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tion replace les biens légués dans le patrimoine de M. Piot d'Anneville, que les prétendues mutations successives qni sont alléguées n'ont pas eu lieu réellement et que les auteurs des opposants n'ont jamais recueilli un droit certain d'une nature imposable et appré ciable en argent ; 3° que toute condition résolutoire comportant par réciprocité une condition suspensive, les héritiers naturels de M. Piot ont été implicitement institués légataires sous condition suspensive, d'où il suit que le legs conditionnel n'est ouvert et n'est devenu transmissible qu'au moment où la condition s'est réalisée, c'est-à-dire au décès de M. Sazias.

La Direction générale a déféré ce jugement à la censure de la Cour de cassation. Elle a abandonné sa prétention première de considérer M. Sazias comme ayant été simplement usufruitier des biens légués, et a invoqué uniquement la violation des art. 1179 et 1183, C. civ., et 4 de la loi du 22 frimaire an V

Elle a, à l'appui de son pourvoi, fourni un mémoire ampliatif dans lequel elle développe les principes suivants :

« I. — L'art. 4 de la loi du 22 frimaire an VII a soumis au droit proportionnel les transmissions par décès de propriété, d'usufruit ou de jouissance des biens meubles, des immeubles. Cet article vise non seulement les biens qui se trouvent dans la succession au moment du décès, mais encore ceux qui rentrent ultérieurement dans la succession.

«<< II. Il n'est pas douteux qu'on doive considérer comme biens rentrés dans l'hérédité ceux dont les héritiers ont repris la possession à la suite de la réalisation d'une condition résolutoire dont le défunt avait affecté leur aliénation. Or, la réalisation de la condition anéantit, d'une manière rétroactive, le titre primordial de l'aliénation et fait que les valeurs aliénées sont censées n'être jamais sorties du patrimoine du défunt.

<< III. - Dans l'espèce, la condition résolutoire dont le legs se trouvait affecté s'est réalisée, et il en résulte que la somme de 200.000 fr. léguée à M. Sazias est rétroactivement rentrée non seulement dans la succession du testateur, mais encore dans la succession des héritiers de ce dernier, ainsi que dans celles de leurs héritiers, depuis décédés.

«< IV. — C'est vainement que le tribunal cherche à écarter l'effet rétroactif qui s'attache à la condition et prétend que les mutations successives alléguées par la Régie n'ont pas eu lieu réellement, que les héritiers de M. Piot n'ont pas acquis, dans la succession de leurs auteurs, des droits appréciables en argent et partant imposables. En droit civil, l'aliénation d'un bien sous condition résolutoire ou le paiement d'une créance dont on n'est débiteur que sous la même condition, laissent à celui qui a consenti cette aliénation ou fait ce

paiement, un droit sous condition suspensive. Ce droit conditionnel est parfaitement transmissible, et lorsque l'événement qui le tenait en suspens se réalise, il se transforme rétroactivement en un droit de propriété ou de créance pur et simple, de telle sorte que s'il a fait l'objet de transmissions pendente conditione, c'est en réalité la propriété de la créance qui se trouve avoir été transmise.

« V. — La loi fiscale suit entièrement la loi civile. L'impôt n'est pas immédiatement exigible sur la transmission d'un droit éventuel faite pendente conditione, mais il le devient dès que la condition s'est réalisée. Et il en est ainsi quel que soit le titre en vertu duquel la transmission a eu lieu, comme le démontrent excellemment MM. Championnière et Rigaud (t. 4, nos 3704 et 3708).

« VI. — Le tribunal de Mâcon soutient à tort, qu'au legs sous condition résolutoire, fait au sieur Sazias, correspondait nécessairement un legs sous condition suspensive au profit des héritiers naturels de M. Piot.

Sans doute, le même événement peut, dans un seul et même acte, constituer tout à la fois une condition résolutoire des droits conférés à l'une des parties et une condition suspensive des droits conférés à une autre partie. Mais il serait inexact de considérer toujours la condition résolutoire du droit de l'une des parties comme constituant, en même temps, une condition suspensive de l'acquisition de ce droit par l'autre partie. « Celui qui transmet sous une condition résolutoire un droit quelconque, et spécialement un droit de propriété, disent MM. Aubry et Rau (IV, § 302, p. 61), ne saurait trouver dans cette condition résolutoire un titre d'acquisition sous condition suspensive du droit de propriété dont il s'est dépouillé. »

