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Na vu (tome V)que la proclamation de l'acte constitutionnel et son acceptation par le roi avaient causé un enivrement général : on croyait la révolution finie; la masse des citoyens, fatiguée des premiers mouvemens de la liberté, soupirait après le repos; elle fermait les yeux sur l'incohérence qui allait exister entre les hommes et les choses. Le parti démocratique (1), humilié, vaincu, voyait avec

(1) Nous disons démocratique quoiqu'alors on n'employât point cette dénomination ; on ne connaissait que des patriotes et des aristocrates; mais comme une force occulte poussait les patriotes à la démocratie nous nous croyons permis de les appeler démocrates.

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une égale joie s'approcher le terme des travaux de l'Assemblée constituante; mais c'était pour se venger de la longue inaction où il s'était vu réduit: le succès ne pouvait lui échapper ; il avait su rendre son offense commune à tous les Français.

L'Assemblée constituante, admirable réunion de talens et de lumières, avait encore obtenu une puissance irrésistible, celle de l'opinion; un vœu commun, le besoin de la liberté et la haine du despotisme, avait devancé et soutenu ses premières délibérations. Cette Assemblée avait beaucoup promis; elle effectua toutes ses promesses: mais bientôt les circonstances réclamerent davantage, et le pouvoir constituant se refusa à rien accorder de plus; alors qu'autour de lui tout cédait au mouvement qu'il avait lui-même imprimé, il s'arrêta.

Ce pouvoir avait renversé le despotisme, détruit les abus, établi la liberté et l'égalité; mais avait-il anéanti sans retour ce qu'il avait renversé; consolidé pour jamais ce qu'il avait établi? Le pouvoir exécutif était remis aux mêmes mains qui venaient de perdre le pouvoir absolu; disposition constitutionnelle désapprouvée secrètement par une minorité sagace, mais voulue par la politique et accueillie par la confiance; d'un côté l'on admirait sur le trône le descendant de vingt despotes se proclamant lui-même roi constitutionnel; de l'autre on n'osait espérer que ceux qui de la première place tombaient à la seconde l'occuperaient loyalement, sans regretter leurs usurpations perdues, sans désirer de les reconquérir.

L'évasion de Louis XVI justifia les craintes de la minorité. Alors elle éleva la voix : - Tiendrons-nous les sermens qui nous lient à ceux qui violent les leurs? Et la majorité de l'Assemblée répond qu'elle tiendra tous ses sermens. En vain les démocrates, réunis au champ de Mars, appellent de cette décision; l'inviolabilité du monarque est maintenue par la loi martiale. De là deux partis irréconciliables divisent les législateurs, ainsi que toute la France. (Tome VI.)

Bientôt l'Assemblée constituante donne un nouveau grief contre elle : comme étonnée de l'immensité de ses travaux, comme effrayée de ses sublimes conquêtes, en révisant l'acte constitutionnel elle cherche à rendre au pouvoir exécutif

des moyens d'influence qu'elle lui avait d'abord refusés. (Tome VI.) Par là, sans pouvoir jamais attiédir la haine implacable des hommes de l'ancien régime, que ses premiers travaux lui avaient si bien méritée, cette Assemblée augmenta encore les inquiétudes et le mécontentement des patriotes ardens.

Elle se sépare enfin; elle emporte l'amour et la reconnaissance de ce grand nombre de Français paisibles qui sentent mieux le besoin de la gratitude qu'ils ne savent apprécier les moyens de jouir du bienfait reçu: mais sa Constitution, qui est monarchique, en même temps qu'elle reste l'objet continuel des sourdes attaques de l'aristocratie, devient immédiatement et nécessairement l'héritage des démocrates. Ils étaient partout; ils triomphent aussitôt que le colosse a disparu.

On se rappelle qu'à l'époque du retour du roi une scission s'était opérée dans la société des Amis de la Constitution siégeant aux Jacobins ; elle avait donné naissance à la société des Amis de la Constitution siégeant aux Feuillans, société composée de monarchiens et de monarchistes, et qui n'obtint que des demi-succès dans sa rivalité avec l'autre. (Voyez tome V, page 96.) La société des Jacobins, servie dans tous les départemens, dans presque toutes les villes par des sociétés qui lui étaient affiliées, exerça une grande influence sur les élections à la législature; elle y porta ses membres les plus distingués les Feuillans, ne se comptant que dans la minorité, se virent réduits à combattre aveec leur seule épigraphe, la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution; mais déjà les Jacobins en risquaient une à laquelle le peuple souriait, la république, toute la république, rien que la république. On en était au point que se dire constitutionnel c'était presque se dire aristocrate. Tous les prestiges détruits, -on n'avait pas conservé assez de calme pour voir les choses telles qu'elles sont : l'idée de la royauté, justement appréciés par l'Assemblée constituante, avait fini par devenir insupportable; la cour des Tuileries était l'objet d'un mépris général; on traitait les ministres comme les stipendiés du pouvoirexécutif, et ce pouvoir comme un ennemi. Enfin l'extrême gauche de l'Assemblée constituante se consolait de ses défaites par les

honneurs rendus à ses chefs; Robespierre venait d'être porté en triomphe, et l'on désignait Pétion pour la première magistrature de la capitale (1), tandis que les clubs applaudissaient au vœu (2) d'enlever de la grande salle de l'Hôtel de Ville les bustes de Bailly et de Lafayette, que la reconnaissance publique y avait placés aux premiers jours de la liberté.

