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rait pu ne pas s'étendre sur l'esclave embauché; néanmoins, le cas s'étant présenté, et le monarque voulant être juste envers le maître, il faisait écrire par son ministre, à d'Eragny, le 4 octobre 1691.

<< Monsieur, le roi ayant été informé qu'il est passé en France, » sur le vaisseau l'Oiseau, deux nègres de la Martinique, Sa >> Majesté, pour punir le sieur Chevalier Hère, qui le commande, » de n'avoir pas eu, à cet égard, toute l'attention qu'il fallait » pour les empêcher de s'embarquer, donne ordre au sieur Cé» béret d'en retenir le prix sur ses appointements, sur le pied » de trois cents livres pour chacun, et de le faire remettre à >> l'écrivain du vaisseau le Vaillant, pour le payer suivant vos >> ordres, à ceux à qui ces nègres appartenaient. Elle n'a pas >> jugé à propos de les renvoyer aux fles, la liberté étant acquise >> par les lois du royaume, aux esclaves, aussitôt qu'ils en tou» chent la terre (1). »

Cet acte de loyauté n'a malheureusement été que trop peu suivi par les hommes appelés à gouverner ces pays exceptionnels. Depuis que les grandes idées philantropiques tendent à ruiner les colons, et à replacer dans la sauvagerie ces mêmes esclaves, on a fermé les yeux sur l'embauchage, devenu si commun dans nos tles. Si les capitaines caboteurs de nos colonies, presque tous mulâtres libres, qui prêtent la main à l'évasion des esclaves chez nos voisins les Anglais, n'ont point d'appointements payés par le gouvernement, ne devrait-on pas les forcer à fournir caution suffisante pour mettre les propriétaires à couvert de pareilles pertes (2)?

Ce fut dans les premiers jours de novembre 1691, et après

(1) Volume des Ordres du roi de 1691, Archives de la marine, p. 104. (2) Il est plus d'un maître pêcheur, plus d'un canotier de nos colonies, dont longtemps l'unique ressource ne consistait qu'en ce genre d'industrie. Chez eux, le principe philantropique n'avait pas fait taire l'intérêt, car, par les procès qui les ont jugés coupables, on a su qu'ils recevaient de l'argent des esclaves auxquels ils promettaient la liberté ; la liberté qui, pour eux, chez nos habiles voisins, se traduit par : mourir de faim!

avoir transcrit à d'Eragny les instructions qu'il aurait à suivre, que le roi, après avoir appris sa mort, rappela au gouverne→ ment général des Antilles le comte de Blénac. Mais, avant de le replacer dans ce poste, que le roi n'avait pas cru, dans les circonstances actuelles, pouvoir être mieux occupé que par lui, voyons un peu ce qui s'était passé à Saint-Domingue, pendant les derniers mois de l'année 1691.

Saint-Domingue, privée de ses deux chefs et envahie par des troupes ennemies, avait donné, comme nous l'avons reproduit, de grandes inquiétudes au roi; et, comme il ne savait pas encore le rembarquement des Espagnols, il avait écrit à d'Eragny, pour porter le plus promptement possible des secours à celle colonie; mais, avant tout, il fallait pourvoir au remplacement de de Cussy.

D'Arbouville, chargé du commandement d'une escadre dans les Antilles, paraissait être celui sur lequel s'arrêtorait le choix du roi; mais du Casse, dont les services signalés étaient parvenus fut choisi, et sa commission de gouverneur lui fut délivrée, le 1er juin 1691 (1)..

en cour,

Employé d'abord dans la compagnie de Guinée, du Casse, lors de son premier voyage à Saint-Domingue, avait éprouvé, de la part des habitants une mauvaise volonté qui lui faisait crain dre que son autorité, comme commis et agent de la compagnie qu'il représentait, ne fût méconnue. Les habitants de Saint-Domingue redoutaient le commerce exclusif, et craignaient la gêne qu'il impose. Mais, étant parvenu à leur faire comprendre la nécessité d'avoir un plus grand nombre d'esclaves noirs, et l'impossibilité de se les procurer par une autre voie que celle de la compagnie, ils avaient avoué qu'ils s'étaient alarmés mal à propos, et ils avaient consenti à tout ce que du Casse avait voulu.

Après plusieurs voyages productifs pour cette compagnie, du Casse était entré au service du roi, et il s'était, en peu de temps, acquis une réputation qui faisait bien prévoir des actes. de son gouvernement futur..

(1) Archives de la marine.

