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manité que deux zônes habitables, et que ces zônes sont condamnées à ne jamais se connaître; il me montre la zône torride s'étendant comme une ceinture de feu entre les extrémités du monde et leur fermant à jamais tout espoir de communication; il me décrit, à l'orient et à l'occident, les immenses bras de l'océan qui terminent de toutes parts notre horizon, et s'interposent, comme une invincible limite, entre les deux hémisphères; (car le docte Macrobe ne doutait point de l'existence des antipodes, et ce qu'il dit à ce sujet serait digne de nos plus habiles académies.)

Je suppose maintenant, qu'au milieu de ses immenses productions, la nature eût oublié de créer ce minéral singulier, auquel elle semble avoir inspiré une sorte d'ame et d'esprit; ou, je suppose, si l'on veut, qu'un jeune berger de la Colchide n'eût jamais mené paître ses troupeaux sur une mine d'aimant, qu'il n'y eût jamais été attaché par ses souliers, comme le prétend le poëte Nicandre; je suppose enfin qu'un physicien ingénieux n'eût point saisi ce phénomène pour en faire une heureuse application, quel serait aujourd'hui le sort de notre Europe, si riche, si polie, si savante? Plus de commerce dans le nouveau monde, plus de Pérou pour alimenter nos finances, plus de diamans du Brésil pour parer nos beautés, plus de gérofle et de cannelle pour assaisonner nos alimens, plus de sucreries pour nos jeunes nones, plus de casse et de séné pour nos malades, plus d'acajou pour nos salons, plus de géographie universelle pour la gloire de l'auteur, l'instruction du public et le profit des libraires. L'astronomie elle-même languit dans le doute et l'incertitude; la plupart des sciences physiques et mathématiques restent stationnaires et im- . parfaites, et les idées de Macrobe forment de nouveau tout le code géographique de l'Europe.

Ainsi, les combinaisons de la nature en apparence les plus indifférentes et le génie de quelques hommes privilégiés décident du sort des nations, agrandissent ou maintiennent les limites de la pensée. Quel spectacle plus intéressant que de voir l'homme former ses premiers pas dans la carrière des sciences! Il marche d'abord d'un

pas timide et incertain, il s'effraie des moindres obstaeles, il cherche un appui dans tous les objets qui l'environnent; il s'avance lentement et avec précaution, jusqu'à ce que fortifié enfin par le tems, éclairé par l'expérience, il s'élance avec sécurité, et brave audacieusement les difficultés qui l'arrêtaient auparavant. Un jour, sans doute, si le monde ne retombe point dans la nuit de la barbarie, si le voisinage d'une comète ne bouleverse point notre frêle machine, il en sera de notre géographie comme de celle des anciens. D'autres MalteBrun viendront et s'étonneront de l'imperfection de nos connaissances. En attendant, jouissons de ce que nous possédons, et plaçons le Précis de la Géographie universelle sur les premières tablettes de nos bibliothèques.

Après avoir tracé dans le premier volume la naissance, les incertitudes et les progrès de la géographie, M. MalteBrun s'est attaché dans le second à la partie physique et mathématique de son sujet; car l'art du géographe ne consiste pas dans la mesure stérile et inanimée des cieux. Il faut qu'il soit astronome, naturaliste, physicien, chimiste. Il faut qu'il me montre les rapports des phénomènes terrestres avec les phénomènes célestes, qu'il sonde les profondeurs du globe pour me révéler les élémens qui le composent, qu'il parcoure sa surface pour me décrire ses productions, qu'il s'élève dans l'atmosphère pour m'en expliquer les météores, qu'il fixe les limites que la nature a données aux diverses régions, qu'il m'indique celles que la politique a inventées, qu'il me découvre les différences des climats, qu'il me fasse connaître les diverses races d'hommes et d'animaux, qu'il me trace l'histoire des peuples, le tableau de leurs mœurs, de leurs arts, de leur industrie, qu'il ne soit enfin étranger à aucune science. Il serait difficile de posséder ce mérite à un plus haut degré que M. MalteBrun. Tout ce qu'il a écrit annonce une variété de connaissances aussi rares que précieuses; et ce qui ajoute un grand prix à ses leçons, c'est qu'elles n'ont rien de pénible et d'obscur, que la science y est toujours facile, exacte et lumineuse. Sans doute un travail si distingué n'appartient point exclusivementà M. Malte-Brun;

il s'est aidé des recherches des savans; souvent même il s'est contenté de donner un extrait de leurs ouvrages: mais c'est un mérite assez grand que de bien choisir; un choix judicieux suppose toujours un esprit juste et

éclairé.

