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il fallait en conclure que l'art. 11 du décret du 13 août 1889 était inconstitutionnel et ne pouvait avoir aucun effet '.

Tel ne fut pas cependant l'avis de la Chancellerie. Non seulement elle ne parut pas avoir le moindre doute sur la régularité de cet art. 11, mais elle en étendit l'application à l'enfant né en France d'une femme étrangère qui y est née, et qui, d'après la loi du 12 juillet 1893, a le droit d'abdiquer, à sa majorité, la nationalité française. Il y a mieux. Dans la pratique administrative, la renonciation au droit d'option devint obligatoire on l'exigea du père qui réclamait au nom de l'enfant la nationalité française 2; et lorsqu'un étranger sollicitait la naturalisation, il était mis en demeure de souscrire, au nom de ses enfants nés en France, la renonciation au droit de décliner, à leur majorité, la nationalité française. Refusait-il de répondre à cette invitation? Il risquait de voir rejeter sa demande de naturalisation 3.

Les critiques adressées au décret de 1889 restèrent assez longtemps purement doctrinales. En 1905 seulement, la Cour de cassation eut à en examiner la valeur. Un sieur Valz, né à Constantine d'une mère Italienne qui était née dans la

1. Weiss, t. I, p. 149 et s.; Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, Traité de dr. civil. Des personnes, t. I, no 404; Despagnet, Journal Le Droit, 19 octobre 1889; Surville, De la nationalité des enfants nés sur le sol français de parents étrangers, Clunet, 1893, p. 687; Vincent, La loi du 26 juin 1889 sur la nationalité, n° 51 (Lois nouvelles, 1889, I, 765 et 766); Glard, De l'acquisition et de la perte de la nationalité française, p. 95; Gérardin, De l'acquisition de la qualité de Français par voie de déclaration, p. 159 et s. - V. aussi, dans le même sens, nos Principes élémendu dr. intern. privé, 2o éd., n° 45, et nos articles: Du changement de nationalité des mineurs, Revue critique, 1891, p. 42, et De la nationalité de l'individu né en France d'un étranger qui n'y est pas né, pendant sa minorité, Clunet 1891, p. 48 et 53. La légalité de l'art. 11 du décret du 13 août 1889 a cependant été admise par plusieurs auteurs: Aubry et Rau (5o éd.), t. I, p. 371 et 372, texte et note 36, et p. 406; Lesueur et Dreyfus, La nationalité, p. 154; Campistron, Commentaire des lois des 26 juin 1889 et 22 juillet 1893 sur la nationalité, no 136; Gruffy, De l'unité de nationalité dans la famille, p. 135 et 136; Raymond Hubert, Gaz. des tribunaux, 22-23 février 1904.

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2. V. circulaire ministérielle du 28 avril 1893 et modèle de déclaration, n° 2, y annexé (Lois nouvelles, 1894.1.42).

3. Stemler, Application pratique de la nouvelle loi sur la nationalite par l'administration, Clunet 1890, p. 404; Gruffy, Application pratique des lois françaises sur la nationalité par l'administration, ibid., 1894, p. 476; Gérardin, op. cit., p. 81.

même ville, s'était, au cours de sa vingt-deuxième année, présenté devant le juge de paix pour décliner la nationalité française. Ce magistrat refusa de recevoir sa déclaration, régulière en la forme, par ce motif que le père du déclarant avait fait lui-même une déclaration, par laquelle il renonçait, au nom de son fils mineur, au droit de décliner la nationalité française. Le sieur Valz se pourvut alors devant le tribunal de 1re instance, qui lui donna gain de cause, et la Cour d'appel d'Alger confirma cette décision. Saisie par un pourvoi du procureur général, la Cour de cassation décida, à son tour, le 26 juillet 1905, que « le décret du 13 août 1889 n'avait, dans la partie dont il s'agit (l'art. 11), aucune valeur légale », et que, par conséquent, le déclarant avait, en l'espèce, « conservé le droit de répudier la qualité de Français, malgré la déclaration faite par son père pendant sa minorité1. »

