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c'est l'ardeur incroyable avec laquelle l'esprit humain se livra alors à des recherches qui ne lui offraient cepend'attrait le plus vif, le plaisir le plus dant pas le genre d'attrait naturel qui soit attaché à l'exercice de ses forces, celui de découvrir des vérités no 11 velles, ou, ce qui semble la même chose, des rapports nouveaux entre des vérités déjà connues. Je ne trouve guère, dans l'histoire des lettres et des sciences, qu'une seule époque où il me semble que les esprits fussent transportés avec autant de passion et d'énergie vers des études d'ailleurs bien diffé rentes, et plus dignes encore d'un si grand zèle; je veux parler de l'époque où les sectes philosophiques de la Grèce sondaient avec tant de hardiesse et de génie les mystères de l'intelligence et de la volonté humaine, pour en déduire les lois de la raison et de la morale.

Mais c'est en revenant à la poésie nationale de l'Italie · que M. Ginguené était le plus assuré de faire heureusement diversion à ce que paraît avoir d'un peu aride l'érudition du quinzième siècle. Dans la première moitié du siècle, les deux poëtes italiens les plus remarquables sont Giusto de' Conti et Burchiello. Le premier est célèbre par un recueil considérable de sonnets qui eut le mérite de l'élégance et de la correction, sous le rapport de la langue, dans un tems où ce mérite était rare et peu senti. Il fut grand imitateur de Pétrarque, mais il eût mieux valu lui ressembler davantage, et l'imiter moins. Burchiello est fameux comme inventeur d'un genre de poésie particulier à l'Italie, et si bizarre que je n'en saurais donner une idée, à moins de répéter tout ce qu'en dit M. Ginguené, et même de citer textuellement des exemples. Plus près de la fin du siècle fleurirent d'autres poëtes de plus ou moins de mérite, mais qui furent tous éclipsés par Laurent de Médicis et par Ange Politien.

Ces deux noms se présentent agréablement, et comme de compagnie, à la mémoire des amis de la poésie et des lettres. L'article que M. Ginguené a donné à chacun d'eux est assez étendu, et je ne puis me livrer au plaisir d'en indiquer les principaux traits, mais je n'hésite point à affirmer que le chapitre dont ils forment la partie la plus saillante est devenu par-là l'un des plus soignés, des

plus agréables de tout l'ouvrage. On ne saurait juger avec plus de goût et de justesse, ni énoncer son jugement avec plus de grâce et d'intérêt que ne l'a fait ici notre historien et l'hommage qu'il rend à deux talens originaux et distingués dans un siècle dont il s'en faut bien que l'originalité soit le cachet, termine le tableau littéraire de ce siècle d'une manière plus brillante et plus heureuse que l'on ne s'y attendait.

Il semblera peut-être que j'ai parlé bien longuement de l'Histoire littéraire de l'Italie, par M. Ginguené, et cependant je n'ai fait, pour ainsi dire, qu'indiquer l'ordre matériel dans lequel se suivent les diverses parties de cette histoire ; à peine ai-je pu dire quelque chose de ce qui en fait le mérite intrinsèque. Je n'ai point parlé du style; constamment correct, animé et facile ; éloquent et noble quand les matières le comportent ou l'exigent; agréable et léger, mais sans prétention et sans recherche, quand il convient de sauver par la forme l'aridité passagère et accidentelle du fond; attestant partout, en un mot, non pas seulement le talent naturel, mais le talent assoupli, fortifié, fécondé par l'exercice. Je n'ai pu faire remarquer comment les grandes parties de l'ouvrage sont enchaînées entre elles, ni par quelles transitions les détails en sont fondus ensemble ou rapprochés. Je n'ai pu montrer comment l'unité et l'éléva– tion de sentiment et de pensée qui y règnent par-tout ajoutent à l'intérêt positif du sujet une sorte d'intérêt moral qui l'ennoblit en lui communiquant quelque chose de général et d'absolu. Il m'a été également impossible d'entrer dans la discussion de quelques faits et de quelques opinions, où j'aurais proposé à M. Ginguené mes doutes bien plus que des objections; mais toutes ces omissions tiennent à l'étendue même et à l'importance de l'ouvrage dont j'avais à parler. J'aurai, je l'espère, l'occasion d'en réparer au moins quelques-unes, et je la saisirai avec un plaisir égal à celui que m'a procuré la lecture de cet ouvrage qui enrichit véritablement notre littérature, dans un genre où l'on ne sent peut-être pas assez combien elle a besoin de l'être.

