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peut aller qu'en diminuant, attendu que depuis longtemps nos cultivateurs cherchent une voie de prospérité autre que la culture des céréales.

Dans tous ces débats économiques il y a évidemment des exagérations, et, pour en faire justice, nous attendons avec impatience les réponses au questionnaire du ministre. Il nous en coûte d'ajouter une pleine confiance aux doléances du comité central d'agriculture de Dijon, qui, de libre-échangiste qu'il était, nous assure-t-on, sous l'empire, est devenu tout à coup protectionniste sous la République, et déclare aujourd'hui qu'il s'alarme de l'importation des viandes fraîches ou conservées d'origine étrangère. Est-ce que, par hasard, le gros bétail de l'Auxois aurait baissé de prix ? Le même comité nous apprend que si la protection n'avait pas lieu, on verrait d'ici à trois ans, dans l'arrondissement de Dijon, des milliers d'hectares en plein rapport aujourd'hui, laissés à l'état de friches. Nous voudrions bien savoir où sont ces milliers d'hectares, ainsi condamnés d'avance.

Les protectionnistes reprochent aux libres-changistes de jouer trop facilement avec les chiffres. Ceux-ci seraient bien en droit de leur retourner le reproche, attendu qu'en fait de chiffres les partisans de la protection sont passés maîtres. Demandez plutôt à celui d'entre eux qui tout dernièrement, dans la réunion du Grand-Hôtel, attribuait aux États-Unis une production annuelle de plus de 400 millions d'hectolitres de blé, quand en réalité elle ne dépasse guère 100 millions et reste parfois au-dessous. C'est le maïs qui produit les 400 millions d'hectolitres dont il a été parlé, et non le froment. La rectification mérite la peine d'être faite.

La question des laines n'a ni l'importance, ni la gravité de celle des céréales et de la viande. Néanmoins, on nous permettra d'en dire un mot. Aujourd'hui on se récrie fort contre la concurrence de l'Australie, et l'on ne paraît plus se rappeler que nos éleveurs, il y a vingt ou vingtcinq ans, ne tarissaient pas en éloges sur ce pays, qui s'approvisionnait chez nous de ses meilleurs reproducteurs à des prix fabuleux. Alors on eût été mal venu à se plaindre de l'Australie, mais à présent qu'elle n'a plus besoin de nos services et qu'elle n'enrichit plus nos moutonniers, c'est une autre affaire. Et cependant, il faut reconnaître loyalement que la production française n'est pas en mesure de répondre aux demandes de l'industrie. Ce qui constitue le principal commerce avec l'Australie, ce sont les laines fines: or, ce sont précisément ces laines fines qui nous font défaut. Et puis, on voudra bien remarquer qu'elles ne sont pas de même nature de part et d'autre dans cette catégorie spéciale, et que souvent elles se complètent l'une par l'autre.

Depuis longtemps, d'ailleurs, les éleveurs français ont perdu tout espoir dans la rémunération par la laine, et ils se sont attachés surtout

à produire de la viande, même avec les mérinos, dont on a cherché à éclaicir les toisons et à allonger la mèche.

Au milieu de ces plaintes, de ces discussions brûlantes, nous avons le plaisir de constater qu'il se rencontre de loin en loin des hommes d'initiative qui ne perdent pas leur temps à grossir des points noirs. avec leur loupe, et qui cherchent au contraire des moyens autres que les taxes pour imprimer le mouvement et augmenter la production du sol national. (Le Siècle). P. JOIGNEAUX. Député de la Côte-d'Or.

LES DERNIÈRES DISCUSSIONS FINANCIÈRES

AU CONSEIL MUNICIPAL DE PARIS, A PROPOS DE L'EMPRUNT.

Rien n'est tenace comme une habitude, particulièrement une mauvaise habitude.

Parmi les habitudes mauvaises les plus tenaces figure celle de manger « son blé en herbe ». Je sais bien que pour corriger cette habitude il faut acquérir la vertu contraire: la prévoyance, car le milieu, qui consiste à dépenser tout son revenu, mais rien que son revenu, est difficile à garder.

Les dernières discussions financières qui ont eu lieu au conseil municipal de Paris viennent de nous montrer que la mauvaise habitude de l'imprévoyance peut sévir plus vigoureusement sur les collectivités que sur les individus. En effet, parmi les hommes qui ont proposé ou soutenu les divers projets d'emprunts débattus. récemment, il n'en est pas un seul qui voudrait administrer ses affaires personnelles comme il désirerait qu'on administrât celles de Paris. Il semblerait qu'il y a quelquefois chez les êtres de raison que forment les élections une sorte de retour à l'état de nature, lequel état a, comme on sait, pour caractère principal l'imprévoyance.