C'est sous ces auspices que la France vit se réunir ses députés à l'Assemblée législative; et voici sous quel aspect se présentent les membres composant la majorité de cette Assemblée.

Ils paraissent; déjà on les a devinés; leur seul maintien semble dire : ce qui est ne peut rester; nous ferons mieux ! On applaudit leurs aînés, présens à la séance d'ouverture: ils se croient insultés. Un hommage solennel est offert aux auteurs de la Constitution: ils le contestent. Le roi va paraître au milieu d'eux : ils ne peuvent sans effroi mesurer le reste de grandeur que la Constitution lui laisse. Les représentans du peuple, les délégués du souverain doivent-ils reconnaître une autre majesté que celle de la nation? Quand des législateurs s'honorent du titre de citoyen doivent-ils appeler sire le mandataire chargé de l'exécution des lois ?... (Voyez plus loin, page 24.) Cependant c'est par la Constitution qu'ils existent : elle reçoit leur serment, et, comme s'il était dans la marche de l'esprit humain d'offrir des contradictions, ce serment est prêté avec franchise, réitéré avec enthousiasme : les esprits cédaient alors à tant d'impulsions diverses, tant de mouvemens étaient reçus, augmentés, diminués ou perdus! C'est ici que l'on peut dire que chaque diversité est uniformité, chaque changement estconstance.

(1) Pétion fut nommé maire de Paris le 16 novembre 1791 ; sur dix mille six cent trente-deux votans, six mille sept cent huit se prononcèrent en sa faveur : Lafayette eut trois mille cent vingt-six voix, Bailly avait fait accepter sa démission depuis trois mois environ, sous le prétexte « d'une santé délicate, encore affaiblie par de grands travaux littéraires et par l'agitation des affaires publiques. »

(2) Ce vœu, longtemps nourri, fut enfin converti en une proposition directe, faite au conseil général de la commune dans sa séance du 24 mars 1792; le conseil la rejeta, mais à une faible majorité.

En effet, l'Assemblée législative, souvent jugée avec sévérité, avec passion même, est justifiée par la force des choses. Dans l'Assemblée constituante on admire, on doit admirer le génie, la grandeur, la force dans les volontés, la persistance dans les intentions : mais ne légua-t-elle pas à la législature * l'invincible désavantage de la position, obstacle insurmontable qui naissait de la qualité de pouvoir constitué? L'une était libre dans ses conceptions, l'autre est bornée dans ses travaux : l'une frappe ou absout selon qu'elle le juge utile, et sans crainte de censure; l'autre atteint les rebelles, et le veto les sauve : le pouvoir constituant avait fait trembler la cour, que d'un mot il pouvait dissoudre; ses membres y étaient accueillis avec respect: au contraire, les députés à la législa– ture chargés de présenter les décrets à la sanction ne reçoivent aux Tuileries que le mépris et l'insulte: sous la première Assemblée l'espoir de posséder une Constitution était plus que la Constitution même ; sous la seconde cette Constitution ressemble à un édifice que chacun admirerait, mais dans lequel personne ne voudrait entrer : l'une, soutenue d'abord par l'opinion, ensuite par la force, avait pu commander aux événemens; privée des moyens de les maîtriser, l'autre est contrainte de se laisser entraîner par eux : l'une enfin avait fait d'un trône despotique un trône constitutionnel; chargée de maintenir la métamorphose, l'autre l'essaya vainement ; un trône ébranlé peut-il jamais se raffermir? Le nouvel ordre de choses réclamait des hommes nouveaux. S'il eût été possible à l'Assemblée constituante de donner à la France, avec sa belle Constitution, une nouvelle dynastie; là peut-être se serait terminée la révolution.

Disons pour terminer que la seconde Assemblée eût compté autant que l'autre des hommes d'état et de grands législateurs si elle eût pu prétendre aux mêmes titres de gloire, si elle eût pu comme elle déployer le génie de la création': mais quand les partis l'agitent; quand la foule de hommes nuls ou hypocrites sème la défaveur sur ses pas ; quand la cour s'arme contre elle des mépris, du mensonge et de l'intrigue, de sa liste civile et de la corruption; quand des prêtres factieux

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