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Les Dieux sont morts. Pacifique

Et molle, voici la nuit,

La nuit de printemps qui luit,

Sous la lune magnifique.

Fermez vos yeux, fermez vos yeux, fleurs du jardin, Qu'un rayon ouvrit ce matin!

Fermez vos yeux, blancs narcisses,

Jacinthe au souffle de miel,

Vous qu'un amour éternel

Et de divines délices

Illustrent à jamais de noms chantants et doux.
Fermez-vous, ô fleurs, fermez-vous !

Crocus d'or dans les corbeilles,

Pareils à ceux qu'ont nourris,
Céphise, tes bords fleuris

Et que sucent tes abeilles,

Trésor tout frissonnant du jeune mois frileux,
Voici la nuit, fermez vos yeux!

Demain l'immortelle aurore

Les rouvrira; la clarté

De l'impérissable été

Vous fera toutes éclore.

Mais quel dieu, quel soleil, ô Rêves qui dormez,

Pourrait vous éveiller encore

Dans l'âme d'un vieux monde engourdi pour jamais!

III

Dans l'obscurité

Un petit oiseau chante encore.

Dans l'obscurité

Un astre bleu s'allume et rayonne, arrêté
Aux bras noirs de l'arbre sonore.

Le jour part joyeux,

Sans savoir quel jour le repousse.
Le jour part joyeux,

Ayant donné sa flamme et laissant sur ses yeux
La nuit étendre une main douce.

Cet instant si court,

Lampe, n'en trouble pas le charme !

Cet instant si court...

Oh! puissé-je un grand soir m'en aller à mon tour, Tranquille, vers la nuit sans larme,

Et, m'endormant en paix, mourir comme un beau jour!

MAURICE POTTECHER.

CHRONIQUE

Les mémoires d'Arton.

Les poursuites contre des membres du Parlement.- Le travail législatif. - M. Charles de Lesseps et le président Carnot. - L'Orme du mail. Carnot et M. A. France. Le procès Boisleux-La Jarrige. La publicité des débats.

Alfred de Vigny.

Le Palais de Justice et le Palais-Bourbon ont repris, grâce à Arton, leurs bonnes relations d'antan. Les révélations de l'homme de confiance de la Compagnie de Panama ont amené le juge d'instruction qui les recevait à faire demander à la Chambre de vouloir bien suspendre l'immunité parlementaire pour trois de ses membres, MM. Antide Boyer, Henri Maret et Naquet, dans l'intérêt de la bonne conduite de l'enquête judiciaire. M. Levrey, sénateur de la Haute-Saône, qu'il représenta à la Chambre de 1885 à 1889, fut l'objet de la même attention de la part de M. le juge Le Poittevin. Enfin, au moment où j'écris, on dit qu'il ne serait pas impossible que le même traitement de faveur fût étendu à quatre autres députés. Quatorze anciens membres du Parlement seraient également appelés à s'expliquer, et les noms de neuf parlementaires décédés seraient prononcés au cours de l'instruction. Au total, trente et un noms. Nous sommes loin du fatidique chiffre de 104, mais on nous promet, de part et d'autre,

qu'on ne s'en tiendra pas là et que, si les poursuites actuelles semblaient plus particulièrement incriminer telle ou telle partie du Parlement, les autres fractions ne manqueraient pas de trouver des armes contre celles qui paraîtraient favorisées. Quant au gouvernement, il se déclare décidé à faire la lumière et à n'épargner aucun des corrompus. On verra bien; mais, restreint ou développé dans toute son étendue, ce ne sera pas un beau spectacle, si l'on songe surtout que le Parlement, qui est la seule expression de la volonté nationale et l'unique gérant, d'ailleurs irresponsable, des intérêts de la France, ne trouvera plus le temps, s'il en avait le goût, au milieu de ces scandales, de faire œuvre utile, d'examiner et de voter les lois et de suivre avec vigilance ce qui se passe en Europe. La situation générale ne manque pourtant pas de gravité, et n'est-il pas navrant de voir la France et la République suspendues à la parole d'Arton? Cette nouvelle enquête nous réserve, dit-on, la plus pénible surprise un homme, mort aujourd'hui, après avoir occupé les plus hautes fonctions dans le Parlement, un homme qu'à sa mort des hommages sincères ont désigné comme un exemple pour les enfants du peuple et comme l'honneur de la démocratie, figurerait parmi les corrompus et parmi les corrupteurs. Et c'est au moment où le premier bruit en courait, où son nom se trouvait pour la première fois et tout bas prononcé, que je lisais dans une interview d'un journaliste avec Mme Ferdinand de Lesseps le récit d'une entrevue de son beau-fils, M. Charles de Lesseps, avec le président Carnot. « Ce que je puis confirmer, dit Mme de Lesseps, c'est l'exactitude de cette entrevue. M. Charles de Lesseps crut de son devoir de confier au Président. de la République les tentatives de chantage dont il était l'objet de la part de certains hauts personnages. Durant tout son récit, mon beau-fils regarda par la

fenêtre. Il constata seulement, en se retirant, que le Président était livide. M. Carnot ne lui dit pas un mot, et M. Charles de Lesseps le quitta sans lui serrer la main. » Connaissez-vous rien de plus tragique que ces simples lignes? Quel dégoût et quelle terreur chez ce pauvre honnête homme qu'était M. Carnot! Et comme on comprend à ce récit l'impression que dans l'Orme du mail M. Anatole France nous dit qu'il a faite sur le général Cartier de Chalmot! Vous connaissez le passage, n'est-ce pas ?

La cour d'assises de la Seine a condamné à cinq ans de reclusion deux médecins qui, par leur mérite, leurs relations et par la situation qu'ils s'étaient acquise, se distinguaient de la foule de leurs confrères. Le fait précis qui justifie la condamnation prononcée contre les docteurs Boisleux et de La Jarrige, c'est les manœuvres abortives auxquelles ils se sont livrés, sous couleur d'une opération chirurgicale, sur une jeune fille qui est morte dans des circonstances particulièrement horribles. L'accusation avait été énergiquement soutenue et développée par M. le docteur Brouardel, doyen de la Faculté de médecine de l'Université de Paris, et cette intervention, qui ne s'est pas lassée un moment, montre bien que ce n'est point par négligence ou inconscience que la plus grande publicité a été laissée à ces répugnants débats. L'ovariotomie était, il n'y a pas longtemps encore, un sport à la mode. Les femmes élégantes faisaient des retraites dans les cliniques gynécologiques, et si l'on apprenait, en voyant la belle Mme X... faire dans un salon une rentrée sensationnelle, qu'elle avait subi une opération épouvantable, mais qui, lui assurant d'avance ou un peu trop tard les avantages de la stérilité, conservait

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