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On ne saurait s'empêcher d'admirer cette manière de procéder, quelque éloignée qu'elle soit de nos mœurs, car l'impression que la vertu fait sur nous est si forte, que nous l'aimons jusques dans nos ennemis mêmes ( ceci était écrit en en 1781) (1): Tanta vis probitatis est, ut eam in hoste etiam diligamus. Cicéron, de amicitiâ, cap. 9. Les juges en Angleterre ne croient pas que ce soit assez de bien faire; ils donnent les motifs de leur décision, afin qu'on sache qu'on est soumis à l'empire de la loi, plutôt qu'à l'autorité de l'homme. Il ne suffit pas (dit Blackstone, ch. 23 ) que l'administration de la justice soit chaste; il faut de plus qu'on ne puisse la soupçonner de ne pas l'être. Consulté de la part des sieurs Lavabre, Doerner et compagnie, je répondis, 1°. que Bérard frères ayant rompu le fil des engagemens respectifs, il était juste qu'ils supportassent la peine de leur contravention; 2°. que, par le changement de voyage, les donneurs, tout comme les assureurs, sont déchargés des risques maritimes; que, par conséquent, les sieurs Lavabre, Doerner et compagnie étaient fondés à réclamer des sieurs Bérard frères les 180,000 liv. données à la grosse, le change maritime et l'intérêt de terre.

CONFÉRENCE.

CLXXIII. La doctrine professée par Emérigon est la conséquence des principes établis dans les art. 26 et 27, titre des assurances, de l'Ordonnance, dont les dispositions ont passé dans les art. 350 et 351 du Code de commerce.

Il ne faut pas perdre de vue que le voyage assuré doit concorder tant avec le voyage légal qu'avec le voyage réel du navire. L'assurance est annulée et ne peut plus avoir d'effet, dès que le navire est parti pour une autre destination que celle indiquée par la police, soit que le lieu de cette destination soit hors de la route de ce voyage, soit qu'il soit sur cette route et même plus près de la route du départ. La seule circonstance d'entreprise d'un nouveau voyage opère la nullité du contrat d'assurance; on ne peut, après coup, faire revivre ce contrat. Ainsi, le voyage assuré est nul quand même le navire, porteur d'expéditions pour un autre voyage que celui assuré, reprendrait la route pour ce voyage.

D'un autre côté, la déviation du navire rompt le contrat d'assurance. Là où il y a déviation, le contrat est par cela et dès cet instant rompu; il n'existe plus, et il ne peut plus revivre de nouveau. Ces principes sont d'autant plus équitables, que, dans différentes occasions, il peut y avoir dol et fraude de la part des intéressés.

La permission de naviguer à droite et à gauche, de faire échelle, d'aller et revenir, etc., n'em

- (1) Nous recevons dans le moment l'agréable nouvelle que, le 20 du présent mois de janvier 1783, les préliminaires de la paix, entre le roi et le roi de la Grande-Bretagne, ont été signés à Versailles.

porte pas la faculté de changer le voyage et la destination annoncée du navire; elle donne seulement la faculté de détourner un peu de la route, pour toucher à quelque port étant à droite ou à gauche, afin d'y décharger des marchandises, et en charger d'autres à la place; d'aller et revenir d'un port à un autre, même en rétrogradant, de manière que le navire revienne toujours à sa route pour se rendre à la destination exprimée par la police. «Mais, dit Pothier, » cette clause ne permet pas de changer entièrement de voyage; c'est pourquoi, nonobstant » cette clause, les assureurs sont déchargés, si le navire faisait un autre voyage. >>> - Voyez Pothier, des assurances, no. 74, et Valin sur l'art. 27, titre des assurances, de l'Ordonnance; voyez d'ailleurs les conférences sur les sections précédentes ).

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$1. Depuis tel jour. Depuis telle ville.

J2.

SECTION XVII.

Du terme à quo.

DANS les sect. 1 et 2 du présent chapitre, j'ai parlé du tems limité, et dans la sect. 4, j'ai fait des observations générales sur le terme à quo.

Si l'on prend risque depuis telle ville, sans autre explication, cela doit s'entendre, à l'égard des marchandises, depuis qu'elles auront été chargées, et à l'égard du navire, depuis qu'il aura mis à la voile du port ou rade de ladite ville; car, dans le doute, les clauses générales s'interprètent suivant le droit commun. Santerna, part. 3, no. 39.

Dans les polices qu'on fait pour les vaisseaux qui doivent partir de Nantes Risque sur le ou de Bordeaux, où il y a des rivières à descendre, il est assez d'usage que les aura commencé à assureurs prennent risque sur le corps du jour qu'il aura commencé à prendre prendre charge.

corps, depuis qu'il

§ 3.

sur le corps courra

charge.

