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ce droit de régler, par leur volonté d'hier, la volonté nationale de demain? Ce n'est, dira-t-on, qu'une usurpation transitoire dans l'intérêt d'une stabilité relative. Mais vous ne pouvez pas plus usurper à temps qu'usurper à perpétuité sur le peuple. Peu m'importe, d'ailleurs, que vous ayez limité dans un court espace la durée de votre souveraineté arbitraire, si, dans ce court espace, la nation a le temps de souffrir beaucoup et peut-être même de périr.

Telles étaient les raisons données de part et d'autre; mais, de temps en temps, un mot, ou un acte plus précis, plus brutal révélait les passions personnelles cachées sous ces discussions théoriques. C'étaient comme ces coups de vent qui chassent les nuages amoncelés et découvrent un coin du ciel. La Montagne, au milieu de son activité peu réglée, avait souvent le privilége de ces franchises inattendues.

Parmi ces efforts on a déjà distingué ceux de M. Pascal Duprat qui, avec plus de bonne volonté que d'habileté, proposait d'établir des peines contre quiconque, par des écrits, des discours ou des manœuvres, appuierait la candidature à la présidence de la République de tous ceux dont la constitution interdisait l'élection. La commission d'initiative parlementaire, chargée d'examiner cette proposition, la considéra comme puérile et impuissante. En effet, disait-on, la lacération des bulletins inconstitutionnels pourrait avoir de graves inconvénients; elle se ferait sans contrôle, et, d'un autre côté, au lieu d'en connaître l'importance par voie d'addition, on l'obtiendrait par voie de soustraction. Au surplus, cette proposition serait incomplète; car il ne s'agirait pas seulement de la réélection du Président actuel, qui pourrait passer pour inconstitutionnelle, mais aussi de l'élection d'autres candidats. La Constitution ayant repoussé la république sociale, tout candidat qui se présenterait comme socialiste devrait aussi être réputé candidat inconstitutionnel, et se voir appliquer les mêmes dispositions que M. Pascal Duprat invoquait pour le cas de l'élection du Président de la République.

Pendant que l'Assemblée semblait se recueillir sur le seuil de la discussion suprême de la révision, les partis extrêmes continuaient leur travail de désorganisation sociale.

Les républicains théoriques faisaient chaque jour un pas de plus vers la démocratie anarchique.

C'était, d'un côté, M. Ledru-Rollin qui s'inspirant de J.-J. Rousseau, posait sa solution ainsi conçue: Plus d'Assemblée nationale, le gouvernement direct du peuple par le peuple.

De l'autre, M. Victor Considérant formulait une théorie à peu près semblable: Plus de délégation, exercice direct de la souveraineté du peuple par le peuple.

Enfin, un publiciste allemand, M. Rittinghausen, soutenait que la représentation nationale est un reste de l'ancienne féodalité et une fiction.

Ces trois manifestes surgissant coup sur coup et presque en même temps d'Angleterre, de Belgique et d'Allemagne, avaient causé un certain étonnement. En France, tout le monde n'osait pas encore désespérer du gouvernement représentatif, et l'on s'accordait généralement à ne voir que des utopies dans ces formules pompeuses.

Un écrivain remarquable, M. de Girardin, enchérissait sur ces rêveries, comme pour en montrer le vide :

Moi aussi j'ai cherché, s'écriait-il, ai-je trouvé? c'est ce que je ne saurais dire; car ce qui caractérise le chercheur, c'est de chercher sans relâche, c'est de chercher toujours. »

Ce que cherchait surtout le spirituel publiciste, c'était une énormité qui effaçât par son excentricité les théories rivales. II crut l'avoir trouvée dans une plaisanterie déjà vieillie de M. Proudhon, la suppression radicale de toute autorité.

« MM. Ledru-Rollin, Considérant et Rittinghausen, disait M. de Girardin, professent le culte de la souveraineté nationale; c'est un culte qui me paraît une idolâtrie, une superstition, une

erreur.

» Je place au même rang la souveraineté nationale et la souveraineté royale; la souveraineté monarchique et la souveraineté numérique ; la souveraineté d'un seul et la souveraineté inexactement qualifiée souveraineté de tous; la souveraineté du roi et la souveraineté du peuple. Que veut dire souveraineté ? Si j'ouvre le dictionnaire de l'Académie française, je lis: souveraineté, au- . torité suprême, pouvoir de faire des lois et d'en assurer l'exé

cution. Si je cherche l'étymologie, je trouve venant de l'italien soura, ou du latin supra. Faites donc accorder ces mots : souveraineté et égalité! autorité et liberté ! infaillibilité et responsabilité! erreur et vérité ! »

Ainsi M. de Girardin ne voulait d'aucun pouvoir quel qu'il fût, qui fit des lois et qui en assurât l'exécution; il ne voulait pas de lois; pour lui la légalité n'était qu'une camisole de force; il se déclarait, lui aussi, le champion de l'an-archie.

Il est, on se le rappelle, un publiciste qui a soutenu bien avant M. de Girardin, la théorie de l'an-archie, c'est M. Proudhon; mais ce terrible archer de la dialectique savait bien ce qu'il faisait en lançant sa flèche au delà du but. Il demandait beaucoup pour obtenir quelque chose. Ce qu'il voulait, c'était l'application du selfgovernment tel qu'il s'exerce en Amérique, se refusant à comprendre la différence des mœurs, des races, des circonstances et l'impossibilité d'appliquer à telle société les principes qui régissent telle autre.

Mais, nous l'avons déjà dit, toutes ces discussions philosophiques ne dépassaient pas la surface du parti démocratique. Au fond, on ne sentait que violence haineuse, espérances brutales.

