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petite. Un calcul approximatif donne cinq pieds au plus, ce qui serait la taille des Groënlandais et des Lapons. Dans cette caverne étaient aussi beaucoup d'ossemens d'animaux : cerfs, élans, aurochs, lièvres, oiseaux. Ces os, pêle-mêle avec les débris humains, empâtés de matières calcaires, formaient une brèche osseuse, dont un seul morceau, de la grosseur d'un pavé ordinaire, contenait cinq mâchoires humaines. Dans un autre fragment était un os pariétal enchâssé dans la stalagmite, et où l'on voyait une fracture opérée par un instrument contondant. Cet instrument se trouvait dans le même fragment de brèche c'était une hache d'un travail grossier, sans trou pour y adapter un manche. Au sujet de ces hommes, qui ont peut-être fait dans cette caverne un repas de cannibales, comme le croit M. Spring, on a objecté, pour dire qu'ils n'étaient pas fossiles, qu'on avait trouvé à côté d'eux des cendres et du charbon; mais pourquoi les hommes antediluviens n'auraient-ils pas connu le feu? et où est l'empêchement de supposer que dès lors on était en possession de cette découverte? On a argué encore, ce qui est plus grave, que les ossemens reposaient non sur l'étage inférieur, mais sur l'étage supérieur du sol de la grotte. Quoi qu'il en soit de l'âge de ces peuplades qui ont jadis occupé la Belgique, il remonte certainement à une bien lointaine antiquité. Qui ne com prend, à la vue de l'exhumation de ces vieux témoins, combien sont étroites les bases que l'école donne à l'histoire? Qui n'aperçoit que toutes les origines et toutes les durées ont besoin d'être remaniées à l'aide des inductions que fournissent les faits constatés, et qu'il y a un âge et des populations à introduire dans l'étude, soit à l'aurore de l'époque actuelle, soit aussi, comme je le pense, à l'époque qui l'a précédée?

En effet, la thèse, encore que les observations ci-dessus rapportées et d'autres qui concourent la laissent, si l'on veut, indécise, n'est pas bornée à ces seuls appuis. On a souvent agité la question de savoir si l'on doit reconnaître comme des fossiles les traces et empreintes qui peuvent être restées d'un animal dans les couches de la terre, ou s'il faut pour cela la présence même d'une partie de ses débris. On est généralement d'accord aujourd'hui, dit M. Pictet, pour répondre à cette question dans le sens le plus large, c'est-àdire pour considérer comme des fossiles toutes les traces qui prouvent évidemment la présence d'une espèce à une certaine époque. L'existence même de l'espèce est le fait essentiel à constater, et tout ce qui la démontre clairement atteint le but. Il importe peu que cette démonstration repose sur un fragment de l'animal ou sur une empreinte qu'il aurait laissée dans des roches avant leur solidification, ou sur toute autre apparence assez évidente pour ne pouvoir être niée.

Ces paroles étaient appliquées aux marques de pas que les animaux

ont imprimées, et que les paléontologistes ont suivies comme le chasseur suit la piste du gibier. Elles s'appliqueront aussi sans difficulté aux restes, s'il en est, de l'industrie humaine avant l'époque assignée d'ordinaire aux commencemens de l'humanité. Des outils, des instrumens, en un mot tout ce qui portera un vestige de la main de l'homme sera suffisant pour attester sa présence. Les animaux ne savent pas se créer, pour améliorer leur condition, des supplémens à leurs membres; ils ne se servent que de leurs dents, de leur bec, de leurs pattes et de leur queue, tandis que l'homme le plus sauvage qu'on ait trouvé a immanquablement quelque ustensile. Ces ustensiles parleraient clairement. S'il advenait qu'une mutation du genre de celles dont il y a eu déjà beaucoup sur notre globe couvrît d'un terrain nouveau celui qui nous porte et en fît une couche géologique, les hommes de cette palingénésie, en poursuivant leurs travaux, mettraient à nu les débris de nos villes, de nos chaussées, de nos canaux, de nos arts: ils ne douteraient pas un instant de l'existence d'un monde enseveli. Rien de pareil ne se découvre sans doute, mais rien de pareil non plus n'est nécessaire, et il suffit de reliques bien moindres pour attester que des peuplades, non pas des nations, ont occupé le sol avant la dernière révolution du globe.