Le même usage se pratique très-souvent pour les vaisseaux qu'on fait assurer de sortie de Marseille, et pour ceux qu'on fait assurer de sortie des Iles françaises de l'Amérique.

Dans tous ces cas, le pacte des parties fait taire la disposition de l'art. 13, titre des contrats à la grosse.

La clause que le risque courra à l'égard du corps, depuis que le navire sera Pacte que le risque mis sous charge, est à peu près la même que la précédente. En voici un exemple: Par police du 10 janvier 1767, le sieur Émérigon de Moissac se fit assurer 10,000 liv., de sortie des Iles françaises de l'Amérique, sur le corps du senaut le Bien-Venu. Il fut stipulé « que le tems du risque courrait du jour et heure

depuis que le navire

sera mis sous charge.

, que le senaut aurait commencé à être mis sous charge, jusqu'à ce qu'il fût ar› rivé à Marseille. »

Le navire était à la Guadeloupe. Le 13 avril suivant, il fut visité et trouvé en état de faire son retour en France; mais avant d'avoir commencé à prendre charge, l'équipage requit une nouvelle visite, et par décret du 25 du même mois, le senaut fut déclaré innavigable.

Le sieur Émérigon me demanda mon avis. Je lui répondis qu'il n'avait aucune action ni contre ses assureurs d'entrée, ni contre ses assureurs de sortie; que le navire n'aurait été sous charge que lorsque le chargement de sortie aurait été commencé. D'autres avocats furent d'un avis contraire. Les assureurs de sortie furent mis en cause. Sentence du 21 mars 1770, qui les mit hors de Cour et de procès. Arrêt du mois de mai 1771, au rapport de M. de Lubières, qui confirma la sentence.

Le sieur Émérigon, qui avait fait faire des assurances pour l'aller, et des assurances pour le retour, me disait que son intention avait été d'avoir des assureurs pour son navire pendant tout le tems du voyage. Vous auriez raison, lui répliquais-je, si vos assurances avaient été faites en primes liées, pour l'aller et le retour. Dans ce cas, les assureurs seraient responsables de tout sinistre arrivé depuis le départ de Marseille, jusqu'au retour à Marseille. L'aller et le retour n'auraient alors formé qu'un seul et même voyage assuré, suivant la doctrine de nos auteurs. Casaregis, disc. 67, n°. 5. Straccha, de navig.,pag. 470, n°. 15, etc.

Mais vos assurances sont faites en primes déliées. Vous avez fait assurer de Marseille jusqu'aux Iles : voilà un voyage. Dès le moment que le senaut est arrivé heureusement aux Iles, vos premiers assureurs ont été déchargés de tout risque. Ensuite yous avez fait assurer de sortie des Iles, avec la clause que le tems du risque courra du jour et heure que le senaut aura commencé à être mis sous charge, jusqu'à ce qu'il soit arrivé à Marseille. Le risque n'aurait donc été pour compte de vos assureurs de sortie, que depuis le jour que le navire à la Guadeloupe aurait été mis sous charge. Il ne l'a jamais été. Il a été déclaré innavigable avant que le chargement eût été commencé. Par conséquent le risque de vos seconds assureurs n'a jamais couru.

Pour remplir vos idées et votre intérêt, il eût fallu, par des assurances intermédiaires, vous faire garantir le risque du navire depuis son arrivée aux Iles, jusqu'à ce qu'il eût été mis sous charge. Vous n'avez pas pris cette précaution. Vous n'avez considéré que deux choses, le voyage d'entrée, et le Voyage de sortie. Vous n'avez pas fait attention au séjour du navire sur les

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T. II.

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S4.

Pacte que le risque

lieux. Vous vous êtes trompé, et vous devez vous consoler d'une perte qui vous est propre, malgré vos deux assurances, qui n'ont aucune liaison l'une avec l'autre.

On stipule quelquefois que le risque de sortie courra sur le corps depuis courra depuis que le que le navire sera arrivé aux Iles françaises de l'Amérique. Suprà, ch. 12, secnavire sera arrivé tion 38, § 5.

aux Ites.

Par le moyen de cette précaution, les assurances d'entrée et de sortie ne laissent aucun milieu, et l'on ne craint point de se trouver sans assureurs. Mais alors il faut que les assurances d'entrée sur le corps aient été taxativement faites jusqu'à l'arrivée du navire aux Iles françaises; sans quoi les assurances d'entrée et celles de sortie se croiseraient, et se trouveraient doubles. Dans le cas où l'arrivée aux Iles est le terme d'entrée ou de sortie, il faut que le vaisseau soit arrivé dans le lieu des Iles pour lequel il était destiné, Infrà, sect. 18, § 3, et sect. 20,

CONFÉRENCE.

