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de temps sur la démarcation des nouvelles frontières entre la Grèce et la Turquie..... sur la carte.

S'il est permis d'ajouter foi aux indiscrétions sorties des pourparlers préparatoires de la Conférence, la Grèce n'aura rien perdu à attendre, et la mauvaise volonté du marquis de Salisbury aura abouti à ce résultat de faire revivre le projet primitif du Congrès, qui comprend Janina dans le territoire à joindre à la carte géographique du royaume de Grèce.

Ce n'est pas tout de s'entendre autour du tapis vert d'une table ministérielle; ce n'est pas tout de tracer de nouvelles lignes frontières sur une nouvelle carte géographique.

Qui plantera les jalons sur le terrain? Nous ne croyons pas que l'Albanais musulman Abeddin soit plus conciliant envers les Grecs, que le chrétien épirote Sawas ne s'était montré sévère pour les Albanais; nous savons d'ailleurs que Kadri Pacha et Abeddin Pacha n'ont pas été choisis parce que le Sultan veut modifier sa politique, mais seulement parce qu'ils lui paraissent propres à continuer la même politique que leurs prédécesseurs Saïd Pacha et Sawas Pacha, qui sont tombés en disgrâce parce qu'ils n'ont pu, comme ils l'avaient promis, épargner av Sultan les remontrances de M. Goschen en audience privée. Un Sultan qui punit un manquement à la parole donnée, c'est néanmoins de bon augure! I observera peut-être cette loi qu'il vient d'infliger à ses conseillers.

Kadri Pacha parle mieux le français que Saïd Pacha; Abeddin Pacha, naguère encore bey et commissaire à la Bourse de Galata, parle correctement le français et le grec M. Goschen et M. Tissot n'auront besoin ni de drogman ni de comptable pour faire comprendre aux nouveaux ministres quels sont les intérêts de la Turquie. Ceux-ci entendront, comprendront. voudront-ils écouter?

On ne tardera pas à en pouvoir juger. La note identique des représentants des grandes puissances a été remise à la Porte le 12 de ce mois. Grâce à la sûreté et à la rapidité d'information du journal le Temps, qui a publié cette primeur si intéressante, la réponse de la S. Porte, après qu'elle aura été rendue, ne restera pas longtemps à être connue. Déjà les télégrammes privés font prévoir que la S. Porte n'accueillera la décision de la Conférence que sous bénéfice d'inventaire.

Voici la note française, chaque ambassadeur y ayant mis le nom de son gouvernement respectif :

Les retards apportés à l'exécution de certaines dispositions du Traité de Berlin ont motivé, de la part des puissances signataires de cet acte, un échange de vues, à la suite duquel elles ont reconnu qu'il était d'un intérêt européen de mettre un terme à ces retards, et admis que l'union de leurs efforts était pour elles le plus sûr moyen d'arriver au résultat que l'acte international du 13 juillet 1878 a eu pour but d'assurer.

« Pénétré de cette double nécessité et complètement d'accord avec les cabinets de Berlin, de Vienne, de Londres, de Rome et de Saint-Pétersbourg, le gouvernement de la République française m'a chargé de faire connaître à Votre Excellence le point de vue auquel il envisage les différentes questions soulevées par l'inexécution d'un certain nombre des clauses du Traité de Berlin.

«En ce qui concerne la rectification des frontières de la Turquie et de la Grèce, la Porte a reçu, il y a quelque temps, une proposition faite par le marquis de Salisbury et approuvée par les puissances, d'après laquelle une commission internationale devait se rendre dans les provinces frontières pour déterminer cette rectification. Le gouvernement de S. M. le Sultan s'étant borné à signaler les difficultés que pourrait rencontrer dans l'exécution la combinaison à laquelle il était invité à souscrire, sans donner d'ailleurs aucune réponse définitive, les puissances médiatrices se sont trouvées dans l'obligation de considérer ce silence comme un refus et ont dû, par suite, aviser aux moyens de donner à bref délai à l'affaire de la rectification des frontières turco-grecques la solution qu'on avait inutilement essayé de concerter avec la Porte, et que réclame l'intérêt de la Turquie aussi bien que celui de la Grèce. Elles ont décidé, en conséquence, que leurs représentants près S. M. l'empereur d'Allemagne se réuniraient en conférence à Berlin, le 16 de ce mois, pour déterminer, à la majorité des voix et avec l'assistance d'officiers possédant des connaissances spéciales, la ligne de frontières qu'il convient d'adopter. Il est également convenu entre elles que, dès qu'une décision aura été prise par la Conférence, une commission pourra se transporter sur le terrain pour régler les questions de détail qui se rattachent au tracé général. «Les puissances constatent, d'un autre côté, que l'état de choses créé par la question de la frontière monténégrine réclame une attention plus grande encore et exige une urgente solution. Les autorités ottomanes n'ont pas mis à exécution la Convention récemment intervenue entre la Porte et le Monté

négro et à laquelle les puissances avaient donné leur adhésion dans le Protocole du 18 avril 1880. Elles ont compromis la combinaison acceptée par le gouvernement de S. M. le Sultan, en permettant aux Albanais d'occuper certaines positions adjugées aux Monténégrins; une collision peut se produire d'un moment à l'autre entre les troupes monténégrines, et les masses albanaises qui leur font face. Les puissances se voient donc dans la nécessité absolue d'inviter le gouvernement du Sultan a faire connaître, dans les termes les plus explicites, ses intentions en ce qui concerne la frontière monténégrine, et à mettre immédiatement en exécution pratique l'arrangement intervenu entre la Porte et le Monténégro. Les puissances font d'avance retomber sur la Porte la responsabilité des graves conséquences que pourraient entraîner de plus longs retards apportés à la satisfaction des droits acquis à cette principauté.

