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à la garde de ces nombreuses contrées, et de plus à leur gouvernement, depuis que ses frères y régnaient.

Sept. 1806.

Difficultés

ment

de Joseph Bonaparte à Naples.

On ne doit pas se dissimuler qu'en plaçant dans sa famille la couronne des Deux-Siciles, Napoléon avait de l'établisseajouté autant à ses difficultés qu'à sa puissance. En examinant de près les soucis, les dépenses d'hommes et d'argent que lui coûtait le nouvel établissement de son frère Joseph à Naples, on est conduit à croire qu'au lieu de chasser les Bourbons de l'Italie méridionale, il eût peut-être mieux valu les y laisser soumis, tremblants, punis de leur dernière trahison par de fortes contributions de guerre, par des réductions de territoire, et par la dure obligation d'exclure les Anglais des ports de la Calabre et de la Sicile. Il est vrai qu'on n'aurait pas achevé ainsi de régénérer l'Italie, d'arracher ce noble et beau pays au système barbare sous lequel il vivait opprimé, de l'associer complétement au système social et politique de la France; il est vrai qu'on aurait toujours eu dans les cours de Naples et de Rome deux ennemis cachés, prêts à appeler les Anglais et les Russes. Mais ces raisons, qui étaient puissantes assurément, et qui justifiaient Napoléon d'avoir entrepris la conquête de la péninsule italienne, depuis l'Izonzo jusqu'à Tarente, devenaient alors des raisons décisives, non pas de limiter ses entreprises au midi de l'Europe, mais de les limiter au nord, car la Dalmatie exigeait vingt mille hommes, la Lombardie cinquante mille, Naples cinquante mille, c'est-à-dire cent vingt mille pour l'Italie seule; et s'il en fallait encore deux ou trois

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cent mille du Danube à l'Elbe, il était à craindre qu'on ne pût pas longtemps suffire à de telles charges, et qu'on succombat au nord pour s'être trop étendu au midi, ou au midi pour avoir trop tenté

au nord. Nous répéterons en cette occasion ce que nous avons dit ailleurs, qu'à se borner quelque part, il valait mieux se borner au nord, car la famille Bonaparte cherchant à s'étendre en Italie ou en Espagne, comme l'avait fait l'ancienne maison de Bourbon, agissait dans le vrai sens de la politique française, bien plus qu'en travaillant à se créer des établissements en Allemagne.

Joseph, bien accueilli par la population éclairée et riche que la reine Caroline avait maltraitée, applaudi même un instant par le peuple comme une nouveauté, surtout dans les Calabres qu'il venait de parcourir, Joseph avait pu cependant s'apercevoir bientôt de l'immense difficulté de sa tâche. N'ayant ni matériel dans les magasins et les arsenaux, ni fonds dans les caisses publiques, car le dernier gouvernement n'avait pas laissé un ducat, obligé de créer tout ce qui manquait, et craignant de charger d'impôts un peuple dont il recherchait l'attachement, Joseph était plongé dans de cruels embarras. Demander à un pays son argent, quand on avait à lui demander aussi son amour, c'était peut-être se faire refuser l'un et l'autre. Il fallait pourtant fournir aux besoins de l'armée française, que Napoléon n'était pas habitué à solder lorsqu'elle était employée hors de France, et Joseph tirait sur le trésor impérial des traites, auxquelles il suppliait son frère de faire honneur. Sans cesse il réclamait des subsides et des troupes, et Napoléon lui répondait qu'il avait sur les bras l'Europe entière, secrètement ou publiquement conjurée, qu'il ne pouvait pas payer, outre l'armée de l'Empire, l'armée des royaumes alliés, que c'était bien assez de prêter ses soldats à ses frères, mais qu'il ne pouvait pas encore leur prêter ses finances. Toutefois les événements survenus dans le royaume de Naples avaient obligé Napoléon à ne plus rien refuser de ce qu'on sollicitait de lui.

