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un genre de vie qu'il désirera continuer toujours, parce qu'il est plus utile pour lui et plus facile après tout que toute autre activité même criminelle. D'ailleurs, l'effort prolongé exigé pour son éducation technique sera une épreuve qui découragera le « bon détenu »; il est plus difficile de feindre l'énergie nécessaire à l'apprentissage d'un métier et à un travail soutenu que de ne pas violer les règlements ou de tenir des discours d'une piété édifiante. N'est-ce pas sur ce critérium de l'amendement qu'on pourra le mieux discerner les simulateurs? Il est facile de distinguer celui qui s'acquitte de sa corvée avec répugnance et celui qui prend sa besogne à cœur, s'intéresse à son métier et s'y perfectionne (Gautier). Or, l'utilité de cet amendement-là pour l'avenir est indiscutable; c'est le salut possible pour tous ceux qui ont failli par paresse, par faiblesse, qui sont entrés dans le délit parce qu'ils étaient des débauchés, des vagabonds, des ivrognes et des paresseux (1).

L'œuvre paraît si généreuse et si utile qu'on doit, semblet-il, ne point trop s'arrêter à l'objection inévitable de l'omnipotence et de l'arbitraire administratifs.

La part d'arbitraire est grande déjà dans nos prisons, et pourtant il ne faut pas hésiter à l'accroître encore, si du moins c'est pour atteindre par la peine un but d'amendement. Que pourrait en vérité une Administration sans pouvoirs, sans liberté d'organiser, de commander et surtout

(1) Telle est aussi la conclusion d'un article récent de M. von Liszt, dans la revue : Die Zukunft, p. 23 : « l'amendement n'est le but vraiment approprié que si le délit a pour causes la paresse et la cupidité, parce qu'alors l'éducation et l'habitude d'un travail régulier viennent précisément combattre les mobiles du délit ».

de libérer? S'il faut prévoir tous les abus, c'est pour prouver surtout la nécessité de se montrer très exigeant sur le choix des hommes que l'on chargera de ces hautes fonctions, aussi importantes et délicates que celles d'un juge. « Le mécanisme pénitentiaire le mieux conçu, le plus ingénieusement agencé reste inefficace s'il n'est mû par un personnel dévoué (1) »; mais pour tenter une œuvre pareille, ce n'est pas du dévouement seulement et de l'abnégation, des qualités de psychologue et de pédagogue, de médecin et de savant qu'il faut désirer chez les hauts fonctionnaires de nos établissements d'amendement. Le portrait du directeur de prison idéal tracé par Kraepelin offre toutes ces capacités et toutes ces vertus; ajoutons-y la foi qui opère des miracles pour obtenir l'amendement des condamnés, il faut y croire; le directeur doit être convaincu que le délinquant peut être relevé, qu'il peut redevenir un honnête homme. C'est être injuste envers les directeurs de nos prisons que de les prétendre trop sceptiques pour s'occuper de la moralisation des détenus, pessimistes au point de désespérer des jeunes délinquants primaires (2); sans doute «< nos quartiers d'amendement ne peuvent donner de bons résultats, tels qu'ils existent »>, mais c'est que les institutions elles-mêmes sont mauvaises. Et pourtant on a vu des directeurs de prisons, par un mélange de fermeté et de bonté, obtenir des résultats admirables (3). Que ne serait-on en droit d'attendre de leurs efforts, lorsque, par le choix des détenus, par le régime de l'établissement et

(1) Philosophie pénale, p. 514.

(2) M. Bosc, Bulletin des prisons, mars 1895. M. Émile Gautier, article cité. (3) Exemples donnés par le Dr Despine et par Proal, ouvrage cité, p. 447 : lettre des forçats du bagne de Rochefort demandant le maintien de leur di

recteur.

par l'organisation de leurs pouvoirs, tout concourrait au succès de l'œuvre? Mais surtout, répétons-le, l'entreprise d'amendement réclame des apôtres, comme le directeur d'Elmira, véritables bienfaiteurs de l'humanité, éducateurs des coupables par vocation et par philanthropie. « Il faudrait pouvoir mettre en regard les uns des autres, dans une prison, les pires des brutes humaines et les meilleurs des hommes, les Cartouche et les Vincent de Paul. Qu'on cherche ceux-ci, on finira bien par les trouver comme on finit par découvrir ceux-là. Alors il será possible de tenter les réformes nécessaires, qui tendent toutes, en somme, à élargir les pouvoirs arbitraires livrés aux directeurs, aux inspecteurs, aux employés des établissements pénitentiaires » (Tarde).

