Page images
PDF
EPUB

extraire d'une masse de débats. Mais pour ces sophismes anarchiques, ils ont reçu une existence authentique, une forme permanente; ils ont été proclamés; ils servent de préambule à un Code constitutionnel. Les autres sophismes ne sont que des erreurs individuelles ; les sophismes anarchiques ont reçu la sanction d'une Assemblée de législateurs.

Pour faire entrer nos lecteurs suffisamment dans le sujet, et pour le dépouiller de ce qu'il a d'aride dans une simple classification, il faudroit transcrire des chapitres entiers, et montrer comment l'auteur a sûy répandre de l'intérêt. La première partie traite des sophismes d'autorité ou de préjugés, la seconde des sophismes dilatoires, et la troisième des sophismes de confusion. On trouve beaucoup de choses piquantes autant qu'utiles dans les deux premières parties : c'est un salutaire exercice de l'esprit que la recherche des causes de l'erreur, et l'habitude de ne point perdre de vue la vérité,. en parcourant les labyrinthes d'une dialectique trompeuse; mais c'est dans l'ouvrage qu'il faut lire les développemens. Une partie cependant est plus susceptible d'être détachée, et elle peut l'être utilement, c'est celle que l'auteur a destinée à combattre les sophismes anarchiques de la Déclaration des droits de l'homme. Cette pièce, à la vérité, n'est aujourd'hui « qu'une page décriée d'une constitution qui n'existe plus. » Mais, comme le dit l'auteur lui-même, l'examen d'une grande erreur renferme un intérêt qui subsiste toujours. Cette déclaration flatte en secret les passions du cœur humain, et conserve une place dans le Code démocratique de l'opinion. Beaucoup de gens peuvent encore la croire dangereuse, sans cesser de la croire vraie; et si par le raisonnement, «< on peut ôter cette arme aux enthousiastes politiques, il faut le faire pendant qu'il sont foibles, car il est trop tard quand ils sont en force. C'est ainsi qu'on choisit le moment où les eaux sont basses pour rétablir

les digues, après que la violence d'un torrent les a

renversées. »

L'auteur examine d'abord le préambule de la Décla ration des droits de l'homme et du citoyen, décrétée par l'Assemblée constituante, lesquels droits, sont qualifiés de droits naturels, inalienables et sacrés. « Que deviendra cette assertion (dit-il) quand nous aurons prouvé, par un examen détaillé, que ces droits naturels, inalićnables et sacrés, n'ont jamais eu d'existence; -que ces droits, qui doivent servir à diriger le Pouvoir Exécutif et Législatif, ne tendroient qu'à les égarer; qu'ils sont incompatibles avec le maintien d'une Constitution, -et que les citoyens, en les réclamant, ne réclameroient que l'anarchie? »

» Ces principes, dit le préambule, sont simples et incontestables: voilà donc des dogmes positifs, des articles de foi politique, des articles consacrés, qu'il faut recevoir avec soumission, qu'il n'est plus permis d'exa

miner. »

[ocr errors]

Philosophie! voilà ton premier pas. Abjurer l'emploi de la raison ! créer un symbole ! établir des maximes sans argument, des points de croyance sans discussion! Accordez-nous ce que nous refusons à tout le monde. Accordez-nous que nous sommes infaillibles, et nous vous prouverons ensuite que nous ne nous sommes pas trompés. »

L'auteur montre d'abord que les objets qu'on pouvoit se proposer avec une apparence de raison en dressant cette Déclaration des droits, étoient tout-à-fait inutiles. Elle ne pouvoit pas restreindre le Pouvoir Exécutif; elle ne devoit pas limiter l'autorité du Corps légis latif; enfin elle ne pouvoit pas servir d'instruction générale aux Législateurs.

Ceux qui firent cette Déclaration des droits profitėrent d'une erreur commune de la logique vulgaire, la quelle confond deux choses distinctes: l'invention et

la démonstration: la marche convenable pour décou vrir les vérités, et l'ordre dans lequel il convient de les placer pour les enseigner. Poser des principes, c'est-àdire des propositions étendues; puis en tirer les conséquences, c'est-à-dire des propositions particulières, c'est une marche commode pour l'argumentation et les débats, mais elle est vicieuse quand il s'agit de concevoir et de rechercher les vérités de détail. Cette précipitation à établir des maximes générales, des maximes irrévocables, fut de la part des forts, un moyen de triomphe sur les foibles il s'agissoit de prévenir ou de subjuguer toute opposition; mais ceux qui employèrent ce moyen pour terrasser l'aristocratie, fournirent ainsi des armes à l'anarchie qui les perdit. Suivons l'auteur dans l'analyse de quelques articles de cette trop fameuse Déclaration des droits.