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C'est M. Boucher de Perthes qui le premier a dirigé les recherches de ce côté et tiré les conclusions. Il fut frappé par la vue de quelques cailloux qui lui parurent porter l'empreinte d'un travail humain il les recueillit; plus il en chercha, plus il en trouva. Le nombre de ces objets, à mesure qu'il croissait, écarta les hasards de formes et de lieux. M. Boucher en étudia les gisemens, et demeura convaincu à la fois et que ces silex avaient été taillés par des hommes, et qu'ils se rencontraient dans des terrains véritablement anciens. Je ne puis mieux faire que de transcrire ce que je trouve en tête de son livre (1) « M. Boucher de Perthes n'a négligé ni soins ni travaux pour obtenir la preuve qu'il cherchait; ses explorations, suivies sur une grande échelle, ont duré dix ans. Le nombre de bancs diluviens qu'il a fait ouvrir dans les départemens de la Somme, de la Seine et de la Seine-Inférieure est considérable. D'un autre côté, les travaux des ponts et chaussées, ceux du génie militaire, les études du génie civil pour les voies de fer ont facilité ses investigations. Aussi le résultat a-t-il été complet. S'il n'a pas constaté, dans les gisemens qu'il a analysés, des ossemens humains, il a rencontré l'équivalent, et parmi des débris d'éléphans et de mastodontes, au milieu de ces fossiles, il a découvert des traces humaines, des armes, des ustensiles, le tout en pierre, non pas sur un seul point, mais sur beaucoup; et l'on peut presque affirmer que, dans tous les terrains où existent des

(1) Antiquités celtiques et antediluviennes, publié en 1849.

fossiles de grands mammifères, on rencontrera, si on les étudie avec persistance, de ces mêmes ébauches d'une industrie primitive. »

Les assertions de M. Boucher de Perthes, qui contrariaient une opinion reçue, excitèrent, comme cela était naturel et juste, beaucoup de défiance. Pourtant il finit peu à peu par gagner à lui quelques savans. Je citerai entre autres le docteur Rigollot, mort tout récemment membre correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. M. le docteur Rigollot était de ceux qui n'ajoutaient aucune foi aux idées de M. Boucher de Perthes, et qui les avaient combattues lors de leur première apparition. Pourtant, lorsqu'on vint lui dire qu'à Saint-Acheul, près Amiens, dans un terrain qui renfermait des ossemens et des dents d'éléphans fossiles, on trouvait aussi des haches ou instrumens en silex; quand il eut reconnu et fait reconnaître la nature géologique du terrain; quand il eut vu lui-même les silex en question dans leurs gisemens, il changea sans hésiter d'opinion, et passa du côté de M. Boucher de Perthes. Tous ces silex, décrits par M. Rigollot, sont travaillés de la même manière, c'est-à-dire qu'avec une adresse qui souvent étonne, on est parvenu, en en détachant des éclats, non-seulement à les dégrossir, mais à leur donner la forme la plus convenable aux usages pour lesquels ils étaient destinés, armes ou outils. En majeure partie, ils se ressemblent par leur forme générale, qui est le plus ordinairement un ovoïde aplati, dont la partie supérieure ou le gros bout qui est mousse est resté dans son état primitif, et dont les bords et la pointe sont aussi tranchans que le permet une industrie qui n'avait jamais songé à les polir. D'autres ressemblent à un poignard, d'autres encore ont la forme d'une pyramide triangulaire, et les arètes sont creusées fort irrégulièrement par les éclats du silex. La grandeur moyenne de ces pierres est de 10 à 12 centimètres dans leur plus grand diamètre; il y en a d'autres où cette dimension n'est que de 8 centimètres, et quelques-unes où elle a 24 centimètres. « L'emplacement, dit M. Rigollot, où s'exploitent les cailloux à Saint-Acheul, est de médiocre étendue; ce qui doit exciter la surprise, c'est la grande quantité de silex taillés qui s'y découvrent journellement; vous ne pouvez aller sur le terrain sans que les ouvriers vous en présentent qu'ils viennent souvent de ramasser à l'instant, au milieu des cailloux qu'ils jettent sur la claie pour en séparer le sable et le gravier. Depuis le mois d'août qu'ils les recueillent jusqu'au mois de décembre où j'écris ces paroles, on en a trouvé plus de quatre cents, et pour ma part, depuis que j'en recherche, on m'en a apporté plus de cent cinquante. Ce nombre doit faire présumer qu'ils proviennent d'une localité où les hommes qui vivaient alors s'étaient réunis et avaient formé une espèce d'établissement. »

Alors que les éléphans et les mastodontes erraient dans les plaines de la Picardie, alors que les hippopotames ou quelques espèces analogues peuplaient la Somme et l'Oise, il faut bien admettre que le climat était tout différent. Les forêts qu'habitaient ces animaux antédiluviens n'étaient pas non plus composées de nos chênes et de nos hêtres. La température était plus chaude et donnait à toutes les productions, tant animales que végétales, un caractère autre que celui des terres présentement situées au nord de Paris. On peut en conclure que la race des hommes qui fut contemporaine de ces animaux, de ces plantes et de ce sol, avait aussi son empreinte spéciale. Virgile, se laissant ravir aux douceurs du printemps, s'est écrié en des vers magnifiques :

Non alios prima nascentis origine mundi
Illuxisse dies aliumve habuisse tenorem
Crediderim; ver illud erat, ver magnus agebat
Orbis.....

