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faction composée de philosophes, de beaux esprits, de francs-maçons, de praticiens et de courtisans méditoit depuis long-temps la subversion de la religion et de la monarchie. Le désordre des finances, la foiblesse trop bien connue du gouvernement, l'audacieuse impéritie du ministre Brienne, les fautes des Parlemens, l'imprudente convocation des Etats-Généraux, les vues perfides et l'hypocrite popularité de Necker avoient amené le moment où la faction pouvoit écla ter. Les conjurés surent profiter de l'inquiétude et de l'agitation des esprits: ils soulevèrent le peuple par le cri de la liberté; et pour semer la division entre les ordres de l'Etat, ils présentèrent la chimère de l'égalité à ceux qui, jouissant au sein de l'abondance des douceurs d'une vie paisible, se croyoient humiliés par les prérogatives des conditions supérieures, et ne voyoient pas qu'un nivellement universel les éleveroit moins qu'il ne les déprimeroit. Le Tiersétat se prévalut de l'accroissement de ses richesses, pour s'attribuer une plus grande prépondérance dans la Constitution; et cet accroissement de richesses étoit la. preuve la plus sensible de la sagesse de notre Consti

tution, et de sa conformité avec le véritable intérêt du Tiers-état.

Voilà le commencement, et comme le premier acte de la Révolution. Bientôt, réclamant à son tour l'égalité, le petit peuple déconcerte l'ambition des factieux, et la sotte vanité des bourgeois écrase tout par sa masse, et fait une guerre ouverte aux propriétaires. Il s'arme contre eux de leurs maximes et de leurs exemples. Car si l'on a pu, en vertu de l'égalité, dépouiller le Clergé et la Noblesse du rang et des priviléges dont ils étoient en possession, dès l'origine de la monarchie; si, au mépris des titres les plus autentiques et de la prescription la plus légitime, il a été permis de leur enlever leur patrimoine, pourquoi le peuple ne reviendroit-il pas contre le partage inégal des propriétés? Les biens des familles appartiennent-ils moins à la nation que ceux du Clergé? et qu'est-ce qui compose la nation, sinon cette classe nombreuse, si longtemps dévouée au travail et à l'indigence, qui enfin rentre dans ses droits naturels, en mettant l'égalité à la place des institutions tyranniques de la société?

Ainsi raisonneroit la populace, si pour justifier ses excès, la populace avoit besoin

d'invoquer un autre droit que celui du plus fort. Et cependant, victimes de leurs principes immoraux, ces lâches et avides propriétaires, qui se partageoient en idée les riches dépouilles de la Noblesse et du Clergé, ont tout perdu, j'usqu'au droit de se plaindre. Tel est le second acte de la Révolution.

Dans cette sanglante tragédie, le trouble et l'horreur vont toujours croissant. Après avoir fait justice des premiers ravisseurs, le peuple se punit de ses propres mains. Ces richesses qu'il avoit envahies, il ne sait ni les conserver, ni les distribuer, ni les administrer. Elles deviennent la proie de ses agitateurs, le prix de l'audace et du crime, l'instrument de la tyrannie. Un petit nombre de scélérats, plus habiles que les autres, se sont partagé les terres, les châteaux, l'or, les effets précieux, et n'ont laissé au peuple qu'un vil papier empreint du sceau de la révolte et du sacrilege. Les vraies sources de la richesse, l'industrie, le travail, le commerce ont disparu. Il ne reste que le remords, la misère et des dissentions interminables.

C'est ainsi que la Providence se justifie, et que dans le désordre des révolutions po

pulaires, on voit éclater l'ordre immuable de la justice éternelle. La paix, la prospérité, la gloire sont pour les nations le prix des vertus civiles et morales: la discorde, la misère, l'opprobre marchent à la suite de la révolte, de la licence et de l'immoralité.

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Pour renfermer en peu de mots le résultat de tout ce que j'ai dit dans ce chapitre, j'emprunterai les paroles d'un écrivain que que l'on peut appeler le précurseur de la Révolution. La chimère de l'égalité est la » plus dangereuse de toutes dans une société policée. Prêcher ce système au peuple, ce n'est pas lui rappeler ses droits, c'est l'inviter au meurtre et au pillage: c'est déchaîner des animaux domestiques, et les » changer en bêtes féroces. " (*)

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CHAPITRE IV.

De la Souveraineté du Peuple.

Le principe de la souveraineté du Peuple, long-temps enseveli dans les écrits obscurs de Buchanan, de Milton et de Jurieu, a pris de l'éclat sous la plume éloquente de Rous

(*) Rainal. L. 18.

seau.

C'est dans le Contrat social que nos démagogues ont puisé ce dogme fondamental de la science révolutionnaire. Combien eût frémi le Philosophe de Genève, à la seule pensée des épouvantables conséquences de son système politique! lui, quidit, quelque part, qu'une révolution seroit trop achetée, si elle coûtoit une seule goutte de sang. Mais, quelque jugement que l'on porte sur son caractère, et sur ses intentions, la postérité ne prononcera jamais son nom, l'associer aux crimes d'une révolution, dont il est en quelque sorte le législateur; et sa mémoire demeurera éternellement flétrie par le décret qui l'a condamné à partager avec Marat les honneurs du Panthéon.

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Suivant l'Auteur du Contrat social, il faut distinguer le Souverain, d'avec le Gouvernement. Le Souverain, c'est la volonté générale, c'est-à-dire, le Peuple, de qui émane essentiellement tout pouvoir, et qui ne pouvant se lier irrévocablement, est toujours en droit d'abroger les lois anciennes, et d'en instituer de nouvelles, Le Gouvernement n'est que le ministre et le délégué du Souverain. Le peuple se réserve la puissance législative, laquelle appartient à la

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