A certains jours, éclatait tout à coup un avertissement significatif, une révélation de dangers mal connus. L'émcute se trompait d'heure.

Le 10 avril, à Aspet (Haute-Garonne), un charivari ayant été donné au juge de paix, la gendarmerie intervient; mais les trois gendarmes qui forment le personnel de la force publique sont hués et menacés. Le maire et ses deux adjoints, au lieu de prêter leur concours à la gendarmerie, se retournent contre elle et lui arrachent ses prisonniers. A cette nouvelle, le préfet de la HauteGaronne fait diriger sur Aspet cent vingt hommes d'infanterie et cinquante chevaux. Le maire et ses deux adjoints sont suspendus, des mandats d'arrestation sont exécutés et vingt-six perturbateurs de l'ordre sont dirigés sur Saint-Gaudens.

Mais là les démagogues s'étaient donné rendez-vous et six ou huit cents émeutiers entouraient la prison, résolus à reprendre les prisonniers de vive force. Le détachement, préfet en tête, fut accueilli par des huées, puis assailli par des pierres. Il fallut, les

sommations faites, charger cette multitude hideuse qui se retira en désordre.

Au commencement de mai, deux châteaux situés dans le canton de Nérondes eurent à soutenir de véritables siéges : le château de M. Métairic, maître de forges à Précy, et celui de M. de Rolland à Mennetou. Une bande d'une soixantaine de brigands, armés de faux, de fourches et de fusils, cerna le château de Précy, et l'aurait infailliblement pillé et incendié, si M. Métairic, averti à temps, n'eût été en mesure de repousser vigoureusement l'attaque dirigée contre lui. Enfermé dans sa demeure avec ses serviteurs et quelques membres de sa famille, M. Métairic eut à soutenir un siége de deux heures. Les brigands tentèrent plusieurs fois de donner l'assaut, mais repoussés par une vive fusillade, ils lâchèrent pied et se dirigèrent sur le château de M. Paul de Rolland. Là ils trouvèrent des préparatifs de résistance encore plus formidables, et, après une démonstration insignifiante, ils se retirèrent.

Ces tentatives anarchiques remettaient en mémoire l'action secrète des sociétés. Mais eux-mêmes, les meneurs semblaient prendre à tâche de se rappeler au souvenir des populations effrayées.

Dans les premiers jours de mai, quelques journaux reproduisirent des manifestes remplis de violences, de menaces, d'exagérations révolutionnaires, répandus, disait-on, parmi les ouvriers, et désavoués, condamnés, hâtons-nous de l'ajouter, par toutes les nuances du parti républicain aussi bien que par les feuilles qui les publiaient pour les signaler au mépris public. A la suite de recherches actives, la police découvrit, rue Cadet, les imprimeries clandestines d'où sortaient ces appels odieux, et elle arrêta six individus qui travaillaient à cette œuvre de propagande anarchique. Parmi ces hommes se trouvaient quatre anciens transportés de juin graciés.

Un journal du soir, en annonçant ces arrestations, ajoutait comme ouï-dire, que deux représentants montagnards avaient failli être appréhendés au moment où ils venaient de corriger des épreuves du nouveau bulletin révolutionnaire. Le lendemain, le Moniteur, à qui sa situation officielle commande plus de circonspection, reproduisait le renseignement agressif de la feuille du

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soir. Cette attaque contre la dignité de deux représentants produisit un profond mécontentement et fut habilement exploitée par la Montagne. Le ministre de l'intérieur, interpellé sur ce manque d'égards envers le caractère législatif, avoua que l'autorité avait été induite en erreur.

Mais ce qui n'était pas niable, c'était l'audace, le cynisme des documents saisis. L'une de ces pièces, portant pour titre : dixième bulletin du Comité de résistance, eût été digne de servir de manifeste à une Saint-Barthélemy démocratique et sociale. Par une précaution oratoire assez transparente, le journal qui la publiait, fidèle à la tactique de son parti, insinua que ce pourrait être là l'ouvrage de la police.

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» Le moment est arrivé de reprendre le fusil et d'exterminer, d'un bout à l'autre de la France, les infâmes aristocrates que le 24 février avait épargnés généreusement, et qui n'ont pas cessé de vous pressurer, de vous voler et de vous ruiner.

>> L'insurrection est un droit qui appartient au peuple; c'est un droit qui Vous rendra tous ceux qu'on vous a ravis; c'est le seul droit qui vous reste. Vous le savez, que chacun de vous se prépare.

» Au premier son de tocsin, comptez sur le concours énergique de vos frères de Paris de même qu'ils comptent sur votre concours si les circonstances leur faisaient prendre l'initiative.

» Soyons tous solidaires, et qu'au premier ébranlement tous se lèvent.

» Mais, en attendant l'heure prochaine de la justice populaire, écoutez un conseil et suivez-le, car il est bon :

» Le peuple, en 1830 et en 1848, a fait grâce à tous les royalistes, et ces lâches suppôts du despotisme n'ont répondu à cette générosité que par des crimes plus atroces.

» Aujourd'hui, il n'y a plus de pardon possible; il n'en faut point, il ne doit point y en avoir !

>> Tel doit être notre mot d'ordre, notre cri de ralliement, nous voulons que la révolution que nous préparons soit la dernière et nous apporte enfin le bien-être, l'aisance, la richesse, en un mot, le droit de jouir de notre travail. Frappez sans pitié : les traîtres ne méritent aucune miséricorde. Tous ceux qui combattent la république sont des traîtres, et ceux qui s'abstiendront au moment du combat leurs lâches complices.

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» Répondez à la résistance avec du plomb, du fer et du feu.

>> Pour que votre émancipation soit complète et votre bonheur durable, il faut que vos ennemis soient anéantis et disparaissent sous terre.

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