Dans son intuition poétique, il lui a semblé qu'à l'origine du monde naissant, la sérénité d'un printemps éternel planait sur la terre, et y favorisait l'engendrement des créatures vivantes. Certes on admirera cette vision vague et confuse de la réalité des choses; Virgile ne s'était pas trompé tout à fait : un printemps planait sur le globe terrestre, si l'on donne le nom de printemps à une température plus élevée et plus constante que celle qui est notre partage. Pourtant, au milieu de cette chaleur abondante et de cette vie qui faisait explosion d'époque en époque sur les terrains géologiques, on remarquera ceci à mesure que la température devenait moins uniforme, à mesure aussi apparaissaient des races d'animaux plus parfaites. Les indices, encore incertains sans doute et controversés, conduisent à croire qu'une distinction de ce genre est à établir entre les hommes antediluviens et les races supérieures qui survinrent. En tout cas, la question qui s'agite au sujet des hommes antédiluviens se présente maintenant sous deux faces. D'une part, on trouve çà et là quelques débris humains que plusieurs déclarent provenir de couches profondes; mais la rareté même de ces trouvailles et le caractère indécis des gisemens laissent des doutes, et ne permettent pas encore d'établir le fait parmi les certitudes de la science. D'autre part, les armes et les ustensiles, qui sont aussi des témoins irrécusables, ont été exhumés du sol qui les recélait. Ces armes et ustensiles ont-ils été trouvés dans les terrains vraiment diluviens, à côté des os vraiment fossiles? N'y sont-ils pas arrivés par des déchirures accidentelles dans les diverses couches? Une telle manière de voir n'est-elle pas réfutée par l'abondance singulière avec laquelle ces

TOME XIV.

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objets sont répandus dans leurs gisemens? Ou bien, admettant l'authenticité des terrains, ne se méprend-on pas sur le caractère de ces silex? N'y a-t-il pas un simple jeu de la nature dans ce que l'on prend pour le travail de la main humaine? La question est posée; les pièces du procès s'accumulent, et désormais le jugement ne tardera pas beaucoup à intervenir.

III.

Toute récente qu'elle est, la paléontologie exerce une influence considérable sur les conceptions générales; nécessairement elle modifie les doctrines, et par les doctrines la raison collective. Ces modifications sont dans la direction que les sciences depuis l'origine ont suivie; elles ne contrarient rien; elles confirment tout, prolongeant jusque dans des âges qui semblaient fermés aux regards les recherches positives et les inductions. Dès l'abord il fallut, à cette lumière inattendue, remanier ce qui se disait du commencement des choses; il fallut faire place, dans le temps et dans l'espace, à cette infinité de formes végétales et animales qui se sont succédé sur la terre. Tant que l'on a cru que végétaux et animaux étaient, si je puis parler ainsi, superficiels et ressemblaient à une semence jetée sur des sillons, l'esprit humain d'alors s'est senti à l'aise pour imaginer les formations primordiales et leur scène antique; mais autre est la condition de l'esprit humain d'aujourd'hui, et, pour concevoir, il est resserré dans des limites plus étroites. Il ne peut, comme cela était si facile jadis, détacher la terre des êtres vivans qui l'habitent. Entre les couches solidifiées qui reposent sur le feu central et la superficie, il est une série d'étages qui ont chacun sa flore et sa faune. La vie s'y montre partout, non quelque chose d'absolu, mais quelque chose de relatif et de soumis aux circonstances et aux propriétés des milieux. A mesure qu'on descend dans des couches plus profondes, on trouve des êtres de plus en plus différens de ceux qui appartiennent à notre âge. Dès que la terre est assez refroidie, le sol assez consolidé, l'atmosphère assez épurée pour que les combinaisons organiques puissent se produire, elles se produisent; mais aussi, à la moindre mutation qui survient dans ce vaste corps, elles sont détruites, à peu près comme ce géant de l'Énéide qui, enseveli sous l'Etna, ébranle toute la Sicile au moindre changement de position :

..... Quoties fessum mutet latus, intremere omnem
Murmure Trinacriam, et cœlum subtexere fumo.

Mais aussi il en renait d'autres : le terrain a changé, la température

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