Aimé des Flibustiers, qu'il s'était associés dans plus d'une circonstance, du Casse, profitant des manifestations guerrières des colons, avait déjà, en 1688, tenté une entreprise contre les Hollandais de Surinam. Elle n'avait point réussi, parce que les Hollandais, avertis à temps, n'avaient point été surpris et avaient opposé aux Français une vigoureuse résistance. Cette malheureuse tentative coûta à Cayenne plusieurs de ses habitants, qui, faits prisonniers, furent plus tard transportés aux Antilles, où ils s'établirent; mais elle avait fait apprécier à leur juste valeur son courage et sa hardiesse.

Arrivé au cap, dans le courant d'octobre 1691, il apprit que les Anglais et les Espagnols avaient formé des entreprises contre nos possessions de Saint-Domingue; que les habitants de Cuba, dans la certitude que nous en serions chassés incessamment, se disposaient à embarquer des familles entières pour les établir dans les habitations françaises, et qu'il devait venir trois mille hommes des milices de Cuba, de Porto-Rico, et de la partie espagnole de Saint-Domingue, pour attaquer les quartiers les plus avancés dans les terres, tandis qu'une flotte agirait sur les côtes.

Ces bruits, qui lui parurent plutôt répandus dans l'intention d'intimider les Français établis à Saint-Domingue, l'inquiétaient néanmoins, en ce sens qu'il trouvait cette colonie moins forte de quatre mille hommes, sans fortifications, sans munitions et sans vaisseaux.

Averti cependant que la flotte d'Espagne paraissait sur les côles et semblait vouloir menacer le Cul-de-Sac, du Casse se transporta aussitôt dans les quartiers de Léogane et du PetitGoave avec les vaisseaux du roi, qui lui avaient servi d'escorte dans son voyage.

Les Anglais devaient se joindre aux Espagnols, mais battus, comme nous l'avons dit en tête de ce chapitre, par Tourville, il restait à craindre ceux de la Jamaïque, et du Casse, les sachant impuissants à nous attaquer dans Saint-Domingue, se mit seulement en garde contre leurs alliés. Afin, surtout, de préserver les côtes des corsaires que ces deux nations armaient contre nous,

du Casse appela promptement à lui tout ce qui avait survécu des anciens Flibustiers. Il organisa ses milices et se mit en devoir de repousser l'agression des ennemis qui devaient nous attaquer de nouveau, dans le courant de 1692, mais qui, pour le moment présent, se retirèrent en présence des bonnes dispositions que ce gouverneur avait prises.

CHAPITRE VIII.

ARRIVÉE DE DE BLENAC AUX ANTILles.

LE CONSEIL SOUVERAIN DE
AU FORT-ROYAL.
RECENSEMENT DES

LA MARTINIQUE TRANSFÉRÉ DE SAINT-PIERRE
ATTAQUE DE LA MARTINIQUE PAR LES ANGLAIS.
MILICES DE LA MARTINIQUE.
EN 1692.

SAINT-DOMINGUE

ET LA JAMAÏQUE,

De Blénac, dont la présence était nécessaire aux Antilles, pressé par le roi de s'embarquer, avait mis à la voile, de Rochefort, vers les derniers jours de décembre 1691. Faisant route pour la Martinique, escorté par l'escadre que le roi avait mise sous les ordres de de Vaudricourt, il avait fait de nouveau enregistrer ses pouvoirs au Conseil Souverain de cette île, le 5 février 1692.

Depuis quelque temps, le but de la cour et des administrateurs étant de faire du Fort-Royal le siége du gouvernement, bien des Mémoires avaient été adressés en cour, pour que SaintPierre ne perdit pas cette suprématie que lui valait son commerce. Mais sa rade ne pouvant être que difficilement protégée en cas d'attaque, ce motif avait décidé la cour à faire de cette autre ville la capitale de l'île. Son site, au fond d'une baie large et spacieuse, convenait mieux, sous tous les rapports, pour ce projet.

Jusque-là, les séances du Conseil Souverain de la Martinique s'étaient tenues à Saint-Pierre, mais dès que ce changement fut notifié à ce corps, il se transféra au Fort-Royal, s'y rassembla, et ne fit aucune difficulté pour changer de résidence. (Voir les Annales.)

Le commerce, plus récalcitrant, continua à se concentrer à Saint-Pierre, et, quels qu'aient été, par la suite, les avantages qu'on ait voulu faire aux négociants qui iraient s'établir au FortRoyal, allant même jusqu'à leur offrir des lettres de noblesse, jamais cette ville n'a attiré dans ses bassins que quelques navires

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