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larmes. Tout ce qui affecte l'ame fenfiblement eft capable d'en faire répandré. Mais il n'eft question ici que des pleurs caufés par le chagrin qu'excite la mort des perfonnes aufquelles on eft fincérement attaché. Moyfe & Aaron furent pleurés l'efpace de trente jours par le peuple d'Ifraël. L'Egypte pleura Jacob foixante-dix jours. Abraham pleura tendrement fur le corps de fa femme Sara. Ces faits font conçus en termes trop vagues, ils ne décident point la queftion. L'Evangile nous en présente un qui n'est susceptible d'aucune équivoque. JESUS-CHRIST étant arrivé dans la maifon du Chef de Synagogue,dont il reffufcita la fille, y vitune troupe confuse de gens qui pleuroient & qui jettoient de grands cris,fignes de la douleur & de l'affliction dont ils étoient pénétrés. Ces gens ne pensoient point du tout à rappeller cette fille à la vie: ils étoient bien perfuadés qu'elle

étoit morte fans reffource; car le Seigneur leur ayant dit qu'elle n'étoit qu'endormie, ils fe mocquérent de lui *. Les pleurs ont donc leur prin cipe dans la nature, & ils n'ont jamais pu être regardés comme une cérémonie ou une coutume propre à rappeller d'une mort apparente à la vie.

Ceux qui ont voulu philofopher fur la cause qui fait verser des pleurs, ont été partagés d'opinions: mais les décifions de l'efprit font infuffifantes & fufpectes dans les matieres qui font du reffort du fentiment. Cicéron dit qu'on pleuroît les morts uniquement par la confidération du malheut qu'ils avoient d'être privés des biens & des commodités de cette vie **.

** Vidit tumultum & flentes & ejulantes multum... quid turbamini & ploratis? Puella zon eft mortua, fed dormit, & irridebant eum Marc. Cap. V.

**Cicer. Tufcul. quaft. Lib. I. de contemnendâ morte. n. 30.

Selon lui les pleurs étoient le témoi gnage d'une amitié tout à fait relative à l'objet aimé. Ce motif eft trop définterreffé pour que nous l'admettions. On nous apprend en morale que nous n'avons aucune affection pure, & dont nous ne nous retrouvions le principal objet. Omnis amor nofter oritur ex amore noftri.

Fierre de Blois a prétendu avec bien plus de raifon que les pleurs font une confolation pour les malheureux, & qu'ils diminuent beaucoup la vivacité de la douleur. Elle eft, dit-il, une espèce de feu, qui brûle d'autant plus qu'il eft mieux couvert *. Effectivement le chagrin concentré met dans une fituation accablante. L'abondance des larmes produit un foulagement réel: afflictis hominibus fuaves funt lacrymæ. Elles

*Dolor fpeciem ignis gerit, qui dum plus tegitur, plus ignefcit. Petr. Blefenfis.

relâchent,en quelque forte,les refforts de l'ame trop tendus par l'affliction *. Toutes ces autorités fondées folidement fur la nature même, ne peuvent être détruites par une opinion particuliere. Quintilien a eu un sentiment différent fur ce fujet. » Par quelles raisons croyez-vous, dit ce Rhéteur, que les funérailles fe font

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» fi tard? Pourquoi troublons-nous

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repos des pompes funébres par

» tant de gémissemens, de pleurs, de » hurlemens ? Si ce n'est qu'on a sou» vent vu revenir à la vie ceux à qui

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l'on étoit prêt de rendre les der» niers devoirs ». Ce paffage rapporté par M. Winflow, d'après Lancifi, fert admirablement à M. Bruhier; il dit que cette Coutume étoit auffi avantageufe que raisonnable. Pourquoi donc la XXXIV. Loi des XII. Tables

* Expletur Lacrymis egeriturque dolor, Ovid. Tris. Lib. IV. Eleg. III.

l'avoit-elle profcrite? Elle défendoit aux femmes de fe déchirer le vifage, & de faire des lamentations aux funérailles *. La fureur de fe meurtrir & de fe déchirer le visage pouvoitelle être profitable aux défunts ? Les lamentations & cette coutume, défendues par la même loi, avoient le même principe: & il ne paroît pas qu'on puiffe raisonnablement y reconnoître le deffein de rappeller un homme d'une mort apparente à la vie. Cette coutume marquoit la violence & l'excès de la douleur. Cela fuffit pour détruire pleinement l'opinion de Quintilien. Les Arabes, les Maures, & tous les habitans des côtes d'Afrique, vont à des jours reglés pouffer des cris & des hurlemens affreux fur le tombeau de leurs parens. Mettra-t'on auffi cette pratique

* Mulieres genas ne radunto, neve lessum, funeris ergo, habento.

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