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Il est possible que pendant que toute la France attend avec le plus grand désir, avec le plus grand empressement, la fin de vos travaux, il est possible, dis-je, que cette discussion sur le fond se prolonge de six semaines, et peut-être davantage; il est certain qu'alors même vous ne pourriez pas vous refuser aux réclamations qui pourraient vous venir des différentes parties du royaume afin de solliciter le changement, la modification de beaucoup de décrets; et je vous demanderai, comme faisait un jour M. Barnave dans une autre circonstance achevons-nous la Constitution, ou en faisonsnous une nouvelle? (Applaudissemens au fond de la gauche.) La Constitution est faite... ( Applaudissemens. › Et quand j'ai parlé, messieurs, des réclamations qu'on pourrait faire, que serait-ce donc s'il se trouvait parmi nous des gens qui, au lieu de faire une Constitution pour la nation voulussent faire une Constitution pour eux-mêmes! ( On rit à droite, on applaudit à gauche.) ·

.

>> Toutes les réflexions qu'a présentées M. Thouret sur les inconvéniens qui pourraient résulter du décret que vous aviez rendu précédemment s'appliquent à tous les systèmes. J'observerai encore en passant qu'il n'a pas parlé de l'application qu'on pourra en faire aux pays vignobles. Moi qui connais la ci-devant province dont je suis député, j'atteste, comme on l'a dit hier pour d'autres, qu'il est différens cantons où l'on ne pourra pas trouver d'électeurs ; .et qu'arrivera-t-il de là ? C'est que la plupart même des citoyens actifs ne Youdront pas fréquenter les assemblées primaires; ils sont déjà trop dégoûtés malheureusement dans beaucoup d'endroits, ainsi qu'on le voit par la négligence qu'on a mise dans la capitale pour assister aux assemblées primaires.

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Effectivement, messieurs, la plupart ne se soucieront pas 'd'aller assister à une assemblée dans laquelle ils ne pourront pas espérer de parvenir au grade d'électeur, et ils ne seraient la en quelque sorte que pour se nommer des maîtres,... (Applaudissemens. ) Des dispositions de cette nature ne sont propres qu'à corrompre le caractère national, qu'à étouffer l'émulation, les vertus et le feu de la liberté. Il en résulterait qu'à la fin les lois, au lieu d'être l'expression de la

volonté de tous, de la majorité de la nation, ne seraient réellement que le vœu de la minorité. Il en résulterait, comme on vous l'a dit hier, que les électeurs se perpétueraient dans une certaine classe, dans un certain nombre de familles; et cet inconvénient augmentera d'autant plus que l'impôt diminuera : alors, messieurs, le pouvoir législatif se trouvera placé dans un certain nombre de familles. On a tant parlé d'aristocratie, et la voilà l'aristocratie! (Applaudissemens.) Vous concentrerez la représentation entre quelques citoyens riches et grands propriétaires. Et qu'on ne dise pas que les citoyens peu fortunés seront dédommagés par l'éligibilité à la législature; les électeurs riches descendront-ils pour faire leurs choix parmi les simples habitans des campagnes ? Vous verrez une nouvelle noblesse renaître; vous aurez des patriciens, et vingt millions de plébéiens sous leur dépendance! » On dit que la condition qu'on propose est le seul moyen d'avoir un bon corps législatif; mais les communes de France n'ont-elles pas montré un courage inébranlable contre tous les genres de despotisme, de séduction et d'aristocratie ! N'ontelles pas elles seules assuré notre liberté? Comment avezvous été choisis, messieurs? Par des citoyens qui la plupart ne payaient pas une contribution équivalente à trente journées de travail, par des hommes qui en faisant le bien ne pensaient pas qu'on les dépouillerait de leurs intérêts les plus chers, que vous immoleriez leurs droits.

» Je demande la question préalable sur tout ce que vous proposent les comités, et je demande encore, comme je le disais hier, que l'Assemblée consacre solennellement aujourd'hui l'universalité de tous ses décrets. « (Applaudissemens à l'extrémité gauche.)

Les débats se prolongent les mêmes objections, reproduites par d'autres orateurs du côté gauche, ramènent les mêmes répliques de la part des comités et de leurs partisans. Sur ce qu'après avoir entendu successivement MM. Chapelier et Dandré pour la défense du projet beaucoup de membres du centre demandent que la discussion soit fermée, M. Vernier fait observer que, les

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comités ayant fait marcher leur arrière garde et leur corps de réserve, il est juste qu'on leur oppose de nouveaux adversaires : il attaque encore le projet; mais il conclut à ce que la question soit ajournée jusqu'à la fin de la révision, et l'Assemblée adopte presque unanimement cet 'avis, qui ne conciliait pas les parties, mais qui du moins suspendait un combat devenu pénible pour tous. L'article 3 de la section suivante, conséquence nécessaire de la suppression proposée du marc d'argent, puisqu'il appelle tous les citoyens actifs sans distinction à être élus représentans, fut également ajourné jusqu'à la fin de la révision (1).

Sar l'élection des députés par plusieurs départemens. Sur l'exclusion des représentans de torite faveur, place et emploi à la disposition du pouvoir exécutif. - Sur les incompatibilités et la réélection.