Après tant de recherches partielles auxquelles il a fallu

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donner de l'importance par la manière de les lier et de les présenter; apres tant

de discussions dont il a fallu

prouver par le fait que les sujets n'en étaient point à beaucoup près épuisés, quoique rebattus; après tant de jugemens où il a fallu satisfaire à la haute renommée des hommes auxquels ils s'appliquaient, sans manquer à la vérité, plus haute que toutes les renommées M. Ginguené semble à peine arrivé au tiers de la carrière qu'il a promis de parcourir. Mais la partie qui en reste devant lui est la moins ardue, la plus brillante, celle où un plus grand nombre de lecteurs, tout en faisant sur ses pas beaucoup de découvertes inattendues, trouveront néanmoins plus d'objets accoutumés d'admiration. Et s'il avait besoin d'un autre sentiment que de celui de vouloir et pouvoir bien faire, pour être encouragé à poursuivre un aussi grand travail que le sien, un travail dont les difficulés apparentes sont bien loin d'égaler les difficultés réelles, il lui suffirait sans doute de considérer avec quelle satisfaction la première livraison de ce travail a été accueillie en Italie, en France, et j'ajouterai dans la France méridionale, aux habitans de laquelle il a retracé des anciens jours de gloire où ils donnèrent à l'Europe entière les premières leçons et les premiers exemples de la poésie et de l'art d'écrire. C. F...

AUX RÉDACTEURS DU MERCURE DE FRANCE, Sur le nouveau livre de Mme DE GENLIS, intitulé: Examen critique de la BIOGRAPHIE UNIVERSELLE.

ME suis-je trompé, Messieurs, lorsque j'ai pensé que mon double titre d'abonné du Mercure et de souscripteur de la Biographie Universelle, m'autorisait à vous proposer d'insérer dans votre journal quelques réflexions sur l'examen critique que Me de Genlis vient de publier de cet ouvrage? Non, me direz-vous, si ces réflexions sont utiles et ne prennent pas un espace dont nous pourrions mieux disJe vous entends, Messieurs, l'alternative est trop juste. Voici mes observations, faites-en l'usage qu'il vous plaira,

poser; mais...

Et d'abord je vous avouerai qu'avant votre article de samedi dernier, où vous annoncez la première livraison de la Biographie Universelle, je n'avais point pensé à lire la brochure de Mme de Genlis; la raison en est qu'elle avait causé, pour me servir d'une expression de cette dame, une espèce de désapprobation du public. J'entendais répéter par-tout que la passion l'avait dictée, et qu'il serait ridicule d'ajouter quelque importance aux critiques faites par une femme, d'un livre où travaillent tant de savans et de littérateurs distingués. Votre article, qui semble écrit -par l'impartialité la plus franche, m'a fait changer d'idée. On y relève plusieurs omissions et quelques fautes particulières des nouveaux biographes, tout en rendant justice à l'ensemble de leur travail. J'en ai conclu que, sans passion, on pouvait critiquer utilement cet ouvrage ; que les écrivains les plus distingués peuvent se tromper quelquefois; et mon but dans la lecture des critiques étant sur-tout de m'éclairer, j'ai pensé qu'après l'avoir été par l'impartialité, je pouvais encore profiter des recherches de la malveillance, bien entendu que je n'adopterais aucune de ses imputations qu'après avoir eu soin d'en constater la vérité. Voilà dans quelles dispositions j'ai ouvert l'Examen critique, et vous saurez bientôt quel profit j'en ai tiré pour mon instruction. Après quelques phrases préliminaires, l'auteur débute par altaquer, non l'ouvrage même, mais le titre et le Prospectus. Elle ne veut point qu'un ouvrage soit entiérement neuf lorsqu'il ne l'est entiérement que pour le style, comme si les faits pouvaient être neufs dans un livre historique, comme si les fables de La Fontaine presque toules empruntées d'autres fabulistes, n'étaient pas, par le seul fait du style, un ouvrage entiérement neuf. De cette remarque vraiment neuve, Mme de Genlis passe à l'examen de la liste des collaborateurs, elle se récrie sur leur nombre; elle observe que Bayle et D. Calmet ont fait seuls de grands dictionnaires, et son observation paraîtrait solide, si un peu plus loin elle n'exigeait deux collaborateurs, non pour un dictionnaire entier, mais pour un seul article, lorsqu'il concerne un homme qui a été géomètre et littérateur tout ensemble, comme Leibnitz, Fontenelle ou d'Alembert. Cette contradiction vous paraîtra peut-être un peu forte, mais ce n'est point Mme de Genlis, c'est M. Auger qu'il faut en accuser; si l'un ne s'était point avisé de dire qu'il fallait une réunion nombreuse de gens de lettres pour composer un dictionnaire historique, l'autre

