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entre la France et le reste de l'Europe. Le jour de leur entrée à Paris les souverains déclarerent qu'ils ne traiteraient jamais de la paix avec Buonaparte. Cette déclaration, haute-. ment applaudie par la France et par l'Europe, amena l'abdication de Napoléon et la convention du 1 avril; elle forma la base de la négociation principale; elle fut explicitement articulée dans le préambule du traité de Paris. La nation française, supposé même qu'elle soit parfaitement libre et unie, • ne peut se soustraire cette condition fondamentale sans renverser le traité de Paris, et tous ses rapports actuels avec le système européen. Les puissances alliées, de l'autre côté, en insistant sur cette même condition, ne font qu'user d'un droit qu'il est impossible de leur contester, à moins d'admettre que les pactes les plus sacrés peuvent être dénaturés au gré des convenances de l'une ou de l'autre des parties

contractantes.

» Il s'ensuit que la volonté du peuple français ne suffit pas pour rétablir, dans le sens légal, un gouvernement proscrit par des engagemens solennels, que ce même peuple avait pris avec toutes les puissances de l'Europe, et qu'on ne saurait, sous aucun prétexte, faire valoir contre ces puissances le droit de rappeler au trône celui dont l'exclusion avait été la condition préalable de tout arrangement pacifique avec la France. Le vœu du peuple Français, s'il était même pleinement constaté, n'en serait pas moins nul et sans effet vis à vis de l'Europe pour rétablir un pouvoir contre lequel l'Europe entière a été en état de protestation permanente depuis le 31 mars 1814 jusqu'au 13 mars 1815, et, sous ce rapport, la position de Buonaparte est précisément aujourd'hui ce qu'elle était à ces dernières époques.

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» SECONDE QUESTION. L'offre de sanctionner le traité de Paris peut-elle changer les dispositions des puissances?

» La France n'a eu aucune raison de se plaindre du traité de Paris. Ce traité a réconcilié la France avec l'Europe; il a satisfait à tous ses véritables intérêts, lui a assuré tous les biens réels, tous les élémens de prospérité et de gloire qu'un peuple appelé à une des premières places dans le système européen pouvait raisonnablement désirer, et ne lui a enlevé que ce qui était pour elle, sous les dehors trompeurs d'un grand éclat national, une source intarissable de souffrances, de ruines et de misères. Ce traité était même un bienfait immense pour un pays réduit par le délire de son chef à la situation la plus désastreuse (1).

(1) « L'empereur, convaincu de la position critique où il a placé la

» Les puissances alliées eussent trahi leurs intérêts et leurs devoirs si, au prix de tant de modération et de générosité, elles n'avaient pas, en signant ce traité, obtenu quelque avantage solide; mais le seul qu'elles ainbitionnaient étaient la paix de l'Europe et le bonheur de la France. Jamais, en traitant avec Buonaparte, elles n'eussent consenti à des conditions qu'elles accordèrent à un gouvernement qui, en offrant à l'Europe un gage de sécurité et de stabilité, les dispensait d'exiger de la France les garanties qu'elles lui avaient demandées sous son ancien gouvernement (r). Cette clause est inséparable du traité de Paris; l'abolir c'est rompre ce traité. Le consentement formel de la nation française au retour de Buonaparte sur le trône équivaudrait à une déclaration de guerre contre l'Europe, car l'état de paix n'a subsisté entre l'Europe et la France que par le traité de Paris, et le traité de Paris est incompatible avec le pouvoir de Buonaparte.

» Si ce raisonnement avait encore besoin d'un appui, il le trouverait dans l'offre même de Buonaparte de ratifier le traité de Paris. Ce traité avait été scrupuleusement observé et exécuté ; les transactions du traité de Vienne n'en étaient que les supplémens et les développemens; et, sans le nouvel attentat de Buonaparte, il eût été pour une longue suite d'années une des bases du droit public de l'Europe. Mais cet ordre de choses a fait place à une nouvelle révolution, et les agens de cette révolution, tout en proclamant sans cesse qu'il n'y a rien de changé, conçoivent et sentent eux-mêmes que tout est changé autour d'eux. Il ne s'agit plus aujourd'hui de maintenir le traité de Paris; il s'agirait de le refaire. Les puissances se trouvent rétablies envers la France dans la même position dans laquelle elles étaient le 31 mars 1814. Ce n'est pas pour prévenir la guerre, car la France l'a rallumée de fait; c'est pour la terminer que l'on offre aujourd'hui à l'Europe un état de choses essentiellement différent de celui sur lequel la paix fut établie en 1814. La question a donc cessé d'être une question de droit ; elle n'est plus qu'une question de calcul politique et de prévoyance, dans laquelle les puissances n'ont à consulter que les intérêts réels de leurs peuples et l'intérêt commun de l'Europe.