On dit les affaires d'une ville ou d'un Etat ne doivent pas être traitées comme des affaires particulières. Les gens à qui on oppose un exemple ou une comparaison répondent invariablement : Oh! ce n'est pas la même chose! Reste à savoir s'ils ont raison.

On sait qu'un des points du programme impérialiste de 1852 consista dans une diversion tendant à détourner l'attention publique de la politique pour la porter sur les « affaires ». Au nombre de ces affaires se trouva la reconstruction de Paris, qui avait en outre l'avantage de permettre l'exécution d'un plan de voies stratégiques, qui ont été très-utiles comme on l'a vu. Seulement

les ressources ordinaires ne pouvaient suffire à une semblable entreprise, aussi eut-on recours au système du crédit. On use et abusa de ce système au point que vers la fin de l'empire M. Haussmann, après avoir employé tous les expédients, fut obligé de céder la place.

Il semblait que, après une semblable fin, le système devait être abandonné sans retour. Il n'en fut rien cependant. Au bout de quelques années on vit reparaître les idées de démolition et de reconstruction. Plusieurs mobiles contribuèrent à cette résurrection. D'abord il y eut les traditions administratives. Le personnel formé sous l'administration de M. Haussmann, et qui est toujours en fonction, avait fait sien le plan de reconstruction et le système de « bâtisse » à jet continu. Ensuite, il y avait les membres de la corporation du bâtiment, laquelle développée à l'excès pendant l'empire ne voulait pas décroître; puis de nombreux propriétaires et même des locataires, particulièrement des boutiquiers, qui désiraient être expropriés avec une bonne indemnité. - Car on n'ignore pas que pendant quinze ans ce fut une bonne fortune, très-enviée, que de se trouver sur le passage d'une nouvelle voie. - D'un autre côté, des républicains peu versés dans les questions économiques assuraient qu'il fallait que la République fit travailler comme avait fait l'empire. Il y avait, enfin, des financiers dont le métier est d'émettre sur la place des titres d'emprunts ou de sociétés, et des rédacteurs et administrateurs de journaux pour qui une souscription est très-productive.

Tous ces intérêts se mirent en branle. Les financiers obtinrent tout d'abord satisfaction, parce que la ville de Paris fut obligée d'emprunter pour faire face aux conséquences de la guerre étrangère et de la guerre civile ainsi que pour liquider la situation laissée par M. Haussmann et créer le cimetière de Méry-sur-Oise. Mais, comme c'est le métier des financiers de souscrire ou de faire souscrire des emprunts, ils sont insatiables. D'autre part, les amis du « bâtiment » n'étaient pas satisfaits.

Il existe dans un certain milieu et particulièrement chez les membres des professions qui contribuent à la construction des maisons... et même à leur démolition, un préjugé qui a sa formule dans cet axiome: quand le « bâtiment » va, tout va. Seulement, au lieu de regarder la bonne marche du « bâtiment » comme un simple phénomène symptomatique qui indique qu'on place en maisons les capitaux gagnés ailleurs, ils veulent absolument en faire une cause de prospérité. De là, à vouloir faire « aller le bâtiment » par tous les moyens artificiels qu'on peut imaginer, il n'y a qu'un pas facilement franchi. Il fallut entendre les protectionnistes du bâti

ment lorsque, en 1876, l'administration proposa un emprunt de 120 millions pour le percement de l'avenue de l'Opéra, l'achève. ment du boulevard Saint-Germain et la reconstruction du marché aux vins de Bercy. Nos estimables concitoyens de la Creuse furent dans la joie et leurs représentants furent les plus chauds défenseurs du projet.

