auteur a ensuite séparé ce vrai principe, d'avec deux principes faux qui lui font concurrence, et sur lesquels on a élevé tous les systèmes erronés en morale et en législation. Au moyen d'une seule distinction facile à saisir, on se trouve en état de signaler l'erreur et la vérité avec un degré de certitude qu'on n'avait pas encore obtenu.

Pour avoir une connaissance précise du principe de l'utilité, il a fallu composer une table de tous les plaisirs et de toutes les peines. Ce sont là les premiers éléments, les chiffres du calcul moral. Comme en arithmétique on travaille sur des nombres qu'il faut connaître, en législation on travaille sur des plaisirs et des peines, dont il faut avoir une exacte énumération.

Il s'agissait ensuite d'indiquer le procédé à suivre pour mesurer la valeur d'un lot de plaisirs ou de peines, afin de les comparer avec justesse. Ici toute erreur serait de la plus grande conséquence. Ce calcul revient aux premières opérations de l'arithmétique: évaluer une ac tion, c'est additionner tous les biens, tous les maux qui en résultent, et trouver ce qui reste lorsqu'on a soustrait telle somme de plaisirs ou telle somme de peines.

Mais ce qui complique ce calcul, c'est que la sensibilité des hommes n'est pas uniforme : les mêmes objets les affectent plus ou moins, ou même les affectent différemment.

L'âge, l'éducation, le rang, la fortune, la

religion, le climat, le sexe, et beaucoup d'autres causes, ont une influence marquée et pour ainsi dire constante. Il a fallu faire une table exacte de ces circonstances qui font varier la sensibilité, afin d'assortir les moyens de la législation, autant qu'il est possible, à la diversité des impressions que reçoivent les individus.

A l'aide du calcul des biens et des maux, il n'était pas difficile de trouver le vrai caractère du délit il fallait encore mesurer la gravité de chaque délit. C'est ce que l'auteur a fait en analysant le progrès ou la marche du mal, c'est-àdire en observant comment il affecte les individus, comment il se répand du premier souffrant jusqu'à d'autres personnes, comment il s'atténue dans certains cas en se divisant, comment dans d'autres cas il se multiplie.

Après avoir posé ces principes pour estimer la gravité des délits, il se présentait une classification aussi nouvelle que féconde. Dans cette classification, on voit d'un coup d'œil ce qu'ils ont de commun, ce qu'ils ont de différent; on découvre des maximes générales qui s'appliquent sans exception à tel genre de crimes et à tel autre. Le chaos cesse, la lumière se répand, et l'on entrevoit le plan du législateur... Je pourrais multiplier ces exemples, mais ceux-là suffisent pour expliquer ce que j'entends par ces instruments logiques, nécessaires à la législation, et qui lui ont manqué jusqu'à présent. Ces analyses, ces catalogues, ces classifications, sont autant de moyens d'opérer avec certitude, de ne rien omettre d'essentiel, de ne point s'écarter de ses propres principes par inadvertance, et de réduire même des travaux difficiles à une espèce de mécanisme. C'est ainsi qu'en parcourant le tableau des affinités chimiques, le physicien raffermit l'enchaînement de ses idées et gagne du temps par la promptitude des comparaisons et des réminiscences.

L'unité de poids et de mesures peut me servir d'objet de comparaison pour donner une idée plus claire du but de M. Bentham. Il a senti la nécessité d'établir un principe invariable qui put servir de base à une mesure commune en morale, et donner cette unité, le plus important, mais le plus difficile de tous les problèmes de la philosophie.

Ce que j'appelle variété de poids et de mesures en morale, c'est la double diversité qui existe, l'une dans les jugements des hommes sur les

actions réputées bonnes ou mauvaises, l'autre dans les principes mêmes sur lesquels ces jugements sont fondés. Il s'ensuit que les actions humaines n'ont point de tarif authentique et certain, que l'estimation morale varie chez tous les peuples et dans toutes les classes, et que n'ayant point de règle commune, ceux qui s'accordent sont toujours prêts à se diviser, ceux qui disputent ne tendent point à se réunir: chacun n'ayant que sa raison personnelle, ne gagne rien sur son antagoniste, et l'accusation réciproque d'opiniâtreté ou de mauvaise foi termine presque toujours une controverse d'opinion par une antipathie de sentiment.

