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aurez quatre-vingt provinces au lieu de trente-deux généralités. Nous ne nous considérons pas dans cette Assemblée comme députés de tel ou tel bailliage; le parti qu'on vous propose pour les assemblées qui nous suivront les remplira de députés des départemens, et non de représentans de la

nation. »>

M. d'Ambli. « Les préopinans poussent un peu trop loin le principe; ils oublient que les besoins locaux doivent aussi être représentés; ils oublient qu'en adoptant l'article du comité au lieu d'esprit national on n'aurait que l'esprit de la capitale et de la cour: les gens riches qui entourent le trône et qui sont l'ornement de Paris seront répandus dans les provinces au moment des élections; ils y ont fait valoir l'influence trop puissante des dignités et de la fortune : il est vrai que si l'on devait par la suite être soumis aux orages que nous avons éprouvés ils ralentiraient leurs poursuites.

» Il n'est pas dit qu'on doive oublier ses intérêts naturels et ceux de sa province pour je ne sais quel esprit général. On réclame la liberté des électeurs ; c'est un abus, c'est une illusion; la liberté réelle doit avoir pour objet d'être bien et de faire le bien de tous. » (Aux voix, aux voix.)

M. Target propose cet amendement à l'article du comité:

« Et néanmoins qu'il y ait au moins les deux tiers des députés choisis parmi les éligibles du département. »

M. le marquis d'Ambli. « Le grand intérêt de la France est la population, qui fait la richesse des empires; vous ne l'encouragerez pas dans les campagnes si vous donnez aux villes une trop grande influence.

» Si vous permettez que le tiers des représentans d'un département soit pris hors de ce département, aussitôt que le roi aura publié des lettres de convocation pour une assemblée nouvelle vous verrez se répandre dans les provinces un essaim de prélats et de gens de cour que nous avons appelés dans la dernière élection des coureurs de bailliages. N'espérez pas que vous aurez toujours des rois citoyens et des ministres honnêtes gens quand un gouvernement voudra ressaisir le pouvoir arbitraire il fera ce que font nos voisins; il cabalera, il intriguera, il corrompra les électeurs, et l'Assemblée nationale se trouvera composée d'un tiers de députés engagés par l'espoir des faveurs ou des emplois à détruire fa Constitution.» (Aux voix, aux voix la motion de M. d'Ambli.)

M. le comte de Mirabeau, Quand on a eu l'honneur d'être pendant plusieurs mois le compagnon de vos travaux on s'attendrait plutôt à une grande défaveur pour l'opinion qui veut restreindre le choix des départemens que pour l'opinion qui donnerait plus de latitude à ce choix.

» Chacun de nous a entendu dire qu'il était le représentant de la nation, solidaire des intérêts et de l'honneur de la nation, et non pas solidaire de tel canton: vos succès n'auraient pas fait juger qu'un principe si salutaire pût être

contesté maintenant.

» La première question qu'on peut se faire est celle-ci : peut-il y avoir d'autre loi pour l'élection que celle de la confiance, et pouvez-vous en ce sens imposer des lois à vos commettans?

» Le second point de vue de la question c'est de savoir si le principe d'élection pour les administrations provinciales est le même pour les assemblées nationales.

» Dans les premières le principe de restriction est juste et sage; ceux qui ont un intérêt immédiat, des connaissances requises doivent seuls être admis à l'administration locale; mais l'Assemblée nationale ne s'occupe pas des intérêts locaux, et il est étrange de choisir le moment où vous avez uni toutes les parties de l'empire pour réveiller un principe qui nous a pendant longtemps divisés en trente-deux royaumes, et qui nous diviserait aujourd'hui en quatre-vingts, puisque vous avez divisé la France en quatre-vingts départemens ou pro

vinces.

» On parle de l'Angleterre... Mais la représentation y est très vicicuse; mais il faut un très gros revenu pour y parvenir. Avez-vous admis cette détestable loi? La représentation en Angleterre est profondément vicieuse, et la vôtre est purc. » La preuve du vice de la représentation de nos voisins c'est qu'inutilement les deux partis cherchent à la réformer cette représentation. Et pourquoi ne le font-ils pas? Parce que le parti de l'opposition et le parti ministériel agissent de mauvaise for, parce que c'est pour eux un domaine de corruption à laquelle la phalange des intéressés oppose une telle force qu'on ne peut la vaincre.

» Il y a quelque chose de vrai dans les craintes de ceux qui ont parlé d'intrigues et de cabales; mais il ne faut pas toujours s'environner des méfiances d'un ordre de choses qui ne subsistait que parce que nous n'avions par de Constitution.

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Je

pense donc qu'il ne faut pas circonscrire le choix des députés à l'Assemblée nationale, mais qu'il faut laisser

ce choix à la confiance des électeurs, qui pourront trouver dans un citoyen d'un autre département plus de lumières.

» En laissant ce choix à la liberté des électeurs je crois que nous aurons fait une chose nationalement bonne. »

M. Demeunier. « Un des préopinans a redouté les coureurs de bailliages.... Il a donc oublié que les électeurs seront tenus de résider dans le département où se fera l'élection; il n'a donc pas vu que vous êtes disposés à décider que les élections se feront partout au même instant la lettre de vos décrets et l'esprit connu de l'Assemblée auraient dû dissiper ses craintes; alors il n'aurait pas appuyé une opinion contraire à trois grandes considérations.