On passa immédiaternent, dans la même séance du 12, à la section III (chapitre III, titre III). Toujours armés des décrets rendus constitutionnellement, les orateurs de l'extrémité gauche attendaient à chaque article le rapporteur des comités, et toute omission ou modification donnait lieu à de vifs débats. Cette troisième section avait surtout excité leur vigilance: le décret portant que les représentans ne pourraient être choisis que parmi les citoyens actifs du département électeur; celui qui défendait aux membres des assemblées nationales de recevoir ni dons, at pensions, ni emploi quelconque du pouvoir exécutif pendant la durée de leurs fonctions ni pendant quatre ans après en avoir cessé l'exercice (2); ces deux décrets étaient omis dans le projet imprimé : lé décret relatif aux fonctions incompa~ tibles avec celles de député ne se trouvait pas en entier

(1) Pendant cet intervalle les contendans se rapprochèrent; il y eut des conférences aux comités des contributions publiques, de constitution et de révision ; et le 27 du mêine mois l'Assemblée décréța, presque sans opposition, d'abord la suppression du marc d'argent, puis l'admission de tous les citoyens actifs au corps législatif, quelle que s soit leur contribution, et enfin les conditions pour être électeur. (Voyez la Constitution, art. 7, sect. II, chap. Ier du titre III, et art. 3 de la section III du même chapitre. )

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(2) Voyez tome V, Organisation du ministère.

dans l'article de cette section qui établit les incompatibilités; enfin, après l'article 6, lequel contient le décret sur la rééligibilité (1), décret si difficilement obtenu, on lișait

cette note:

Les comités de constitution et de révision regardent la limitation contenue dans cet article comme contraire à la liberté, et nuisible à l'intérêt national. ».

Ces omissions d'une part, cette réserve de l'autre, avaient accru la défiance, préparé des objections; aussi M. Thouret fut-il bientôt interrompu dans la lecture de cette section. La première réclamation, faite par M. Goupilleau, eut pour objet principal le rétablissement du décret qui interdit les choix hors du département électeur, décret rendu en novembre 1789, après une discussion que nous rapporterons d'abord.

Le 18 novembre 1789 M. Target mit en délibération l'article suivant, qui faisait partie du grand travail sur l'organisation des municipalités et de la représentation natio

nale:

« Les électeurs des assemblées primaires, réunis par département, choisiront les députés à l'Assemblée nationale parmi les éligibles de tous les départemens du royaume. »>

M. le marquis d'Ambli. « En adoptant cet article les députés seraient toujours pris dans les villes principales du royaume. Pour éviter cet inconvénient je demande que les députés qui seront nommés pas chaque assemblée de département soient exclusivement choisis parmi les éligibles du département électeur. »

M. Garat aîné. « Je ne puis adopter cet avis, parce qu'il me semble que d'après tous les principes chaque assemblée de département doit avoir la liberté de fixer ses regards sur les vertus et sur les lumières partout où elles se trouve

ront. >>

M. Rewbell. « En divisant les provinces vous vous êtes proposé de détruire l'esprit de province; si vous adoptez la motion de M. d'Ambli vous consacrez cet esprit, et vous

(1) Voyez tome V, Organisation du corps législatif, de la rééligibilité.

aurez quatre-vingts provinces au lieu de trente-deux généralités. Nous ne nous considérons pas dans cette Assemblée comme députés de tel ou tel bailliage; le parti qu'on vous propose pour les assemblées qui nous suivront, les remplira de députés des départemens, et non de représentans de la

nation. »

M. d'Ambli. « Les préopinans poussent un peu trop loin le principe; ils oublient que les besoins locaux doivent aussi être représentés; ils oublient qu'en adoptant l'article du comité au lieu d'esprit national on n'aurait que l'esprit de la capitale et de la cour: les gens riches qui entourent le trône et qui sont l'ornement de Paris seront répandus dans les provinces au moment des élections; ils y ont fait valoir l'influence trop puissante des dignités et de la fortune : il est vrai que si l'on devait la suite être soumis aux orages que nous avons éprouvés ils ralentiraient leurs poursuites.

par

» Il n'est pas dit qu'on doive oublier ses intérêts naturels et ceux de sa province pour je ne sais quel esprit général. On réclame la liberté des électeurs; c'est un abus, c'est une illusion; la liberté réelle doit avoir pour objet d'être bien et de faire le bien de tous. » (Aux voix, aux voix.)

M. Target propose cet amendement à l'article du comité:

« Et néanmoins qu'il y ait au moins les deux tiers des députés choisis parmi les éligibles du département. »

M. le marquis d'Ambli. « Le grand intérêt de la France est la population, qui fait la richesse des empires; vous ne l'encouragerez pas dans les campagnes si vous donnez aux villes une trop grande influence.

» Si vous permettez que le tiers des représentans d'un département soit pris hors de ce département, aussitôt que le roi aura publié des lettres de convocation pour une assemblée nouvelle vous verrez se répandre dans les provinces un essaim de prélats et de gens de cour que nous avons appelés dans la dernière élection des coureurs de bailliages. N'espérez pas que vous aurez toujours des rois citoyens et des ministres honnêtes gens quand un gouvernement voudra ressaisir le pouvoir arbitraire il fera ce que font nos voisins; il cabalera, il intriguera, il corrompra les électeurs, et l'Assemblée nationale se trouvera composée d'un tiers de députés engagés par l'espoir des faveurs ou des emplois à détruire la Constitution.» (Aux voix, aux voix la motion de M. d'Ambli.)

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