ARTICLE PREMIER.

Les hommes naissent libres et égaux en droits. Les dis tinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Observations.

« La première proposition en renfermé quatre distinctes. »

1. » Tous les hommes sont nés libres. >>

2. » Tous les hommes demeurent libres. >>

3. »Tous les hommes sont nés égaux en droits.» 4. »Tous les hommes demeurent égaux en droits. » »Tous les hommes naissent libres. Ce début renferme une fausseté palpable. Observez les faits. Tous les hommes naissent dans un état de sujétion, et même de la sujétion la plus absolue. L'enfant est dans une dépendance continuelle par sa foiblesse et par ses besoins. Il ne peut vivre que par le secours d'autrui. Il doit être gouverné pendant un grand nombre d'années, et la plu

part des lois ne l'émancipent que lorsqu'il a parcourus plus du quart de la plus longue vie, selon les probabilités communes. »

» Tous les hommes demeurent libres. Si cette liberté s'entend de l'état sauvage, de l'état de nature, des hommes errant dans les forêts, cette proposition peut être vraie; mais où est son utilité par rapport à nous ? Les hommes actuels, les hommes qui naissent sous un Gouvernement, sont tous par le fait assujettis à des lois, bonnes ou mauvaises. Le défaut de liberté est le texte continuel des plaintes et des déclamations. Ces mêmes législateurs qui déclarent solemnellement que tous les hommes demeurent libres, ne cessent de gémir sur la servitude héréditaire de la plupart des nations. »

[ocr errors]

» Cette contradiction, dira-t-on, n'est qu'apparente. Il faut distinguer le droit et le fait: les hommes esclaves dans un sens sont libres dans un autre ; libres par rapport aux lois de la nature, esclaves par rapport aux lois politiques, qu'on appelle vainement des lois, et qui ne sont point telles, puisqu'elles sont contraires aux lois de la nature. »

» Voilà le langage subtil auquel on a recours quand on veut nier ce qui est, quand on est embarrassé par des faits notoires, quand on a contre soi l'évidence de la vérité. Les lois de la nature sur lesquelles chacun raisonne à sa fantaisie, ne sont que des lois imaginaires; celui qui les allègue ne fait autre chose qu'alléguer sa volonté particulière, et veut substituer une fiction à la réalité. »

» Le philosophe qui cherche à réformer une mauvaise loi, ne nie pas l'existence de cette loi et n'en conteste pas la validité; il ne prêche point l'insurrection contre elle. Il expose ses raisons; il fait sentir les inconvéniens de cette loi et les avantages qu'on trouveroit à la révoquer. Le caractère de l'anarchiste est tout différent. Il nie l'existence de la loi, il en rejette la validité, il veut

exciter les hommes à la méconnoître comme loi, et à se soulever contre son exécution. »

» Tous les hommes demeurent égaux en droits. Tous les hommes, c'est-à-dire, tous les êtres de l'espèce humaine. Ainsi, l'apprenti est égal en droits à son maître; il a le même droit de gouverner et de punir son maître, que son maître de le gouverner et de le punir. Il a autant de droits dans la maison de son maître que son maître lui-même. Le cas est le même entre le père et l'enfant, entre le tuteur et le pupille, entre la femme et le mari, entre le soldat et l'officier. Le maniaque a le même droit d'enfermer ses gardiens que ses gardiens ont de l'enfermer. L'idiot a le même droit de gouverner sa famille que sa famille de le gouverner. Si tout cela n'est pas pleinement renfermé dans cet article de la déclaration, il ne signifie rien, absolument rien. Je sais bien que. les auteurs de la déclaration n'étant ni fous ni idiots, ne songeoient pas à établir cette égalité absolue. Mais que vouloient-ils ? L'ignorante multitude devoit-elle les entendre mieux qu'ils ne s'étoient entendus eux-mêmes? Quand on proclame l'indépendance, n'est-on pas trop sûr d'être écouté ? »

Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Observations.

« C'est ici un pas rétrograde, une rétractation frau duleuse. Les législateurs avoient senti confusément qu'ils venoient d'établir l'égalité dans toute sa plénitude. Que font-ils maintenant ? Ils viennent parler de distinctions. sociales, oubliant qu'ils ont aboli toutes les distinctions. Ainsi, dans le même paragraphe, ils donnent et ils reprennent, ils établissent et ils détruisent; ils avancent le principe absurde d'égalité pour plaire aux fanatiques, et ils glissent insidieusement le principe des distinctions

« PreviousContinue »