Gaëte, la place forte du continent napolitain, était la seule ville du royaume qui ne se fût pas rendue à l'armée française. Cette forteresse, construite à l'extrémité d'un promontoire, baignée par la mer de trois côtés, ne touchant à la terre que par un seul, et de ce côté dominant le sol environnant, défendue en outre par des ouvrages réguliers, à trois étages de feux, était fort difficile à assiéger. Elle retenait devant ses murs une partie de l'armée française, occupée à des cheminements qu'il fallait souvent exécuter dans le roc, tandis qu'une autre partie de cette armée gardait Naples, et que le reste, dispersé dans les Calabres, pour contenir la révolte prête à éclater, ne présentait partout que des forces disséminées. La fin de l'été, si funeste en Italie aux étrangers, avait décimé les troupes françaises, et on n'aurait pas pu réunir six mille hommes sur un même point.

Napoléon, dont la correspondance avec ses frères devenus rois mériterait d'être étudiée comme une suite de leçons profondes sur l'art de régner, gourmandait quelquefois Joseph, avec une sévérité inspirée par sa raison, nullement par son cœur. Il

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Siége de Gaéte.

Sévères conseils de Napoléon à son frère Joseph.

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lui reprochait d'être faible, inactif, livré à toutes les illusions d'un caractère bienveillant et vain. Joseph n'osait pas lever des impôts, et cependant il voulait composer une armée napolitaine, il prétendait former une garde royale, il retenait autour de lui pour sa sûreté personnelle une grande partie des troupes mises à sa disposition, il dirigeait mal le siége de Gaëte, il ne faisait enfin aucun préparatif pour l'expédition de Sicile.

Ce que vous devez à vos peuples, lui écrivait Napoléon, c'est l'ordre dans les finances, mais vous ne pouvez leur épargner les charges de la guerre, car il faut des impôts pour payer la force publique. Naples doit fournir cent millions, comme le vice-royaume d'Italie, et sur ces cent millions trente suffisent pour payer quarante mille hommes. (Lettre du 6 mars 1806.) N'espérez pas vous faire aimer par la faiblesse, surtout des Napolitains. On vous dit que la reine Caroline est odieuse, et que déjà votre douceur vous rend populaire : chimère de vos flatteurs! Si demain je perdais une bataille sur l'Izonzo, vous apprendriez ce qu'il faut penser de votre popularité, et de la prétendue impopularité de la reine Caroline. Les hommes sont bas, rampants, soumis à la force seule. Supposez un revers (ce qui peut toujours m'arriver), et vous verriez ce peuple se lever tout entier, crier mort aux Français! mort à Joseph! vive Caroline! Vous viendriez dans mon camp! (Lettre du 9 août 1806.) C'est un sot personnage que celui d'un roi exilé et vagabond. Il faut gouverner avec justice et sévérité, supprimer les abus de l'ancien régime, établir l'ordre partout, empêcher les dilapidations des Français comme des Napolitains, créer des finances, et bien payer mon armée, par laquelle vous existez. (Lettre du 22 avril 1806.) Quant à une garde royale, c'est un luxe digne tout au plus du vaste empire que je gouverne, et qui me paraîtrait même trop coûteux, si je ne devais faire des sacrifices à la majesté de cet empire, et à l'intérêt de mes vieux soldats, qui trouvent un moyen de bien-être dans l'institution d'une troupe d'élite. Quant à composer une armée napolitaine, gardez-vous d'y songer. Elle vous abandonnerait au premier danger, et vous trahirait pour un autre maître. Formez, si vous le voulez, trois ou quatre régiments, et envoyez-lesmoi. Je leur ferai acquérir, ce qui ne s'acquiert qu'à la guerre, la discipline, la bravoure, le sentiment de l'honneur, la fidélité, et je vous les renverrai dignes de former le noyau d'une armée napolitaine. En attendant prenez des Suisses, car je ne pourrai pas longtemps vous laisser cinquante mille Français, fussiez-vous en mesure de les payer. Les Suisses sont les seuls soldats étrangers qui soient braves et fidèles. (Lettre du 9 août.) Ayez dans les Calabres quelques colonnes mobiles composées de Corses. Ils sont excellents pour cette guerre, et la feront avec dévouement pour notre famille. (Lettre du 22 avril 1806.) Ne disséminez pas vos forces. Vous avez cinquante mille hommes : c'est beaucoup plus qu'il n'en faudrait, si vous saviez vous en servir. Je voudrais avec vingt-cinq mille seulement garder toutes les parties de votre royaume, et le jour d'une bataille être plus fort que l'ennemi sur le terrain du combat. Le premier soin d'un général doit consister

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