CLXXIV. Les risques maritimes se mesurent sur l'étendue du voyage assuré; ils existent, pour le compte des assureurs, pendant tout le tems de ce voyage. Alors, il s'agit ici de savoir de quel moment courent les risques. Nous verrons dans la section suivante à quelle époque ils finissent.

Le lieu ou le tems d'où le risque commence à courir pour compte des assureurs s'appelle le terme à quo. Ce terme, qui peut recevoir différentes modifications dans les polices, puisque les assureurs peuvent prendre risque comme bon leur semble, et en fixer le tems et la durée, indépendamment des dispositions de la loi, ce terme, disons-nous, est interprété par des observations générales de notre auteur, puisées dans des usages des places maritimes. Ainsi, ces différentes espèces d'assurances établies par Emérigon, ne sont rapportées ici et dans la section suivante que comme exemples, pour servir à l'application des principes, relativement au tems et à la durée des risques.

Du reste, il suit de la doctrine d'Emérigon qu'il faut distinguer le lieu du départ et le lieu du chargement, deux choses bien différentes, et qui ont été confondues par Pothier, n°. 109. Le lieu du départ, pour l'assurance, est celui d'où le navire doit partir ou est parti pour faire le voyage assuré, quoiqu'il puisse venir de plus loin. Le lieu du chargement est celui où le navire prend la marchandise, et ce lieu peut être celui du départ, quant au voyage assuré, comme il peut être un port où il a été auparavant, ou un port dans lequel il entre sur sa route.

Si, dans la police, on n'a pas énoncé le lieu du chargement, mais seulement celui du départ, l'assurance a son effet dès que la marchandise a été chargée, soit que ce chargement ait eu lieu à l'endroit du départ du navire, soit avant, soit dans un port de la route, pouvu que la police donne la faculté de faire échelle,

Mais si la police énonçait le lieu du chargement, l'assurance serait nulle, si le chargement

n'était pas fait dans le lieu désigné, c'est-à-dire si cette énonciation n'était pas exacte. En effet, par exemple, on ne peut appliquer à des cotons chargés en un lieu une assurance faite sur des cotons chargés en tel autre lieu.

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Néanmoins, s'il était bien démontré qu'il existait des circonstances extraordinaires, une force majeure, qui auraient empêché d'aller par mer prendre les marchandises dans le lieu désigné, et que ces marchandises n'ont pu être chargées que dans un lieu voisin où elles ont été transportées par terre; s'il n'y avait ni dol, ni fraude, et qu'il fût bien constaté que c'étaient les mêmes que celles énoncées dans la police, et qu'on a entendu faire assurer, nous pensons le contrat d'assurance devrait être maintenu. Dans ce cas, il faut revenir à ce principe que l'assurance est un contrat de bonne foi.

que

SECTION XVIII.

Du terme ad quem."

VIDE suprà, sect. 1 et 2, où j'ai parlé du tems limité et du tems illimité, et la sect. 4, où j'ai fait des observations générales sur le lieu ad quem.

L'assurance faite jusqu'à telle ville, s'entend jusqu'au port de cette ville, soit que le navire puisse y parvenir, soit qu'il faille décharger les marchandises par bateaux. Santerna, part. 3, no. 39.

On emploie le mot jusques, non seulement pour comprendre toute l'étendue de mer qui se trouve d'un point à l'autre, mais encore pour exclure tous lieux plus éloignés : Sed etiam ad excludendum ulteriorem progressum. Casaregis, disc. 67, no. 22.

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§ 1. Jusqu'à tel lieu.

Jusqu'à telle ville.

§ 2.

Arrivée aux infir

L'arrivée aux infirmeries ne termine pas le voyage. (Cleirac, sur le Guidon de la mer, ch. 9, art. 15). Car, suivant l'Ordonnance, le voyage (pour ce qui meries. concerne le corps) n'est fini que lorsque le navire est ancré au port de sa destination, et amarré à quai; et quant aux marchandises, lorsqu'elles sont délivrées à terre.

Un navire fut frété à Amsterdam, pour une année, à raison de 1,500 florains par mois, de sortie et d'entrée à Amsterdam, pour faire voile dans les différens ports du Ponent de la Méditerranée, à condition que dans tous les ports où il s'arrêterait pour décharger, le nolis gagné jusques alors serait payé par l'affréteur. Le 21 septembre 1748, ce navire arriva dans le golfe de Marseille. On l'obligea à faire quarantaine à Pomègue. Les marchandises furent transportées au lazaret. Enfin, le 30 octobre suivant, le tout entra dans le

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