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vivres ; il n'y avoit que cinq à fix mille Tartares de garnifon; (20) & du côté de la Cour on s'appercevoit aifément que le fage Néchingouang n'étoit plus au monde. Auffi le Général Tartare parut-il véritablement effrayé aux premières approches de l'ennemi.(21) Il ne penfa pas à la vérité à se rendre cette méthode qu'un homme d'honneur ne doit jamais fuivre qu'à la dernière extrémité

étoit alors inconnue aux braves Cruel Mancheoux; mais il n'en marqua deffein da G pas moins toute fa crainte dans néral la démarche qu'il fit auprès du Tarta- Tfongtou, pour le faire entrer gard des dans fon projet. Ce projet, le Nanki- même que nous

nois.

(20) Ce nombre paroîtra bien petit, fi l'on confidére que Nankin eft d'une étendue fupérieure de beaucoup à celle de Paris; & que fes habitans devoient être naturellement fufpects aux Tartares.

(21) On lit dans quelques relations

avons déjà vu

que l'on délibéra à Pekin de faire paffer l'Empereur en Tartarie: mais le P. de Mailla ne dit pas un mot de ce trait de lâcheté, qui n'eût pu avoir lieu, fans ruiner entièrement les affaires des Mancheoux à la Chine,

propofé par un autre Général Tartare au fiége de Singhan, confiftoit fimplement à égorger durant la nuit tous les habitans de Nankin en état de porter les armes ; vû qu'ils étoient justement foupçonnés de favorifer les affiégeans. Ce maffacre d'ailleurs, ajoûtoit gravement le Mancheou, ne peut que nous mettre au large par rapport aux provifions de bouche, qui fûrement nous manqueront bientôt.

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L'expédient, comme on le voit, étoit pour ainfi dire l'élixir du Machiavelifme le plus odieux, & fit frémir d'horreur le Mandarin à qui on le propofoit. Quoi donc répondit-il fur le champ au fougueux Tartare vous êtes fi mal avifé & fi ennemi de l'Empire, que de former férieufement un pareil def fein? Le maffacre de quatre à cinq cens mille hommes vous paroit-il un jeu? Hé que faudroit-il de plus pour armer contre nous toute la Chine; au moment qu'elle en apprendroit la nouvelle ?

Le Général Mancheou, naturel

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lement féroce, & par-là même efprit borné, avoit de la peine à fe rendre aux raifons du Tfongtou Chinois. Il vouloit infifter fur fon projet pour en faire fentir la néceffité; mais l'autre élevant la voix, & prenant un ton de maître, lui défendit au nom de l'Empereur d'ouvrir jamais la bouche à qui que ce fût fur un deffein st contraire au bon fens. Ou bien ? ajoûta-t-il, fi vous perfiftez dans ce projet barbare, fçachez que je m'y oppoferai efficacement. Ce ne fera qu'après m'avoir immolé moi-même que vous pourrez impunément égor ger les autres. Le Tartare n'ofa prendre fur lui une affaire de cette conféquence; & peut-être eut-il encore affez de raison pour comprendre qu'il avoit tort. Il ne pensa qu'à fe défendre vaillamment jufqu'à l'arrivée du grand fecours, qu'il ne pouvoit manquer de recevoir bientôt.

Chinchikong cependant ne faifoit foiblement fes attaques, que en homme qui veut ménager fon

monde peu fait aux opérations d'un fiége. Sans doute auffi vouloit-il donner aux Nankinois tout le temps de bien réfléchir fur la conjoncture où ils fe trouvoient, c'est-à-dire fur l'occafion qu'il leur offroit de fecouer un joug étranger; qu'il fuppofoit leur devoir être odieux. Mais le Général Mancheou n'étoit pas homme à pénétrer affez avant dans les vues de fon ennemi, pour découvrir la véritable caufe de ce défaut d'activité. Il crut tout fimplement que le Corfaire n'agiffoit avec tant de lenteur que par lâcheté ou par foibleffe. Dans cette idée il fait monter à cheval douze cens de fes Tartares, à qui il ordonne de fortir de la Ville, pour aller reconnoître de près cette multitude de coureurs de mer. Après avoir marqué aux Officiers du détachement l'endroit du camp qu'ils devoient infulter, il monta fur une des tours du rempart qui avoit vue de ce côté-là; voulant être témoin de la manœuvre de fes gens & de

leur victoire : car il ne doutoit

pas que cette attaque imprévue, felon lui, ne fût pleinement à leur avantage.

Ces Cavaliers alloient au grand trot, fuivant l'ufage des Mancheoux qui marchent à l'ennemi, l'arc bandé & tous prêts à faire leur décharge; lorfqu'à cinq cens pas de la porte ils apperçoivent deux gros Efcadrons Chinois qui venoient à eux de la droite & de la gauche, le long du foffé de la Ville, pour les prendre en queuë & les couper. Une troupe confidérable d'Infanterie parut au même inftant vis-à-vis d'eux, difpofée à les bien recevoir. Les Tartares à cette vue comprirent que l'ennemi avoit été averti de leur fortie, & qu'ils devoient par conféquent rebrouffer chemin. Ils tournent bride auffi-tôt, & fe jettent fur les deux corps de Cavalerie qui déjà feréuniffoient. Ceuxci font ferme, & donnent le temps à leur Infanterie d'approcher pour faire feu fur les Mancheoux. Si

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