Ainsi, contrairement aux prétentions et à la pratique de la Chancellerie, la renonciation souscrite, au nom du mineur, par ses représentants légaux, n'a aucune valeur ni aucun effet. Bien qu'elle ait été faite, le mineur né en France d'une mère qui y est née (art. 8, 3°) et celui dont le père a été naturalisé (art. 12) ou réintégré dans la qualité de Français (art. 18), peut néanmoins décliner, à sa majorité, la nationalité française. Il en serait de même de l'enfant né en France d'un étranger qui n'y est pas né, si son père s'était borné à renoncer en son nom à la faculté d'opter pour une nationalité étrangère; mais en fait, les choses ne se passent pas ainsi. La formule de la déclaration que souscrit le père d'un enfant mineur né en France, lorsqu'il veut lui faire acquérir la qualité de Français, comprend deux choses la réclamation de la qualité de Français et la renonciation au droit de l'abdiquer 2. Cette dernière renonciation n'a aucune influence sur la situation du mineur; il ne faut pas en tenir compte. Mais la seule réclamation de la nationalité française, conforme à l'art. 9, § 10, ne la confère-t-elle pas au mineur d'une façon définitive, et sans qu'il puisse désormais l'abdiquer? Il y avait là une difficulté sur laquelle la Cour de cassation n'avait pas eu à se prononcer. Nous verrons si la loi nouvelle l'a résolue; mais

1. Clunet 1905, p. 1253, avec les conclusions de M. l'avocat général Feuilloley.

2. Circulaire précitée du 28 avril 1893 et modèle de déclaration no 2.

sous l'empire de la loi de 1889, j'ai toujours soutenu et je persiste à penser que l'art. 8, § 4 du Code civ. s'appliquait seulement à l'individu qui était resté étranger jusqu'à sa majorité, et qui, sous la réserve du droit d'option, devenait Français de plein droit, lorsqu'il était, à cette époque, domicilié en France. Quant à celui dont les représentants avaient réclamé en son nom la nationalité française, sa condition devait être réglée uniquement par l'art. 9. Cet article ne distinguant pas, quant aux effets de la réclamation, suivant qu'elle est faite par un majeur ou au nom d'un mineur, ils devaient être les mêmes dans les deux cas, c'est-à-dire que la nationalité française était acquise d'une façon irrévocable '. Toutefois, suivant une autre opinion qui compte des partisans assez nombreux, la réclamation faite par les représentants du mineur lui ferait bien acquérir la nationalité française, mais ne lui enlèverait pas le droit de la décliner à la majorité 2. Si ce dernier système était exact, et dès lors que la renonciation autorisée par le décret du 13 août 1889 devait être considérée comme non avenue, dans aucun cas un mineur ne pouvait acquérir, d'une façon définitive, la nationalité française 3; il conservait toujours le droit de la décliner.

Le caractère inconstitutionnel du décret de 1889, formellement reconnu par la Cour de cassation, était, à notre avis, incontestable, à l'époque où il avait été promulgué. Mais, depuis 1889, et même depuis que s'était présentée l'espèce sur laquelle la Cour de cassation avait statué, il était intervenu des actes législatifs qui pouvaient être de nature à changer la solution.

C'était d'abord la loi du 31 décembre 1891, portant ratification de la Convention relative au service militaire, conclue

1. V. notre article précité : De la nationalité de l'individu né en France d'un étranger qui n'y est pas né, etc., p. 52 et 54; nos Principes élémentaires du dr. intern. privé, n° 80, et notre note sous Cass., 20 juillet 1905. Sir. 1906.1.113. — V., dans le même sens, Vincent, op. cit., n° 50; Campistron, op. cit., n° 91; Rouard de Card, La nationalité française, p. 178; Geouffre de la Pradelle, De la nationalité d'origine, p. 318 et s.; Stemler, Clunet 1890, p. 569; Despagnet, Journal le Droit, 19 octobre 1899; Raymond Hubert, Gaz. des tribunaux, 22-23 février 1904.

2. Baudry-Lacantinerie et Hougues-Fourcade, t. I, no 404; Weiss, t. I, p. 131 et 132; Despagnet, Précis de dr. intern. privé, no 131; Gérardin, op. cit., p. 173; Glard, op. cit., p. 95.