Il n'y eut, en cette circonstance, que vingt conseillers municipaux quiosèrent résister au courant ou qui ne furent pas convaincus par cet argument il faut montrer aux étrangers qui viendront pour l'Exposition de 1878 une nouvelle merveille. L'emprunt fut voté, l'avenue de l'Opéra percée, le boulevard Saint-Germain achevé, du moins quant à la viabilité. Les choses en étaient là récemment, et personne ne pensait qu'il fût possible de contracter un nouvel emprunt, -d'ailleurs, il manquait pour cela un des éléments indispensables: des ressources pour gager ledit emprunt, c'est-à-dire pour assurer le paiement des intérêts et le remboursement. La ville de Paris est sans doute dans une situation prospère, et ses impôts rentrent bien; mais il lui serait difficile de trouver un produit échappant à l'octro et qu'on pourrait frapper... Si, cependant, il reste les légumes frais et secs lentilles, haricots, pommes de terre, etc. Il serait également fort difficile d'élever le taux des droits existants. Il faut, d'autre part, se rendre compte de cette situation: sur un budget de 223 millions, la ville de Paris payait, et paye encore, 106 millions pour intérêts et amortissement de ses dettes. Les gens qui prétendent que les affaires d'une ville ou d'un Etat ne doivent pas être conduites comme celles des particuliers ont de quoi être satisfaits. Quel est le particulier qui ne serait pas pourvu d'un conseil judiciaire s'il se plaçait dans une telle situation qu'il dût affecter près de la moitié de son revenu à l'intérêt et à l'amortissement de ses deltes?

Dans de semblables conditions on pouvait regarder sans crainte les efforts d'un conseiller municipal qui réclamait à cor et à cris un emprunt de 600 millions pour «< finir Paris ».

Les choses donc en étaient là, lorsque survint un incident qui reposa la question qu'on croyait résolue. Voici ce qui se produisit : le Crédit foncier offrit de prêter 140 millions à la ville de Paris sans augmenter les charges actuelles. Les directeurs de cet établissement financier firent cette proposition parce qu'ils avaient de fortes raisons de prévoir un événement. Cet événement devait consister dans le remboursement d'un emprunt déguisé, contracté en 1867-68, au moment où le système de la reconstruction de Paris était tombé en défaveur. Cet emprunt coûtait, ou plutôt coûte encore, 5/16 0/0. Or, à l'heure actuelle, l'argent est à un taux très-bas, beaucoup plus bas que celui payé au Crédit fon4. SÉRIE, T. VII. 15 juillet 1879.

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cier. Par suite, l'administration municipale eût été fautive si elle n'avait pas profité de la clause du traité qui lui confère le droit de rembourser par anticipation. D'autres établissements financiers ou même le public auraient certainement prêté à des conditions meilleures l'argent nécessaire à ce remboursement. Mais, dans ce cas, le Crédit foncier eût dû recevoir la somme de 282,926,352 fr. 89 c. et l'employer à racheter un certain nombre de ses obligations, ce qui eût été pour lui une opération fort gênante.

Ce fut pour cette raison que le gouverneur du Crédit foncier proposa à la préfecture de la Seine de prêter 140 millions sans exiger actuellement plus que l'annuité de 19 millions environ, mais en prolongeant le paiement de cette annuité de 1908, date de l'amortissement complet, à 1938, c'est-à-dire pendant trente ans. Ainsi que le démontra M. Clamageran, cet emprunt aurait coûté 2 0/0 jusqu'en 1908, mais à partir de cette date il eût été pendant trente ans au taux de 12 0/0.

L'administration municipale ouvrit l'oreille à ces propositions. L'idée que Paris doit être reconstruit est tellement ancrée dans les esprits que chaque préfet veut marquer son consulat par quelques travaux importants. On prétend aussi qu'il en est de même pour chaque conseil. En fait, le grand-livre de la Ville a été ouvert avec autant de facilité sous le conseil municipal élu qu'au temps de la commission que le gouvernement impérial décorait de ce nom immérité.

Expliquons-nous tout de suite sur un point important: les travaux à faire dans Paris. Il est certain que la circulation et l'hygiène réclament de nombreux percements et élargissements, en même temps que la démolition et la reconstruction d'un nombre considérable de maisons. Pour bien faire, il faudrait abattre tous les quartiers qui sont situés entre la rue de Rivoli et les boulevards de la rive droite. Il y a là en effet nombre de rues trop étroites pour la circulation et beaucoup de ces carrefours que le populaire désigne, dans son langage imagé, sous le nom de « rendez-vous des écrasés ». Il y a en outre, dans les quartiers de la Banque, des Halles, Saint-Denis, Saint-Martin, du Temple, du Marais, des maisons véritablement dangereuses au point de vue de l'hygiène. On aurait bien fait de consacrer à ces travaux les centaines de millions qu'on a employés pour créer des quartiers luxueux ou percer des voies qui n'avaient rien d'indispensable. On prête à l'ancien préfet, dont le nom est devenu celui d'un système, un mot qui n'est peut-être pas vrai, mais qui est très-exact comme peinture de l'état d'esprit des hommes de cette époque :

-Faisons d'abord le superflu, le nécessaire se fera toujours.

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