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fait avant que

de montagnes qui les séparent, s'abaissent d'abord graduellement, et souvent elles s'effacent tout-àd'arriver au fleuve. En reconnaissant les limites naturelles du territoire de chaque nation ou de chaque fraction d'un même peuple, il ne faudrait donc pas s'imaginer qu'elles sont partout également prononcées, et former un système qui se trouverait démenti par les faits.

Les mers sont, pour les nations, des limites qui peuvent être difficilement méconnues: aussi, quoiqu'il arrive souvent qu'un peuple, ou, pour parler d'une manière plus exacte, son gouvernement, porte sa domination sur un versant qui fait partie du territoire d'un autre peuple, il est extrêmement rare qu'une limite formée par la mer soit un objet de discussion. La nation qui tenterait d'usurper, sur une autre, une telle limite, en retirerait de si faibles avantages, et aurait tant de peine à la conserver, qu'elle se verrait bientôt contrainte de l'abandonner, à moins qu'elle n'établît en même temps sa domination sur tout le pays..

Les peuples dont le territoire va jusqu'à la mer, n'admettent pas que leur domination finisse exactement au point où la mer commence. Tous, sans exception, considèrent une certaine étendue de la mer comme faisant partie de leur territoire : c'est ce qu'ils appellent leurs eaux. La raison en est que chaque nation considère comme sa propriété la

chose par laquelle elle subsiste, et que c'est en pêchant sur leurs rivages, que les peuples maritimes se procurent des moyens d'existence. Il faut ajouter aussi qu'un peuple ne pourrait pas veiller à sa sûreté, s'il n'était pas admis qu'il est propriétaire d'une certaine étendue des eaux de la mer qui forment ses limites (1).

Les diverses fractions de population, qui se trouvent répandues dans le bassin d'un fleuve, sont naturellement associées les unes aux autres, et forment une nation unique, ou une confédération de divers états, lorsque chacune d'elles jouit d'une entière indépendance. Il arrive rarement qu'une de ces fractions se sépare volontairement des autres pour s'associer à des populations répandues dans des bassins différens, et dont elle est par conséquent éloignée par des limites naturelles. La raison en est dans les avantages qui résultent de toute association naturelle, et dans les inconvéniens qui sont la suite ordinaire des associations contre nature. C'est en traitant de l'organisation politique, que je ferai voir quels sont ces inconvéniens et ces avantages.

Cependant il se rencontre quelquefois des circonstances où les avantages d'une association na

(1) Les Sauvages eux-mêmes ont leurs eaux autour de leur territoire comine les peuples civilisés : ils ne souffrent pas que d'autres peuples viennent y prendre du poisson.

turelle disparaissent presque entièrement, tandis que les inconvéniens d'une association contraire à la nature des choses, sont peu sentis. Il serait, par exemple, dans la nature des choses, que les peuples qui habitent les trois grandes fractions qui composent le bassin du Rhône fussent unis entre eux, soit en formant une seule nation, soit en formant divers états unis par un lien fédéral. Ces peuples parlent tous la même langue, peuvent aisément traiter ensemble, et sont enveloppés par les mêmes chaînes de montagnes. Cependant, si l'on voulait unir à la France ceux d'entre eux qui sont alliés à des cantons allemands et à un canton italien, il faudrait leur faire une forte violence. Il faudrait également faire violence aux habitans du Tessin pour les unir à l'Italie, et les séparer de leurs alliés Allemands ou Français.

La raison de ceci n'est pas difficile à voir. L'alliance formée entre les habitans des parties supérieures des bassins du Rhône, du Rhin, du Tessin et de l'Inn, fait peser peu de charges sur les associés. Chaque population, ou chaque fraction de population, reste souveraine sur son territoire, pour tout ce qui concerne ses affaires intérieures. Le gouvernement fédéral n'envoie pas dans les cantons français, des juges, des administrateurs ou des commandans allemands; il n'envoie pas, dans les cantons allemands, des administrateurs ou des ma

gistrats français. Il a besoin d'impôts et de troupes, parce qu'autrement il ne saurait veiller à la sûreté commune; mais il laisse à chaque état le soin d'établir des contributions comme il juge convenable, et de faire les levées d'hommes comme il l'entend. Les habitans des montagnes des Grisons ou de l'Oberland, n'ont pas la prétention de soumettre à l'exercice des agens du fisc les vignerons du Valais ou du pays de Vaud. Ceux-ci, de leur côté, ne s'avisent pas de voter des impôts sur les fromages ou sur les troupeaux des habitans des montagnes. Le lien fédéral tire done la plus grande partie de sa force de l'indépendance dont jouit chaque population dans le bassin où elle s'est développée.

Si les habitans du Tessin étaient séparés de la confédération, et réunis à leurs associés naturels de l'Italie, non- seulement ils perdraient leur indépendance comme nation, mais ils auraient à supporter tous les maux que fait peser sur ce pays la domination du gouvernement autrichien; les avantages de cette association nouvelle seraient presque nuls; les charges en seraient insupportables. De même, si les populations du Valais, du pays de Vaud et du canton de Genève, étaient séparés des cantons situés dans le bassin du Rhin, et réunis aux autres habitans du bassin du Rhône, ils perdraient les avantages qui résultent de leur indépendance et d'une administration peu dispendieuse,

et auraient à souffrir tous les inconvéniens d'un gouvernement qui ne peut subsister que par de lourds impôts. Ils pourraient, il est vrai, répandre les produits de leur industrie sur un plus grand théâtre; ils auraient plus de force et d'indépendance comme membres d'une grande nation. Mais ces avantages seraient achetés par tant de charges et par la perte de tant de droits, qu'il est bien peu de gens qui voulussent consentir à l'échange.

Nous pouvons faire sur les habitans de la rive gauche du Rhin le même raisonnement que sur les peuples qui occupent les parties supérieures du grand bassin du Rhône. Leurs associés naturels seraient les peuples répandus dans le bassin qu'ils habitent eux-mêmes; mais ces peuples, qui devraient ne former qu'une fédération, sont tellement divisés entre eux; ils sont soumis à des régimes si différens, et à des influences étrangères si ennemies; ils jouissent de si peu d'indépendance et de liberté, qu'il leur est plus avantageux d'être unis au reste de la France. Sous plusieurs rapports, ils ont plus d'indépendance et de liberté, et leur industrie profite des avantages qu'offre toujours le commerce libre d'une grande nation. Il faut ajouter que les canaux, en unissant de grands bassins, unissent aussi les populations qui les habitent.

lors

Il ne faut donc jamais perdre de vue que, qu'il est question des associations naturelles ou des

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