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du 22 mars 1852, et soumises ensuite à l'administration supérieure, qui ne statuera qu'après avoir pris l'avis du Conseil d'Etat. Le décret de 1852 ne décentralise, en effet, que les demandes en autorisation, et ses motifs ne sauraient s'appliquer à des instances qui, se présentant en général très-rarement, n'offrent pas un caractère d'urgence et peuvent entraîner une sorte d'expropriation. >>

La suppression dont il est question ici, se trouvant toujours motivée par la sûreté publique, constitue un acte de pure administration, et n'est pas, dès lors, susceptible d'un recours par la voie contentieuse. Ce n'est qu'au cas où les formalités qui, aux termes de l'article 12, doivent nécessairement la précéder, n'auraient pas été accomplies, que les intéressés seraient recevables et fondés à l'attaquer devant le Conseil d'Etat par la voie de la tierce opposition'.

88. La suppression d'un établissement, quelle que soit la raison qui la motive, et à quelque titre qu'elle intervienne, est une mesure rigoureuse, extrême. La fortune des particuliers, l'intérêt de l'industrie ne sauraient être sacrifiés sans les motifs les plus graves. A côté de son droit, l'administration rencontre donc un devoir; c'est, avant tout, de rechercher si elle ne peut pas satisfaire aux besoins généraux de la société et de la police par des voies moins sévères; elle ne doit se résoudre à un parti extrême que lorsqu'elle ne peut faire autrement.

Ainsi, s'agit-il d'appliquer la suppression en tant que pénalité? Il semble juste et raisonnable qu'elle ne puisse être prononcée que s'il y a de la part de l'usinier un parti pris, évident et constaté, de se mettre en contravention avec les règlements, et de braver l'autorité. Jusque-là, une simple injonction, une mise en demeure d'avoir à régulariser la situation,

1 Conseil d'Etat, 10 janvier 1845 (Castilhon); id., 12 mars 1846 (Gauthier); id., 5 janvier 1850 (veuve Duquesne).

la poursuite devant les tribunaux de police, la suspension enfin, sont des moyens qui paraissent devoir suffire.

Si la contravention, par exemple, résulte, soit du défaut d'autorisation, alors que cette autorisation est exigée, soit de l'inaccomplissement des conditions auxquelles l'autorisation a été obtenue, la suspension de l'établissement sera certainement pour un usinier, dans le plus grand nombre de cas, un avertissement plus que suffisant d'avoir à rentrer dans la voie qui lui est tracée par les règlements. Le mépris persistant de cette injonction pourrait seul motiver, avec quelque justice, la révocation de l'autorisation ou la suppression.

La suppression permise par le décret de 1810, à titre de mesure de sûreté publique, « en cas de grave inconvénient pour la salubrité, la culture et l'intérêt général, » ne doit également pas être prononcée à la légère. Il faut, avant tout, examiner si les établissements ne peuvent subsister au prix de certaines conditions d'exploitation nouvelles et moins onéreuses que ne le serait la suppression.

Toutes ces mesures préalables ou provisoires sont de la compétence des autorités qui ont pouvoir d'autoriser la formation des établissements. Elles émanent donc, suivant la classe à laquelle appartiennent les établissements, des préfets ou des sous-préfets.

89. Les observations qui précèdent ne regardent, bien entendu, que les établissements classés. Quant à ceux qui ne sont pas compris dans la nomenclature légale des ateliers dangereux, insalubres ou incommodes, nous rappellerons ici qu'ils échappent presque complétement à l'empire du décret de 1810 et de l'ordonnance de 1815. Ce n'est que dans une circonstance spéciale, déjà exposée plus haut, que ce dernier règlement autorise les préfets à en prononcer la suspension.

1 V. n. 23 et suiv.

TOME I.

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Cette circonstance est celle où il s'agit d'établissements qui, « n'ayant pu être compris dans la nomenclature annexée à l'ordonnance de 1815, seraient cependant de nature à y être placés. » Quelques pages plus bas nous trouverons encore l'occasion d'insister sur ce point 1.

90. Dans tous les cas dont nous venons de parler, c'est l'administration supérieure, ou tout au moins les préfets et les sous-préfets, que nous avons vus agir. Serait-ce à dire qu'en matière d'établissements dangereux, insalubres, incommodes, l'administration locale, le pouvoir municipal, n'a aucune attribution?

91. Il en est une, tout d'abord, qu'on ne saurait lui refuser; c'est de veiller à l'observation des règlements législatifs de 1810 et de 1815, et à l'accomplissement des conditions introduites, en vertu de ces règlements, par l'administration supérieure dans les autorisations qu'elle accorde. - C'est, en effet, un des premiers devoirs des maires de procurer l'exécution des lois, des règlements, ainsi que des décisions prises par l'autorité dont ils sont les délégués 2.