» France, et de l'impossibilité où il se trouve de la sauver lui-même, » a paru se résigner, et consentir à une abdication entière et sans » aucune restriction. » Lettre du maréchal Ney au prince de Béné» vent, en date de Fontainebleau, 5 avril 1814. » (Note de la commission.)

mbule

(1) « Préambule du traité de Paris. »

» La commission croit pouvoir se dispenser d'entrer ici dans un exposé des considérations qui, sous ce dernier rapport, ont dirigé les mesures des cabinets. Il suffira de rappeler que l'homme qui, en offrant aujourd'hui de sanctionner le traité de Paris, prétend substituer sa garantie à celle d'un souverain dont la loyauté était sans tache et la bienveillance sans mesure, est le même qui, pendant quinze ans, a ravagé et bouleversé la terre pour trouver de quoi satisfaire son ambition; qui a sacrifié des millions de victimes et le bonheur d'une génération entière à un système de conquêtes que des trèves, peu dignes du nom de paix, n'ont rendu que plus accablant et plus odieux (1); qui, après avoir, par des entreprises insensées fatigué la fortune, armé toute l'Europe contre lui, et épuisé tous les moyens de la France, a été forcé d'abandonner ses projets, et a abdiqué son pouvoir pour sauver quelques débris de son existence; qui, dans un moment où les nations de -P'Europe se livraient à l'espoir d'une tranquillité durable, a médité de nouvelles catastrophes, et, par une double perfidie envers les puissances qui l'avaient trop généreusement épargné, et envers un gouvernement qu'il ne pouvait atteindre que par les plus noires trahisons, a usurpé un trône auquel il avait renoncé, et qu'il n'avait jamais occupé que pour le malheur de la France et du monde. Cet homme n'a d'autre garantie à proposer à l'Europe que sa parole. Après la cruelle expérience de quinze années, qui aurait le courage d'accepter cette garantie? Et si la nation française a réellement embrassé sa cause, qui respecterait davantage la caution qu'elle pourrait offrir?

La paix avec un gouvernement placé entre de telles mains, et composé de tels élémens, ne serait qu'un état perpétuel d'incertitude, d'anxiété et de danger. Aucune puissance ne pouvant effectivement désarmer, les peuples ne jouiraient

(1) « La commission croit devoir ajouter içi l'observation importante que la plus grande partie des envahissemens et des réunions forcées dont Buonaparte a successivement formé ce qu'il appelait le grand Empire, a eu lieu pendant ces perfides intervalles de paix, plus funestes à l'Europe que les guerres mêmes dont elle fut tourmentée. C'est ainsi qu'il s'empara du Piémont, de Parme, de Gênes, de Lucques, des états de Rome, de la Hollande, des pays composant la trente-deuxième division militaire. Ce fut aussi dans une époque de paix, au moins avec tout le continent, qu'il porta ses premiers coups contre le Portugal et l'Espagne; et il crut avoir achevé la conquête de ces pays par la ruse et par l'audace, lorsque le patriotisme et l'énergie des peuples de la péninsule l'entraînèrent dans une guerre sanglante, commencoment de sa chute et du salut de l'Europe. »

d'aucun des avantages d'une véritable pacification; ils seraient écrasés de charges de toute espèce : la confiance ne pouvant se rétablir nulle part, l'industrie et le commerce languiraient partout; rien ne serait stable dans les relations politiques ; un sombre mécontentement planerait sur tous les pays, et du jour au lendemain l'Europe en alarme s'attendrait à une nouvelle explosion. Les souverains n'ont certainement pas méconnu l'intérêt de leurs peuples en jugeant qu'une guerre ouverte, avec tous ses inconvéniens et tous ses sacrifices, est préférable à un pareil état de choses, et les mesures qu'ils ont adoptées ont rencontré l'approbation générale.