« L'attention des puissances a dû se fixer enfin sur un troisième point. Par l'article 61 du Traité du 13 juillet 1878, la Porte s'est engagée à exécuter sans plus de délai les améliorations et les réformes administratives que réclament les intérêts locaux dans les provinces habitées par les Arméniens, à garantir la sécurité de ces populations contre les agressions et les violences des Circassiens et des Kurdes et à faire connaître périodiquement les mesures prises à cet effet aux puissances chargées d'en surveiller l'application. Autant que le gouvernement de la République en est informé, la Porte n'a rien fait pour donner connaissance des mesures qu'elle aurait pu prendre pour se conformer aux stipulations de l'article 61 du Traité de Berlin. Aucune disposition n'a été prise par elle, relativement à la surveillance que doivent exercer les puissances. Tous les rapports émanant des agents des puissances prouvent que la situation de ces provinces est déplorable, et le gouvernement de la République ne saurait admettre que les clauses du Traité de Berlin, relatives à l'amélioration de cet état de choses, restent plus longtemps à l'état de lettre morte. Convaincu, d'ailleurs, que l'action commune et incessante des puissances peut seule amener la Porte à s'acquitter des devoirs qui lui incombent à cet égard, le gouvernement de la République française, en tant que signataire du Traité de Berlin, se voit dans l'obligation de réclamer l'entière et immédiate exécution de l'article 61 de cet acte, et d'inviter le gouvernement de S. M. le Sultan à exposer explicitement les mesures qu'il a prises pour se conformer aux dispositions de ce même article.

«En portant ce qui précède à la connaissance de Votre Excellence, je me fais un devoir d'appeler sa sérieuse attention sur la gravité des responsabilités que ferait encourir à la Porte tout nouveau retard apporté à l'exécution des mesures que les puissances s'accordent à considérer comme imposées par l'intérêt de l'empire ottoman aussi bien que par celui de l'Europe.»

Le document qu'on vient de lire ressemble à beaucoup d'autres qui existent dans les papiers de la Porte; nous nous rappelons en ce moment la note que les ambassadeurs lui ont remise en 1859 comme ressemblant de près à celle de 1880; en outre, celle-ci reproduit presque textuellement des dispositions du Traité de Berlin; la S: Porte ne pourra pas perdre beaucoup de temps à en faire la traduction: une première réponse ne saurait tarder à arriver aux Ambassades. Fort possible cependant que le ministère soit changé auparavant, cela permettra de gagner encore quelques jours; on appelle cela gagner en Turquie, malgré toutes les traductions contraires données par le dictionnaire des antécédents.

D'ORIENT

Suite. Voir No 2, p. 53.

III

Si la Turquie est arrivée à ce point de décadence que ses amis en sont inquiets plus qu'elle-même, est-ce bien à elle et à elle seule qu'en incombe la responsabilité? Cette question mérite d'être examinée, car elle renferme la solution de toutes les difficultés de l'heure présente.

Lord Beaconsfield l'a déclaré au Congrès de Berlin et c'est une vérité manifeste dans l'histoire de tous les peuples, une perte de provinces n'entraîne pas forcément la ruine d'un Etat, une diminution de territoire est souvent un motif de régénération, et mieux qu'une période de gloire, elle peut fixer la date de la vraie grandeur le malheur retrempe les caractères.

Pour son plus grand malheur, la Turquie ottomane n'a jamais été malheureuse, de même qu'elle n'a jamais connu le bonheur. Les évènements ont passé sur elle, favorables ou défavorables, sans exercer en aucune manière une influence sur son caractère, sur ses dispositions, sur ses institutions.

Qu'on la voie dans sa période de gloire et de succès militaires elle subjugue des royaumes dont elle fait des provinces, et elle s'acharne à ruiner ses nouvelles conquêtes; sous son administration, les provinces subissent plus de pertes. que sous les coups des janissaires qui viennent d'en faire la conquête. Ce n'est pas une administration que reçoivent ces provinces, c'est une exploitation, c'est un pillage, c'est un esclavage. Ruinées par la guerre, ruinées par la paix, elles l'étaient journellement par les exactions des feudataires qui avaient acheté ou reçu le droit de s'enrichir de leurs dépouilles; elles l'étaient journellement par le passage des troupes impériales autant qu'elles auraient pu l'être par une invasion ennemie. Ce n'était pas le fanatisme religieux qui dominait, régnait, gouvernait; non, car les provinces qui avaient connu l'Islamisme avant les Turcs, celles même qui

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