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velours à son juste-au-corps on le prit pour un laquais portant la livrée de son maître. Balde, nouvellement arrivé, entra dans un café avec un colletin de peau, une culotte de cuir et des bottes : il passa pour un campagnard descendant de cheval. Toutefois, les Anglais ne modifient pas volontiers leurs modes quand ils sont à Paris. Ils gardent ordinairement leurs courts justeau-corps, leurs petites cravates, leurs petits chapeaux et leurs étranges perruques.

Pour tout ce qui concerne le costume, il vaut mieux imiter les Français, non qu'il soit honteux de paraître étranger, mais parce qu'il est inutile que toute la canaille s'aperçoive que vous l'êtes. Les gueux, les cochers, les décrotteurs ne vous laissent point en repos et veulent tous tirer quelque chose de vous. Ils ne s'attaquent pas si volontiers aux Français.

N'étalez pas un luxe supérieur à votre condition. Quelques-uns croient qu'on les honorera davantage quand ils seront couverts d'or et d'argent, mais ils se trompent fort. C'est la personne, non l'habit doré qu'honorent les Français dans un étranger dont ils connaissent le rang et le caractère. Ne vous parez pas comme une femme, mais gardez-vous aussi d'être malpropre sur votre personne ou crasseux sur vos vêtements.

Il faut être pourvu de linge fin et en mettre du blanc tous les jours. On reconnaît à cela un homme de qualité.

Il suffit donc à un gentilhomme de se commander un habit chamarré. En effet, des solennités ont lieu à la Cour qu'un étranger est curieux de voir, et comme elles attirent toujours une grande foule, on n'y est pas admis sans peine; mais avec un habit chamarré et une bonne mine, on peut passer pour un officier, et en France les officiers sont fort estimés et accueillis partout. J'ai connu des étrangers de condition qui, habillés en uni et sans galons, ont été repoussés par les Suisses postés à l'entrée des appartements, tandis que d'autres bien chamarrés passaient hardiment. L'abbé de Bellegarde, homme fort aimable à qui j'ai eu souvent l'honneur de parler, s'exprime sur ce sujet en termes très expres

sifs : « Un habit doré, dit-il, donne des entrées dans des lieux où l'on ne serait pas souffert si l'on était plus mal vêtu. Le mérite n'est pas gravé sur le front. Un sot avec un extérieur brillant marche sur le ventre à un bel esprit qui n'a pour son partage que beaucoup de savoir. » Outre cet habit galonné, il faut aussi en avoir un simple. J'entends par là un vêtement de même étoffe et de même couleur, juste-au-corps, veste et culotte, sans galons d'or ou d'argent. La doublure sera de taffetas ou d'un autre tissu de soie. Qu'on se fasse faire aussi une veste de drap d'or ou d'argent elle s'harmonise avec toute sorte d'habit et produit un bel effet. Un surtout d'écarlate est utile quand il pleut, et est reçu dans les sociétés du second rang. Il faut aussi être pourvu d'un habit noir. La Cour prend le deuil au décès des souverains étrangers; toutes les personnes de condition portent alors des vêtements noirs, au milieu desquels un habit de couleur fait pauvre figure. Les costumes brodés et superbes sont l'apanage des hommes de grande distinction et de grandes richesses qui ont plusieurs autres habits et peuvent en changer journellement.

Qu'on choisisse un tailleur en réputation, il vaut mieux payer un peu plus et ne pas risquer de perdre une belle étoffe. Presque tous les tailleurs dérobent, et il vaut mieux être volé par un bon ouvrier que par un mauvais (1). Je parlerai plus loin des précautions qu'il faut prendre avec les marchands pour n'en être pas trompé.

En ce qui concerne la perruque, ne regardez pas à quelques écus de plus ou de moins. Une perruque bien faite est l'ornement du visage, la plus noble partie de l'homme. Qu'on fasse mettre l'une sur les cordes pendant qu'on portera l'autre, et qu'on en change ainsi tous les mois; l'on ne saurait croire combien cela conserve les perruques. Je crois superflu de dire qu'il faut être bien chaussé, les souliers et les bas ne constituent pas une grosse dépense.

(1) Le client fournissait toujours l'étoffe au tailleur. (Note de M. A. Franklin.)

COMMENT ON DOIT TRAITER LES COCHERS DE FIACRES ET D'AUTRES CARROSSES DE REMISE QUAND ON VEUT SE SERVIR DE LEURS VOITURES.

Les gens de condition ne peuvent pas toujours aller à pied dans Paris. Il y pleut très souvent, et les rues sont alors pleines d'une boue due à la multitude des passants et des voitures. Il vaut mieux, dans ce cas, prendre un carrosse que de gâter sa perruque, ses habits, ses souliers et ses bas. La ville est très vaste, et parfois il y a une curiosité à voir dans un quartier éloigné où l'on ne pourrait facilement se rendre à pied. De plus, la bienséance commande quelquefois d'aller faire une visite dans quelque illustre maison où l'on été présenté : il ne convient pas d'y arriver la perruque en désordre à cause du vent, les bas et les souliers salis par la crotte. Ou bien, l'on a été à pied faire une visite quand le temps était beau; lorsqu'on se retire, la pluie a commencé, et comme on ne s'est muni ni de manteau, ni de surtout, on est obligé pour s'en retourner commodément de prendre un fiacre ou une chaise à porteurs.