S'il existe, comme on n'en peut douter, un intérêt commun dans les sociétés nationales et dans la grande société du genre humain, l'art d'établir l'unité de poids et de mesures en morale ne sera que l'art de découvrir cet intérêt commun, et l'art du législateur consiste à le rendre dominant par l'emploi des peines et des récompenses.

Cet intérêt commun ne peut se manifester que par l'étude approfondie du cœur humain. Comme on cherche les vérités physiques dans l'observation des phénomènes de la nature, il faut chercher les vérités morales dans les sentiments de l'homme. Cette recherche expérimentale, conduite méthodiquement, produirait deux nouvelles sciences: l'une, que M. Bentham appelle pathologie mentale, l'autre, dynamique spirituelle..

La pathologie mentale consiste à étudier la sensibilité de l'homme considéré comme être passif, c'est-à-dire comme soumis à l'influence de divers objets qui lui font éprouver des impressions de plaisir ou de peine. L'auteur a jeté les fondements de cette science dans le catalogue des peines et des plaisirs, et dans celui des circonstances qui influent sur la sensibilité.

La dynamique est la science des forces motrices la dynamique spirituelle serait donc la science des moyens d'agir sur les facultés actives de l'homme. L'objet du législateur étant de déterminer la conduite des citoyens, il doit connaître tous les ressorts de la volonté; il doit étudier la force simple et composée de tous les motifs; il doit savoir les régler, les combiner, les combattre, les exciter ou les ralentir à son gré. Ce sont les leviers, les puissances dont il se sert pour l'exécution de ses desseins.

Ces deux sciences ont une correspondance marquée dans la médecine. Il faut d'abord étudier l'être passif, l'état physique de l'homme, et toutes les variations que cette machine animée peut éprouver par l'influence des causes internes ou externes. Il faut ensuite connaître les principes actifs, les forces qui résident dans l'organisation, pour ne pas les contrarier, pour ralentir celles qui seraient nuisibles, pour exciter celles qui sont propres à amener les changements favorables.

A considérer cet ouvrage dans son ensemble, il me parait renfermer un antidote nécessaire contre deux espèces de poisons politiques; l'un répandu par les sceptiques, l'autre par les dogmatistes.

J'entends par sceptiques ceux qui pensent qu'il n'y a point, en législation, de principes sûrs et universels, que tout est conjectural, que la tradition est le guide unique, qu'il faut laisser les lois comme elles sont, et qu'en un mot les écrivains politiques ne sont que des romanciers dangereux qui peuvent toujours détruire, mais qui ne peuvent rien établir, parce qu'il n'y a point de base de certitude morale.

Cette décourageante doctrine, si favorable à l'égoïsme et à la paresse, ne se soutient que par des idées vagues et des termes mal définis ; car, dès qu'on réduit l'objet des lois à une expression unique, — prévenir un mal, il en résulte que, la nature humaine étant la même partout, soumise aux mêmes maux, dirigée par les mêmes motifs, il doit y avoir des principes généraux qui seront la base d'une science. Ce qu'on a fait prouve ce qu'on peut faire. L'empire du mal n'a-t-il pas été soumis en partie, resserré, affaibli par les conquêtes successives de la prudence et de l'expérience? N'a-t-on pas vu la législation suivre à pas lents les progrès de la civilisation, se développer, s'adoucir, reconnaître ses méprises, s'améliorer par le temps? Pourquoi les erreurs dans cette carrière prouveraient-elles plus que dans les autres?

Tous les arts, toutes les sciences, ont eu les mêmes gradations. La véritable philosophic ne fait que de naître. Locke est le premier qui l'ait appliquée à l'étude de l'homme, Beccaria à quelques branches de législation, et M. Bentham à son système entier. Dans l'état où la science parait aujourd'hui, munie d'instru

ments nouveaux, avec des définitions, des nomenclatures, des classifications, des méthodes, il ne faut plus la comparer avec ce qu'elle était dans son état de bégayement, de pauvreté, d'incertitude; lorsqu'elle n'avait pas même une division générale, lorsque ses différentes parties étaient confondues les unes dans les autres, et que les délits, ces premiers éléments de la loi, étaient entassés pêle-mêle sous les dénominations les plus vagues.