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pas

pas

par

n'aurait point écrit que cette entreprise pouvait être exécutée par un seul. Ce que prouve, c'est qu'après avoir bien plaisanté sur le nombre des collaborateurs de la Biographic, ime de Genlis propose d'en faire composer une autre un pareil nombre de collaborateurs d'où il résulte quici ce n'est point le nombre mais le choix qui la scandalise. Pourquoi, dit-elle, n'a-t-on pas chargé de la vie des poëtes, au lieu de M. Auger, M. Esménard, Mme de Vannoz ou M. Treneuil? Pourquoi les auteurs tragiques vivans n'ontils été chargés de juger les morts? Pourquoi n'a-t-on suivi la même règle pour les auteurs comiques? Pourquoi les poëtes épiques et les grands traducteurs n'ont-ils pas été mis entre les mains de M. Delille? Pourquoi les Littérateurs et les autres poëtes n'ont-ils pas pour historiens, MM. Briffaut, Perceval, Millevoye, etc., Mues de Salm et de Beaufort? Pourquoi?...... Ces questions, Messieurs, ne vous semblent-elles pas trop plaisantes?... Faut-il pour y répondre rappeler à Mme de Genlis la note où elle reconnait qu'il n'est pas nécessaire d'être poëte pour juger les poëtes, et où elle appuie cet aveu de l'exemple de M. Dussault? Faut-il joindre à cet exemple, très-imposant sans doute, ceux d'Aristote, de Quintilien, de Johnson, qui, sans être poetes, ont parlé peut-être aussi bien des poëtes et de la poésie que le journaliste qu'elle a cité? Pourrait-elle oublier enfin que ce n'est point dans les arts, dans les ouvrages d'imagination, qu'on est jugé par ses pairs de la manière la plus équitable?

par

Mais voici qui vaut encore mieux parmi les collabora teurs de son nouveau Dictionnaire, Mme de Genlis propose pour les voyageurs, et l'Histoire ancienne, M. de Châteaubriant; pour l'Histoire moderne, M. de Lacrctelle; elle veut que les hommes d'Etat et les moralistes soient traités M. de Bonald, les romanciers par Mme de Beaufort et par l'auteur d'Adèle de Sénange. Il n'y a même que le respect qui l'empêche d'ajouter à sa liste un poëte et un orateur célèbres revêtus d'éminentes dignités. Mme de Genlis a véritablement des idées neuves. Croit-elle donc les hommes et femmes de lettres que le respect ne l'empêche pas de nommer, fussent tous disposés à faire des articles pour un Dictionnaire? Il semblerait, à l'entendre, que MM. Michaud n'avaient qu'à envoyer un ordre à tous les écrivains célèbres pour les attacher au leur; qu'aussitôt chacun eût abandonné ses propres travaux, sacrifié ses loisirs et même ses devoirs, pour coopérer à la nouvell

que

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