Outre les chaises à porteurs, il y a deux sortes de voitures dont un étranger peut se servir les carrosses de louage qui stationnent en pleine rue et qu'on nomme vulgairement fiacres (1), et les carrosses dits carrosses de remise. On trouve ces derniers surtout au faubourg Saint-Germain, chez certaines gens qui font peindre des carrosses et des chevaux sur leurs portes cochères, ou bien y mettent un écriteau avec cette inscription: Loueurs de carrosses. On peut avoir dans ces maisons des voitures au mois ou au jour. De mon temps, on

(1) Les cochers de ces sortes de carrosse n'aiment pas cette appellation de fiacre; ils y répondent d'ordinaire brusquement. Ils prétendent être appelés cochers.

payait de trente à quarante louis d'or (1) par mois pour un carrosse; cette cherté était due en grande partie à messieurs les Anglais qui, après leur paix avec la France, étaient venus fondre en foule sur Paris. Comme ils ne se souciaient point de poignées d'argent, ils avaient fait tout monter à un prix inconnu depuis longtemps. Autrefois, l'on pouvait louer les carrosses à raison de vingt pistoles par mois, mais aujourd'hui il faut dix, douze et jusqu'à quinze francs par jour pour un carrosse de remise. Bien plus, je me souviens d'avoir payé et vu payer le même prix pour une seule après-midi, s'il y avait quelque curiosité à voir, et encore après bien des pourparlers. Pendant le carnaval, les carrosses sont excessivement chers. J'ai connu des étrangers qui ont alors payé vingt francs pour quatre à cinq heures pendant la nuit. Les loueurs de carrosses abusent volontiers, savent profiter du temps et des occasions.

Les fiacres stationnent dans les principales rues, attendant que quelqu'un y monte et indique l'endroit où il veut être conduit. Vers sept heures du matin, ils arrivent à la place où ils se tiennent habituellement et y restent jusqu'à dix heures du soir.

Il y en a quelquefois jusqu'à vingt inoccupés dans la rue Mazarine, d'autres fois il n'y en a pas un seul. Quand il fait mauvais temps, ou en été lorsqu'il fait beau, on a de la peine à trouver de ces voitures. On paie vingt-cinq sous (2) pour la première heure et vingt sous pour les suivantes; mais il faut que le cocher conduise le voyageur où il veut se rendre, sauf à Versailles. Les fiacres ne doivent aller dans cette ville, car il existe certaines voitures qui y font un service régulier, quoiqu'elles soient bien misérables. Les chevaux des fiacres sont tellement fatigués qu'ils peuvent à peine marcher. Le fond du coche n'est pas fermé, ou

(1) Un louis d'or ou pistole vaut dix francs.

(2) Il faut payer tout autant, quand même on ne s'en sert que pour un quart d'heure ou que l'on ne va que d'un lieu à l'autre. Les cochers sont impudents et ne veulent, dans ce cas, rien rabattre, ou peu de chose, sur le prix de louage.

bien les côtés sont troués; et ce qui choque le plus, c'est qu'il y a toujours une botte de foin attachée soit devant, soit derrière la voiture. Les cochers en donnent un peu à leurs chevaux toutes les fois qu'ils s'arrêtent, de sorte que ceux-ci ont encore une poignée de foin dans la bouche lorsqu'ils partent au galop. Toutefois, si quelqu'un ne veut pas être reconnu dans un tel fiacre, il n'a qu'à lever les fenêtres de bois disposées sur les côtés et sur le devant, et à se laisser ainsi traîner comme un aveugle. De cette façon pourtant, on doit toujours craindre que quelque carrosse ne heurte celui où l'on se trouve et le renverse, ou du moins en casse une roue ou quelque autre chose, ce qui arrive fréquemment. Alors notre seigneur, qui passait tout à l'heure incognito, est obligé de sortir de sa cage et de continuer sa promenade à pied à la vue de tout le monde. On peut facilement se servir de ces sortes de voitures lorsqu'on veut, par exemple, rendre visite à un ami, aller à la Comédie, à l'Opéra ou chez son banquier, aller acheter une chose, etc. Comme il faut peu de temps pour cela, on donne vingt-cinq sous au cocher et on le renvoie. Mais lorsqu'il s'agit d'aller saluer des gens de qualité, on ferait triste figure en arrivant en fiacre. S'il y a une cour d'entrée devant une telle maison, il n'est pas permis d'y entrer en fiacre, mais il faut que la voiture s'arrête devant la porte cochère. Les cochers ayant l'habitude de donner partout où ils s'arrêtent, et sans se soucier de rien, du foin à leurs chevaux, salissent la cour, et il n'est pas facile à des personnes de condition de faire toujours enlever les ordures que ces gens-là laissent derrière eux. Le portier-suisse ouvre tout d'abord la porte cochère à ceux qui viennent dans d'autres carrosses, de sorte qu'on peut avancer tout près de l'entrée et y descendre.

Pour ne pas perdre trop d'argent avec les carrosses de louage, il faut suivre le conseil suivant: Louez un de ces carrosses pour tout le jour, servez-vous-en pour rendre des visites le matin (1). Après le dîner, allez

(1) A Paris, l'on rend visite aux personnes de qualité le ma

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