Voilà la vérité : il faut opter entre « les réformes nécessaires », c'est-à-dire une répression protectrice ou amendante, ou même simplement juste, et la crainte de l'arbitraire, qui nous a conduits tour à tour aux peines préfixes, pour désarmer le juge, et au dosage judiciaire, pour enchaîner l'Administration. La peine égale pour tous était souverainement injuste, la peine fixée dans la sentence n'est qu'approximativement proportionnée à la faute, mais il serait chimérique de rechercher une justice absolue; ce qui est plus grave c'est que la peine préfixe n'est pas protectrice, elle n'est pas amendante. La défense sociale, si elle doit être réalisée par l'élimination, ne réclame peut-être qu'une peine suffisamment prolongée ou perpétuelle, avec la faculté de libérer sous condition; mais nous croyons que le but d'amendement exige des peines indéterminées. Pour une meilleure justice, pour une protection sociale mieux assurée, il convient d'étendre les pouvoirs de l'autorité exécutive; pour le but d'amendement, il faut la délivrer du do

sage judiciaire. C'est introduire l'arbitraire administratif dans l'exécution des peines? Il y est déjà; pour l'en chasser, que la loi règle dans ses moindres détails le régime de chaque genre de prison, que le traitement soit uniformément appliqué à tous les prisonniers et à tous les réclusionnaires, et surtout supprimons la libération conditionnelle!

C'est un idéal qui peut séduire, si l'on pense que la meilleure égalité est dans l'uniformité légale, la véritable garantie de justice et de liberté dans l'omniscience du législateur. Mais pour individualiser la peine, le juge vaut mieux que la loi, peut-être l'autorité exécutive vaut-elle mieux que le juge. S'il s'agit d'amender, que peut faire la loi? que peut faire le juge? L'œuvre est aux mains de ceux qui exécutent la peine; s'ils sont enchaînés ils seront impuissants pour le bien comme pour le mal; ils ne devraient l'être que pour le mal assurément, mais le moyen? Nous verrons ce qu'on peut espérer du contrôle d'une commission de surveillance. Le pouvoir administratif sera du moins contrôlé; il restera arbitraire, et il` disposera de la durée de la peine! Le régime intérieur, le traitement, le travail, on lui abandonnerait volontiers tout cela, mais la date de la libération! Ici encore il faut savoir opter si le besoin d'un pouvoir arbitraire impose l'indétermination, acceptons l'indétermination. Et c'est précisément pour le but le plus noble, le plus généreux et le plus utile que l'Administration puisse poursuivre, l'amendement du condamné. Mais est-il nécessaire qu'elle dispose d'une détention tout à fait illimitée? L'essentiel est que le traitement puisse être assez prolongé (1) et que la date de la libération

(1) Si l'amendement n'est pas obtenu au bout d'un certain nombre d'an

dépende de l'amendement et de la possibilité du reclassement. C'est dans cette mesure que la peine doit être indéterminée; de manière à éviter les courtes peines et à choisir librement le jour de la libération.

La sentence relativement indéterminée y suffit parfaitement, si le maximum est assez élevé pour que la peine puisse être utilisée et s'il n'appartient qu'à l'Administration de là réduire et de libérer.

Avant d'aborder l'examen de l'organisation pratique d'un système de sentences indéterminées et d'un établissement fondé sur ce principe, nous pouvons dire, pour nous résumer, que nous serions disposé à accepter l'idée d'indétermination. Il ne nous a pas semblé qu'elle fût condamnée par les conditions essentielles de la pénalité, au moins sous sa forme modérée qui est la sentence relativement indéterminée. L'utilité de cette méthode nouvelle apparaît pour réaliser ce but particulier de la répression qui est l'amendement; l'indétermination de la peine est parfaitement appropriée à cette fin et l'indétermination relative y suffit. Et la recherche de l'amendement s'impose dans la répression pour une certaine catégorie de malfaiteurs, qui ont délinqué et qui récidiveront faute d'amendement, mais qu'on peut espérer améliorer et reclasser dans la société, en utilisant la peine et en l'adaptant au but d'amendement.

nées, il ne le sera sans doute jamais. Il ne s'agit pas d'attendre que la prison et l'âge aient rendu le malfaiteur inoffensif, mais de préparer un homme à vivre honnêtement, de son travail, dans la société.

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