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au ministre, car il doit régler souverainement les affaires d'intérêt local.

S'agit-il de construire ou de réparer des édifices, peu importe que la dépense totale excède ou n'excède pas 50,000 francs. Cette limite assignée par l'art. 32 de la loi de 1838 aux attributions souveraines des conseils généraux est arbitraire et injuste.

S'agit-il de la construction ou de l'entretien des routes? Il faut distinguer les routes nationales, départementales et vicinales, confier les premières aux ingénieurs de l'Etat, les autres aux agents-voyers des départements et des communes.

Des routes départementales et des chemins vicinaux de grande. communication.

Les règles d'administration sont subordonnées à la solution d'une question préliminaire : A qui appartient le sol des routes, notamment des routes départementales?

Une controverse déjà ancienne existe sur cette question. Loyseau (Traité des seigneuries, ch. IX) enseigne que les grands chemins sont dans la catégorie des choses qui sont hors du commerce, dont partant la propriété n'appartient à aucun, mais l'usage est à chacun, qui pour cette cause sont appelées publiques; et par conséquent la garde d'icelles appartient au premier souverain, non comme icelles étant son domaine, mais lui étant gardien et conservateur du bien public. »

La loi du 22 décembre 1790, art. 2, et l'art. 538

du Code civil ont érigé en loi la doctrine de Loyseau. A l'égard des routes départementales, les uns, considérant les départements comme formant une unité politique, pensent qu'ils en sont propriétaires; d'autres ne leur reconnaissent ce droit de propriété qu'à dater du moment où les routes sont supprimées; d'autres enfin, dominés par le préjugé de la centralisation administrative, soutiennent que l'Etat reste, dans tous les cas, propriétaire du sol des routes départementales.

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Il ne faut rien moins que la confusion non-seulement des textes afférents à cette matière, mais encore de toutes les notions reçues en fait de propriété et d'administration, pour autoriser l'usurpation par l'État du sol d'une route achetée et construite par un département.

L'opinion de MM. Garnier et Dalloz nous paraît donc inadmissible. Le système de M. Isambert et celui de M. Proudhon peuvent se concilier, en ce sens qu'il s'agit ici d'un domaine public départemental, inaliénable et imprescriptible comme le domaine public national, tant qu'il restera affecté à un service public.

Cela posé, l'administration des routes départementales doit évidemment appartenir aux administrateurs du département. Les conseils généraux peuvent les classer et les déclasser après une enquête de commodo et incommodo, faite conformément à la loi du 20 mars 1835. L'intervention du conseil général des ponts et

1 Voy. M. PROUDHON, t. I, p. 326; M. GARNIER. Traité des chemins, no 7; M. DALLOZ, vo Voirie, p. 982, etc.

2 Lois des 22 décembre 1790, 28 messidor an IV, 11 frimaire an VII, 14 avril 4806, etc.

chaussées, celle du Conseil-d'Etat, du ministre, du chef de l'Etat, toutes choses exigées par la législation actuelle 1, nous paraissent inutiles quand la dépense est payée sur les centimes ordinaires ou facultatifs des départements.

On craint que les conseils généraux ne se laissent entraîner à classer plus de routes qu'ils ne pourront en payer sur leurs ressources ordinaires. On allègue que la longueur des routes classées annuellement est de 200 lieues, que les 40,423,595 mètres de routes départementales déjà classées coûtent déjà 11 millions d'entretien, que les centimes ordinaires et le fonds. commun sont insuffisants, que si la liberté des conseils généraux n'est pas refrénée, des impôts extraordinaires, des emprunts deviendront nécessaires... A ces appréhensions on peut répondre d'un mot. L'imprudence des conseils généraux tient à la nullité des attributions dont ils sont dotés. Libres et responsables, ils seront mieux avisés.

C'est pourquoi nous n'admettons pas non plus, avec l'art. 24 du décret du 16 décembre 1811, que les devis des travaux de construction, de reconstruction ou d'entretien des routes départementales doivent être approuvés par le chef du pouvoir exécutif et exécutés exclusivement par les ingénieurs de l'Etat. Tout ce qui con

1 Décret impérial du 16 décembre 1811, art 16 ; ordonnances du 8 juin 1832, du 23 décembre 1834, etc.

Voy. le rapport de M. Roger sur la proposition de M. Anísson Duperron relative aux lacunes des routes départementales.

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salutaire que depuis que la création des routes départementales et l'application des agents voyers aux chemins vicinaux de grande communication ont intéressé les localités d'une manière sérieuse aux progrès de la viabilité.

Le principal vice des travaux des ingénieurs de l'État, c'est leur excessive cherté. « MM. les ingénieurs, dit avec raison M. Lequien 1, se préoccupent plus des résultats que de la dépense, soit parce qu'ils visent moins à l'économie qu'à l'extrême perfectionnement de leurs travaux, soit pour toute autre cause qu'il est inutile de rechercher. Telle route départementale infiniment moins fatiguée que tel chemin de grande communication coûte beaucoup plus en entretien annuel. Je pourrais citer tel département où le prix moyen de l'entretien du mètre de route départementale est de 0,58 c., et celui du mètre de chemin de grande communication de 0,27 c., quand, d'une part, il est parmi ces chemins des voies fréquentées journellement par 400 colliers, et quand, d'autre part, il est plusieurs de ces routes dont pas une n'atteint ce chiffre de fréquentation, et qui comptent à peine 30 colliers. Je pourrais encore ajouter que tel chemin de grande communication qui, la veille de son érection en route départementale, coûtait annuellement dans le service vicinal de 5 à 6,000 fr. de frais d'entretien, exige, d'après les devis de MM. les ingénieurs, le lendemain d'un classement qui n'ajoute rien à son utilité, une dépense triple et quadruple.

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1 Recherches sur la situation financière des communes et des départements.

Nos chemins de fer n'ont pas moins souffert de l'excès de la centralisation; le parcours de ceux qui ont été construits jusqu'à ce jour en France s'élève à peine à la moitié de ceux qui existent en Angleterre, et au tiers des chemins allemands.

La concentration des travaux publics dans le corps des ponts-et-chaussées substitue l'esprit routinier d'une hiérarchie rigoureuse à l'esprit d'invention et de spontanéité. Les travaux sont bien faits, mais ils coûtent énormément et sont répartis sans intelligence. Chaque localité sollicite un pont, une route, un chemin de fer avec d'autant plus d'ardeur qu'elle sait que l'État en fera les frais, et l'on se fait auprès de ses commettants un titre électoral du succès de ses sollicitations. Pour satisfaire tout le monde, on commence beaucoup de travaux ; on en termine peu, et l'on perd en intérêts de capitaux improductifs ou en dégradations de matériaux entassés une partie des sommes affectées aux constructions projetées.

Un des plus graves inconvénients de cette concentration, c'est l'impossibilité de mettre la répartition des travaux publics en harmonie avec les besoins essentiellement variables des classes laborieuses.

Un partisan zélé de la centralisation, M. Thiers, signale ce vice dans son rapport sur l'assistance publique. «En général, dit-il, l'État fait comme l'industrie; il promet beaucoup, et même trop en de certains moments, pour s'arrêter ensuite tout-à-coup dans certains autres, dans ceux où il faudrait le moins s'arrêter. Si, par exemple, il y a des fournitures qu'il exécute régulièrement tous les ans, il y a des travaux

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