On peut donc très bien concevoir un legs sous condition résolutoire sans institution sous condition suspensive inverse, et si, à l'événement de la condition, l'objet légué passe aux héritiers naturels, c'est uniquement à cause de la caducité du legs, non par l'effet d'un autre legs qui leur est fait. L'art. 1040, C. civ., d'après lequel le legs n'est pas transmissible aux héritiers du légataire si celui-ci meurt avant l'arrivée de la condition, est donc étranger à la question. Ce n'est pas à titre de légataire en second ordre que les héritiers recueillent le bénéfice du legs, c'est en leur qualité d'héritiers, et les droits recueillis en cette qualité sont transmissibles par succession. >>

Ce raisonnement ne nous semble nullement décisif. Nous trouvons même qu'il est contraire aux principes du droit et qu'il aboutit, en fait, à des conséquences véritablement monstrueuses.

I.

Voyons tout d'abord comment devait être interprété le tes tament de M. Piot d'Anneville.

D'après le tribunal de Mâcon et d'après la Cour de cassation, les héritiers naturels du testateur doivent être considérés comme ayant été institués légataires sous condition suspensive des biens légués à M. Sazias. D'où il suit que le legs conditionnel ne s'est ouvert pour eux et n'est devenu une valeur transmissible, soumise à l'impôt, qu'au décès du sieur Sazias, époque à laquelle la condition s'est réalisée.

a) Le testament comportait-il un legs sous condition suspensive correspondant au legs sous condition résolutoire fait au 'sieur Sazias?

La solution adoptée par la Cour de Paris implique l'existence d'un legs de ce genre. La Cour de Paris admet, en effet, que les 200.000 fr. laissés à Sazias doivent être attribués, non aux représentants des deux héritiers naturels du testateur, Jean-Baptiste et Antoine Bessard, mais aux seuls ayants cause de Jean-Baptiste Bessard. Or, pour que ceux-ci aient un droit privatif et excluent les héritiers d'Antoine Bessard, il faut qu'ils tiennent ce droit d'un legs fait à leur auteur, car, à défaut, le bénéfice du legs Sazias reviendrait, pour moitié, aux représentants d'Antoine Bessard.

Mais cette solution est discutable et paraît bien ne pas avoir été acceptée par la Cour de cassation. La Cour admet que les représentants d'Antoine Bessard doivent avoir le même droit au bénéfice des sommes léguées à Sazias que les représentants de Jean-Baptiste Bessard. Elle considère qu'Antoine Bessard aussi bien que Jean-Baptiste Bessard a été institué légataire sous condition suspensive.

Pour mon compte, j'hésite à interpréter le testament dans le sens d'un legs sous condition suspensive fait par le testateur à ses héritiers naturels. On pourrait très légitimement, à mon avis, soutenir avec l'Administration que le sieur Piot n'a entendu faire qu'un legs sous condition résolutoire à Sazias sans faire un legs inverse au profit de ses héritiers naturels.

b) Au reste, je n'aperçois pas l'intérêt de la question. Que JeanBaptiste Bessard seul, ou Jean-Baptiste et Antoine Bessard aient été institués légataires sous condition suspensive des 200.000 fr. légués à Sazias sous condition résolutoire, cela ne fait pas que leur droit puisse s'ouvrir au décès de Sazias.

En effet, le legs fait sous condition suspensive est caduc lorsque le légataire meurt pendente conditione et c'est précisément ce qui est arrivé dans l'espèce. Par le fait du prédécès de Jean-Baptiste et d'Antoine Bessard, tout droit au legs s'est évanoui et leurs représentants ne peuvent invoquer un droit disparu à tout jamais. Si donc ceuxci sont autorisés à recueillir les 200.000 fr. qui faisaient l'objet du egs Sazias, ce ne peut être en qualité de légataires, c'est nécessaire-. ment en qualité d'héritiers.

-

II. - Dès lors se pose la question de savoir si la condition résolutoire en s'accomplissant a pu avoir pour effet, à raison de sa rétroactivité, de replacer exactement les choses au même état que si le legs Sazias n'avait pas eu lieu, en sorte que l'objet de ce legs doive figurer dans toutes les successions qui ont été dévolues depuis le décès du testateur.

Cet effet rigoureux, excessif de la rétroactivité, découle-t-il nécessairement des principes du droit?

La fiction de rétroactivité doit-elle l'emporter sur la réalité des choses et conduire à imposer comme ayant été propriétaires purs et simples des personnes qui n'ont jamais eu, leur vie durant, qu'un droit de propriété ?

C'était la prétention de l'Administration, et c'est à bon droit que M. le conseiller rapporteur Voisin l'a qualifiée d'incroyable.