Un maire peut donc ordonner la clôture ou la suspension d'un atelier qui, étant classé, aurait été ouvert ou serait exploité sans autorisation valable 3.

Il peut encore, après avoir constaté l'inaccomplissement de l'une ou de plusieurs des conditions insérées dans un acte d'autorisation, prononcer la suspension de l'établissement, jusqu'à ce que les choses soient mises dans l'état où elles doivent être. Par contre, il y aurait excès de pouvoir si l'autorité municipale prétendait défaire ce que l'administration a prescrit; si, par exemple, elle imposait à une usine classée des conditions.

1 V. n. 93, pages 120 et 121.

2 Art. 9, 10, 11, Loi du 18-22 juillet 1837.

3 Cass., 14 février 1833 (Jau); id., 13 novembre 1835 (Pouly).

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contraires à celles qui sont contenues dans l'acte d'autorisation ainsi jugé dans une espèce où un usinier était poursuivi pour avoir, malgré la défense d'un maire, déversé des eaux sales dans un ruisseau, mais qui, pour le faire, se fondait sur ce que dans l'acte d'autorisation de son établissement le préfet lui avait permis de laisser couler ses eaux dans ledit ruisseau1.

Il y aurait également excès de pouvoir de la part d'un maire qui ordonnerait la fermeture ou la suspension d'un établissement classé, par le motif qu'en fonctionnant dans les conditions de son autorisation il est une cause de danger pour la sûreté ou la salubrité publique 2.

Dans des cas semblables aux deux derniers, c'est-à-dire quand des inconvénients résultant de l'exploitation même régulière d'établissements autorisés font croire à l'autorité municipale qu'il y a lieu de changer les conditions d'exercice et de prescrire des conditions différentes ou supplémentaires, elle ne peut faire que ceci : ou en référer à l'autorité supérieure qui a seule le droit de modifier ce qu'elle a antérieurement prescrit, ou du moins ne prendre que des mesures de police qui n'excéderaient point le pouvoir propre qui peut lui avoir été laissé à l'égard des industries dangereuses, insalubres ou incommodes.

92. Voyons donc en quoi consiste ce pouvoir propre.

L'autorité municipale, nous l'avons déjà vu, a été chargée par les lois générales des 14 décembre 1789, 24 août 1790, 19-22 juillet 1791, de faire jouir les habitants d'une bonne police, et spécialement d'assurer la sécurité et la salubrité publiques, de prévenir les épidémies, les incendies et les accidents calamiteux. A l'origine, cette attribution comprenait certainement, dans la généralité de ses termes, la réglementation des industries qui peuvent offrir des dangers d'insalubrité,

1 Cass., 1er juin 1855 (Coquille).

2 Cass., 23 novembre 1850 (veuve Bonjour).

d'explosion, d'incendie pour le voisinage. Mais, plus tard, sont survenus les décrets de 1810 et de 1815, qui, sans enlever nommément cette réglementation aux autorités municipales, ont toutefois attribué à l'administration supérieure le pouvoir exclusif d'autoriser la création et l'exploitation des industries dont s'agit, d'après certaines règles relatives à l'emplacement et au local.

Ce n'est donc qu'au point de vue des faits qui n'intéresseraient pas l'existence même des industries dangereuses, insalubres ou incommodes, envisagées sous le rapport de l'emplacement ou du local où elles sont exploitées, que l'autorité municipale aurait conservé, en cette matière, un pouvoir qui lui serait propre.

93. On a prétendu, toutefois, que même à cet égard il y avait lieu de faire une distinction entre le cas où il s'agit d'industries classées et celui où il n'est question que d'industries non classées. C'est seulement vis-à-vis des premières, a-t-on dit, que les règlements de 1810 et de 1815 sont venus limiter les droits de police, conférés par les lois de 1789 et de 1791 aux autorités municipales ; mais vis-à-vis des secondes, c'est-à-dire des industries non classées, ces autorités ont toujours plein pouvoir de prescrire les mesures exigées par la sûreté, la salubrité et la tranquillité de leur territoire, lors même que ces mesures auraient pour objet l'emplacement ou le local.

La Cour de cassation, à la date du 21 décembre 1848, s'est prononcée dans ce sens : « Attendu, en fait, que J. Rendu, marchand de chiffons à Lons-le-Saulnier, ajoute à son commerce la vente des os, industrie non classée; que le maire de la ville, sur la réclamation du voisinage, lui enjoignit, par arrêté du 11 août 1847, de transporter hors la ville son dépôt d'os, qui répandait une odeur putride et présentait des dangers pour la salubrité publique; Attendu, en droit, que les règles tracées par le décret du 15 octobre 1810, pour le clas

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