:

» Premièrement tout député représente la totalité de la nation;

» Secondement la confiance des électeurs est le premier titre pour être élu ;

» Troisièmement, restreindre la faculté d'élire c'est peutêtre dans quelques circonstances empêcher les électeurs de faire un bon choix.

» Au reste je ne vois pas d'inconvéniens à déclarer qu'un tiers des députés de chaque département pourra être pris hors de ce département. »

M. Barnave. « C'est parce que l'Assemblée représente la nation qu'elle peut imposer à chaque département telle ou telle règle de représentation. En décidant que les députés ne pourront être pris que dans le département vous attirerez dans les campagnes ceux des habitans des villes qui ambitionneront vivement les honneurs de la représentation publique; vous rendrez plus active cette utile censure que tous les citoyens exerceront sur tous ceux qui pourront prétendre à les représenter.

>>

J'adopte la motion de M. d'Ambli, et je propose que dans ce moment ou dans un autre instant plus opportun on déclare que la nation, en commettant aux différens départemens le choix des députés, est maîtresse de prescrire les règles de l'élection. >>

L'Assemblée délibère; elle accorde la priorité à la proposition de M. d'Ambli, qui est mise aux voix et adoptée à une grande majorité; et c'est cette motion, décrétée le 18 novembre, qui forme l'article 31 de la première section du décret du 22 décembre 1789, ainsi conçu :

Les représentans à l'Assemblée nationale, élus par chaque assemblée de département, ne pourront être choisis que parmi les citoyens éligibles du département, »

pour

Reprenons la discussion du 12 août 1791.

M. Goupilleau. « M. le rapporteur nous a dit que rien ne nuisait davantage à la chose publique que la défiance; la détruire il faut dire franchement quand on en a; or je remarque que les comités ne mettent pas dans cette section le décret qui porte que les députés ne seront pris que parmi les éligibles des départemens. Je remarque encore qua les comités improuvent et se proposent de faire changer le décret qui limite la réélection. Si vous ne mettez pas dans la Constitution le décret qui empêche qu'on soit éligible dans plusieurs départemens vous aurez des gens qui courront les départemens, et qui multiplieront les intrigues pour se faire. élire. »

M. Thouret. « L'Assemblée a pris pour règle de décréter d'abord les articles de chaque titre, et d'entendre ensuite les additions; sans cela il n'y a plus d'ordre dans la discussion.

» Quant à l'article relatif à la réélection il est en toutes lettres dans le projet, et la note qui y est jointe n'a point pour objet d'en proposer la suppression : les comités n'avaient pas le droit d'écarter ce décret; mais, signant leur travail, ils ont celui d'exprimer l'opinion qu'ils avaient fors de la première discussion, et qui subsiste encore. »

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M. Laville-aux-Bois. Permettre de choisir des députés dans l'étendue du royaume c'est une faculté qui peut donner licu à l'intrigue et à la corruption. Dans nos assemblées bailliagères Vintendant de M. d'Orléans à déclaré en pleine assem‡ blée qu'il venait jouer le rôles de candidat, comme dans la république romaine, et s'exposer au grand jour ; il est venu nous demander une place de député une place de député par deux fois différentes : ces faits sont dans le cas d'être attestés par soixante personnes. at La seconde fois qu'il s'est présenté il a fait des propositions que certainement on ne peut jamais supposer à celui dont il se disait l'agent; les offres les plus insidieuses, les plus cor ruptrices ont été employées pour parvenir à son but ; ne pouvant réussir, il a fini par se restreindre à la qualité de suppléant. Un agent de M. de Condé, qui avait un caractère

pour se trouver dans la même assemblée, a voulu employer les mêmes moyens... ( Murmures.) Tout cela a été cause que l'assemblée électorale a pris le parti de ne pas nous donner de suppléans.

» Les membres du tribunal de cassation, pris sur-l'universalité des citoyens, ont produit le même exemple. D'après cela je crois qu'il est intéressant que votre décret soit conservé dans toute son intégrité, et que la disposition qui porte que les électeurs ne pourront choisir que parmi les citoyens éligibles du département soit insérée dans l'article qui est soumis à la discussion. » (Applaudissemens. Aux voix, aux Voix.)

M. Thouret avoue que les comités n'ont point regardé cette disposition comme constitutionnelle; il pense au surplus que l'Assemblée peut délibérer sur les deux premiers articles, et remettre au troisième la question dont il s'agit. (Murmures.)

M. Salles. Je m'oppose à la proposition faite par M. le rapporteur, et d'abord je ferai observer à l'Assemblée qu'en reportant la discussion à l'article 3 de la présente section c'est nous exposer à ne discuter cet article que quand la Constitution sera finie, car cet article 3 se trouve ajourné avec l'article 7 de la seconde section. En second lieu je fais observer à M. le rapporteur que l'article qui est omis est un article constitutionnel, et je le démontre en deux mots : l'article qui vient d'être ajourné n'était constitutionnel dans son sens que parce qu'il était, disait-il, épuratoire des mauvais citoyens; hé bien, l'article que nous demandons est aussi épuratoire des mauvais citoyens. »

Plusieurs voix du fond de la gauche. « Dites des intrigans. »

M. Salles. « Et dans ce sens, messieurs, je dis qu'il est constitutionnel, car il est conservatoire de la liberté; il est épuratoire des mauvais citoyens. Si l'on élisait dans toutes les parties de l'émpire, d'un bout du royaume à l'autre, il arriverait que tous les intrigans de la capitale se feraient prôner

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