L'arrêt de la Cour l'a certainement condamnée sans rémission. C'est une décision de principe qu'a rendue la Cour et non pas une décision d'espèce.

Quelques doutes auraient pu naître sur ce point, si le clair rapport de M. le conseiller Voisin ne les faisait pas disparaître. Voici même les observations qui m'avaient été présentées à cet égard :

<< Bien qu'il soit probable que, en fait, tous les ayants cause de Piot d'Anneville (les consorts Bessard) qui ont recueilli, en 1890, le bénéfice du legs de 200.000 fr., résolu à cette époque, n'étaient pas nés ou conçus en 1832, date du décès du testateur, le contraire est, cependant, possible.

<«< D'autre part, ne peut-on considérer le testament de Piot d'Anneville comme ayant légué sous condition non point seulement à Antoine et à Jean-Baptiste Bessard, mais à ses représentants légaux à l'époque du décès de Sazias, les biens légués à celui-ci sous condition résolutoire?

«En droit, dès lors que les enfants ou petits-enfants de Piot d'Anneville, et, d'une manière générale, les représentants légaux du testateur, dénommés dans l'arrêt (Alexis et Alfred-Antoine Bessard, dames Chaudenet, Chabé et Lalouet) étaient vivants ou conçus à la date de son décès, ils pouvaient être institués par lui légataires sous condition suspensive d'une somme d'argent à défaut de leurs auteurs. Ceux-ci étant décédés avant Sazias, leurs représentants légaux ont recueilli directement le legs a eux fait sous la double condition suspensive du prédécès de leurs auteurs (celle-ci tacite), et du décès de Sazias sans postérité (cette dernière expresse).

<< Si cette interprétation devait prévaloir, l'arrêt n'aurait aucune portée doctrinale et se bornerait à décider, en fait, que le bénéfice d'un legs sous condition suspensive, recueilli par une personne vivante ou conçue à l'époque du décès du testateur, n'emporte

qu'une transmission unique, s'opérant directement du testateur au légataire le droit des légataires institués en premier lieu ayant été résolu par leur décès pendente conditione était insusceptible de transmission. >>

Ces observations, très ingénieuses en elles-mêmes, ne résistent pas à la lecture du rapport de M. Voisin et à celle de l'arrêt de la Cour de cassation lui-même. Il apparaît nettement que la Cour ne s'est pas placée à ce point de vue.

La question solutionnée par la Cour et nettement précisée par M. Voisin est celle de savoir si, par le fait des mutations par décès successives qui se sont ouvertes, on peut admettre que les biens légués sous condition suspensive par Piot d'Anneville à ses héritiers, ont donné lieu à plusieurs transmissions effectives. Or, si la Cour avait envisagé la question au point de vue qui vient d'être indiqué, la question se serait posée autrement. Il aurait fallu simplement examiner si les ayants droit au legs délaissé par Sazias étaient vivants ou conçus au jour du décès de Piot d'Anneville. Par conséquent, à supposer mème, ce qui est très improbable étant donné que Sazias est décédé 58 ans après le testateur et que celui-ci, en désignant ses héritiers naturels pour recueillir la somme léguée à Sazias pour le cas où il mourrait sans postérité, paraît bien n'avoir pensé qu'à Antoine et Jean-Baptiste Bessard, seuls dénommés dans le testament, encore faudrait-il reconnaître que la Cour de cassation n'a point envisagé la difficulté sous cet aspect et qu'elle a entendu donner une solution de principe.

Cette solution se justifie d'ailleurs pleinement.

III. La condition, on le sait, est un événement futur et incertain qui tient en suspens la formation ou l'extinction d'un droit. Dans le premier cas, le droit est conditionnel; dans le second cas, il est pur et simple, mais résoluble sous condition (Loi 2, De in diem add. au Dig. XVIII, 2). Nous exprimons cette double idée sous une forme elliptique en disant que la condition est suspensive lorsqu'elle suspend la formation du droit, et résolutoire lorsqu'elle suspend son extinction.

La condition résolutoire est toujours corrélative à la condition suspensive, et vice versa. En effet, dès l'instant que l'une des parties devient créancière ou propriétaire sous condition suspensive, l'autre partie reste créancière ou propriétaire sous condition résolutoire, et réciproquement.

Lorsqu'un contrat est subordonné à une condition suspensive, faut-il dire qu'il ne prend naissance qu'à l'événement de la condition? C'était le principe du droit romain. Mais ce principe était faux, car si le contrat est conditionnel à son origine, si le droit qui en découle est conditionnel, le contrat se forme cependant au jour

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