3. Sauf dans le cas où une femme étrangère épouse un Français.

entre la France et la Belgique, le 31 juillet précédent. Aux termes de l'art. 2, 3°, les individus qui peuvent décliner la nationalité française, conformément aux art. 8-4°, 12, § 3 et 18 du Code civil français, ne doivent pas être inscrits, en France, sur les listes du recrutement militaire, avant d'avoir accompli leur vingt-deuxième année, « à moins que, pendant leur minorité, il y ait eu renonciation à leur droit d'option, conformément à l'art. 11 du décret portant règlement d'administration publique français du 13 août 1889 ». Si ces individus doivent être inscrits, sans attendre leur majorité, sur les listes du recrutement, c'est évidemment parce que les négociateurs du traité ont considéré que, par l'effet de la renonciation faite en leur nom, ils avaient perdu leur droit d'option; or le traité, c'est un point certain, n'a pas réglé seulement une question de service militaire, mais une question de nationalité. Si ces individus sont devenus définitivement Français, c'est d'une façon absolue, et non pas seulement pour l'application de la loi sur le recrutement 2. La loi qui a ratifié le traité a donc reconnu la validité de la renonciation au droit d'option faite, en leur nom, par leurs représentants légaux; elle a ainsi, dans les rapports entre la France et la Belgique, donné à l'art. 2 du décret de 1889 la force légale qui lui faisait défaut.

On a même voulu attribuer à cette loi une portée beaucoup plus large. Elle aurait consacré la règle adoptée par le décret de la façon la plus large et la plus absolue; son effet ne serait pas limité aux Belges ; il s'étendrait à tous les étrangers, et il aurait dû survivre à la dénonciation du traité, si elle s'était produite le Parlement avait ratifié, non pas seulement pour un cas spécial, mais d'une façon générale, l'interprétation que le traité avait donnée à la loi 3.

Ce raisonnement est inexact. La loi qui ratifie un traité ne peut en être séparée; elle ne peut ni s'appliquer à des personnes autres que celles qu'il concerne, ni avoir une durée plus longue. Il résultait bien du traité de 1891 et de la loi qui l'avait ratifié que les représentants d'enfants mineurs, issus de parents belges, pouvaient renoncer, en leur nom, au droit

1. Lainé, Bulletin de la Société de législation comparée, 1892, p. 262 et s.; Geouffre de la Pradelle, op. cit., p. 373 et s.

2. Douai, 23 mars 1904, Clunet 1904, p. 929.

3. Raymond Hubert, Gaz. des tribunaux, 24 février 1904.

d'option; mais, pour toute autre hypothèse, la question subsistait entière et l'irrégularité du décret de 1889 n'était nullement effacée.

La renonciation au droit d'option a encore été prévue par une autre loi, beaucoup plus générale que la précédente, et qui s'applique, sans exception, à tous les enfants d'étrangers: c'est la loi sur le recrutement de l'armée du 21 mars 1905. L'art. 11 prescrit de porter « sur les tableaux de recrutement de la classe dont la formation suit l'époque de leur majorité, les jeunes gens qui, en vertu du Code civil et des lois sur la nationalité sont Français, sauf faculté de répudier la nationalité française au cours de leur vingt-deuxième année, lorsqu'il n'aura pas été renoncé en leur nom et pendant leur minorité à l'exercice de cette faculté. » La renonciation ici prévue est celle qui avait été autorisée par le décret de 1889, et le législateur admet évidemment qu'elle fait perdre au mineur le droit d'abdiquer la nationalité française; autrement, il n'y aurait aucune raison pour l'inscrire, avant sa majorité, sur les listes du recrutement. La loi de 1905 donnait-elle donc aux représentants légaux du mineur le pouvoir que le décret de 1889 n'avait pas pu leur conférer valablement, de renoncer en son nom au droit d'option ? Je suis porté à le croire, mais la question, il faut le reconnaître, est très discutable. On objecte, en effet, que la règle formulée par la loi de 1909 est d'ordre purement militaire; le législateur n'a pas songé à résoudre une question de nationalité : son attention, les travaux préparatoires l'attestent, ne s'est nullement portée sur ce point. Il faut donc appliquer la loi telle qu'elle est, mais sans lui donner une portée qui dépasserait les intentions de ses auteurs. Les individus nés en France, ou les enfants d'étrangers naturalisés ou d'ex-Français réintégrés, seront inscrits sur les listes du recrutement à l'âge normal et sans attendre la majorité; mais ils ne perdront pas pour cela la faculté d'option que le Code civil leur accorde. Ils la perdraient, sans doute, s'ils participaient aux opérations du recrutement sans exciper de leur extranéité; mais il leur suffira de réserver expressément leur droit pour le conserver et pour pouvoir abdiquer, au cours de leur vingt-deuxieme année, la nationalité française 1.

1. Lenoble, De l'acquisition de la qualité de Français et de la renonciation à l'extranéité (Rev, de dr. intern. pr., 1905, p. 430 et s.).

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