L'opinion de l'Europe s'est prononcée dans cette grande occasion d'une manière bien positive et bien solennelle. Jamais les vrais sentimens des peuples n'ont pu être plus exactement connus et plus fidèlement interprêtés que dans un moment où les représentans de toutes les puissances se trouvaient réunis pour consolider la paix du monde.

» TROISIÈME QUESTION.

nouvelle déclaration?

Est-il nécessaire de publier une

>> Les observations que la commission vient de présenter fournissent la réponse à la dernière question qui lui reste à examiner ; elle considère :

» 1°. Que la déclaration du 13 mars a été dictée aux puissances par des motifs d'une justice si évidente et d'un poids si décisif, qu'aucun des sophismes par lesquels on a prétendu attaquer cette déclaration ne saurait y porter atteinte.

» 2°. Que ces motifs subsistent dans toute leur force, et que les changemens survenus de fait depuis la déclaration du 13 mars n'en ont point opéré, dans la position de Buonaparte et de la France, vis à vis des puissances.

» 3°. Que l'offre de ratifier le traité de Paris ne saurait, sous aucun rapport, changer les dispositions des puissances. » En conséquence, la commission est d'avis qu'il serait inutile d'émettre une nouvelle déclaration. >>

« Les plénipotentiaires des puissances qui ont signé le traité de Paris, et qui, comme telles, sont responsables de son exécution vis à vis des puissances accédantes, ayant pris en délibération et sanctionné par leur approbation le rapport précédent, ont résolu qu'il serait donné communication du procès-verbal de ce jour aux plénipotentiaires des autres cours royales. Ils ont arrêté en outre que l'extrait du susdit procèsverbal sera rendu public.» (Suivaient les signatures des ministres des grandes puissances et des puissances accédantes.)

§. IV.

-Administration impériale.
tionnel. - Champ de Mai.

--

Acte addi

SOMMAIRE HISTORIQUE.

Napoléon signala son retour par des actes que réclamaient l'opinion, la politique et l'humanité.

Il abolit la censure, supprima la direction de l'imprimerie et de la librairie. ( Décrets des 24 mars et 11 mai 1815. )

Il abolit la traite des nègres. ( Décret du 28 mars. )

Il rétablit la maison d'Ecouen, en faveur des filles des membres de la Légion d'Honneur.

Il annulá les arrêtés et les dispositions tendans à l'érection d'un monument à Quiberon. ( Voyez tome XX, page 626. )

Il fit reprendre ces grands travaux publics commencés sous son règne, interrompus ou oubliés depuis son abdication.

Il rendit aux institutions leur but d'utilité nationale; aux monumens, aux villes les dénominations qui rappellent des souvenirs glorieux, des temps et des événemens dont une faction aurait voulu anéantir la mémoire.

L'Université, l'École Polytechnique, l'Hôtel des Invalides, les Conservatoires, etc., obtinrent non seulement de justes restitutions; il améliora encore leur régime.

Enfin, sur la proposition de Carnot, il fonda l'enseignement mutuel ; bienfait qui, dans les orages de cette époque, attestera à jamais le passage de deux grands hommes. (A. )

En même temps il donnait aux citoyens des magistrats connus par leur amour pour la justice et la liberté. La plupart des préfets furent changés,

Il ordonna le renouvellement de toutes les autorités municipales, et rendit aux communes le droit de nommer leurs maires. (1)

Un décret avait remis en vigueur les règlemens observés avant 1814 dans l'ordre judiciaire et dans l'ordre administratif.

Les circulaires, les instructions émanées des différens ministères portaient partout l'ordre et la surveillance en inspirant le zèle et la fidélité.

Les gardes nationales, replacées dans les attributions du ministère de l'intérieur, rendues aux lois fondamentales de leur institution, et bientôt après réunissant sous les armes tous les citoyens

(1)« Dans toutes les communes, dont les municipalités sont à la nomination des préfets, il sera procédé, par les habitans ayant droit de voter dans les assemblées primaires, à l'élection des maires et adjoints. ( Décret du 30 avril 1815.)

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