Quant aux dogmatistes, ils forment des sectes nombreuses, et par conséquent des sectes ennemies mais ce sont tous en politique des espèces d'inspirés qui croient, qui commandent de croire, et qui ne raisonnent pas. Ils ont des mots magiques; tels qu'égalité, liberté, obéissance passive, droit divin, droits de l'homme, justice politique, loi naturelle, contrat social. Ils ont des maximes illimitées, des moyens universels de gouvernement, qu'ils appliquent sans égard au passé et au présent, parce que du haut de leur génie ils considèrent l'espèce et non les individus, et que le bonheur d'une génération ne doit pas être mis en balance avec un système sublime. Leur impatience d'agir est en proportion de leur impuissance à douter, et leur intrépide vanité les dispose à mettre autant de violence dans les mesures qu'il y a de despotisme dans leurs opinions,

Rien de plus opposé à cet esprit dogmatique et tranchant que le système de M. Bentham ; c'est lui qui le premier a rangé les sympathies et les antipathies parmi les faux principes de raisonnement; qui a enseigné le procédé d'une arithmétique morale, où l'on fait entrer toutes les peines, tous les plaisirs, toutes les circonstances qui influent sur la sensibilité; qui ne veut admettre aucune loi dont on n'assigne clairement la raison; qui a réfuté tous les sophismes par lesquels on veut sacrifier des intérêts présents et ipviduels à des intérêts éloignés et abstraits; qui, enfin, ne laisse pas tomber un atome de mal sur le plus odieux des malfaiteurs sans en justifier expressément la nécessité. Il est si peu absolu, si persuadé qu'on ne peut jamais tout prévoir, qu'en parlant des lois

qu'il estime les meilleures, les plus incontestablement utiles, il refuserait de les rendre immuables pour une période fixe, et d'usurper sur les droits de l'avenir. Aussi ce système, toujours modéré, toujours raisonné, a moins d'éclat, moins d'énergie apparente que ceux des écrivains dogmatiques. Il ne flatte pas l'amourpropre oisif qui veut tout apprendre dans une formule, tout concentrer dans quelques traits saillants. Il est peu attrayant pour les passions actives qui n'aiment point l'opération lente de la balance et du compas; et il soulèvera contre lui tous les infaillibles en démasquant leurs mots magistraux. Que de choses dans une loi! dit-il en terminant son introduction; et certes, on ne l'aura pas compris, on n'aura pas saisi ses principes, si on ne répète, après l'avoir lu, avec une persuasion intime : Que de choses dans une loi !

Ainsi, quelque grande que soit l'influence qu'on puisse attendre de ses écrits, il n'est pas probable qu'ils jouissent d'un succès de vogue. Ils enseignent une nouvelle science, mais ils en montrent les difficultés. Ils donnent de la certitude aux opérations du jugement, mais ils exigent une étude réfléchie. Il faudrait, pour remplir leur objet, trouver des disciples; et dans l'art de la législation on ne trouve malheureusement que des maîtres.

Heureux ceux que l'étude de cet ouvrage rendra plus circonspects, plus lents à se produire! Leurs méditations longtemps concentrées auront acquis de la substance et de la vigueur.

La facilité est le piége des hommes médiocres, et ne produit jamais rien de grand. Ces météores, créations subites d'une atmosphère enflammée, brillent un instant et s'éteignent sans laisser de trace. Mais celui qui se défie de ses premières conceptions, et qui ne s'évapore pas de bonne heure, donne à son talent tout ce qu'il refuse aux jouissances précoces de la vanité; et ce respect qu'il témoigne pour le jugement des hommes éclairés est un garant sûr de celui qu'il méritera pour lui-même.

1 Plus fecit qui judicium abstulit quàm qui meruit.

SEN.

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