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La géographie physique était, jusqu'à ce jour, presque inconnue et très-imparfaite dans nos traités méthodiques. M. Malte-Brun a non-seulement le mérite de l'avoir créée, mais de l'avoir traitée avec un rare talent. Qui croirait que dans un sujet en apparence si ingrat, l'auteur a trouvé le secret d'animer son style, d'en varier les tons d'enrichir ses descriptions de tous les charmes du langage? On y trouve des morceaux que nos meilleurs écrivains ne désavoueraient pas, et qui font d'autant plus d'honneur à M. Malte-Brun, qu'il n'appartient point à la France; c'est sur-tout dans cette partie de la géographie physique où la terre est considérée comme le séjour des êtres animés, que l'auteur a déployé une plus haute et plus noble éloquence.

Je ne sais si ce ton plaira à quelques hommes austères et sourcilleux, qui prétendent bannir du domaine de la science tout ce qui tient au domaine de l'imagination, assujétir les formes du langage aux formes de l'algèbre, et suivant l'expression de Boileau :

Oter à Pan sa flûte, aux Parques leurs ciseaux ;

mais les gens du monde applaudiront au travail de M. Malte-Brun, et les gens de goût le féliciteront d'avoir su joindre avec tant d'habileté l'utile et l'agréable.

Après avoir consacré les deux premiers volumes de son ouvrage aux développemens des connaissances préliminaires, M. Malte-Brun commence au troisième la description de la terre. La première contrée qui s'offre à ses regards, c'est l'Asie; c'est d'elle, dit-il, qu'ont jailli les premières clartés de la civilisation; c'est dans ses provinces qu'on trouve le berceau du genre humain; soit que, dans l'origine des tems, la main du créateur F'y ait réellement placé, soit qu'après quelque terrible catastrophe ce point le plus élevé du globe ait offert un asile aux tristes débris des nations.

Les géographes européens avaient jusqu'à ce jour commencé la description de la terre par celle de l'Europe; mais c'était l'amour-propre et la vanité seule qui avaient décidé de cette préférence; car sur quels titres se fondait sa prérogative? Les nations européennes sont-elles plus anciennes que les autres ? Occupent-elles sur le globe un rang privilégié ? Ont-elles conservé plus religieusement leurs divisions primitives? Les barrières posées par la nature y sont-elles plus respectées ? N'estelle pas, au contraire, le séjour habituel des orages politiques? est-il un point sur la terre où le sort des Empires soit plus changeant et plus variable? C'est donc par l'Europe qu'il faut terminer la description du globe, pour laisser au lecteur les impressions les plus vraies et les notions les plus récentes.

C'est donc aussi un mérite pour M. Malte-Brun de s'être affranchi du joug des routines et d'avoir envisagé son sujet d'une manière libre et indépendante. Il fixe d'abord les limites générales de l'Asie, indique ses grandes divisions, décrit ses fleuves, ses montagnes, ses lacs, ses déserts; il en considère ensuite les contrées particulières, et les envisage sous tous les rapports qui peuvent intéresser nos connaissances.

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Dans tous ces détails, son style est facile, élégant; animé; ce ne sont point des descriptions sèches et dénuées de toute grâce, ce sont des tableaux tracés par un peintre habile et sur lesquels les regards aiment à se reposer. C'est ainsi que Strabon avait traité autrefois la géographie. Mais alors les sciences n'avaient point encore acquis ce degré d'étendue auquel elles sont arri vées aujourd'hui, et M. Malte-Brun a sur le géographe grec tout l'avantage que lui donne l'accroissement de nos connaissances.

Si M. Malte-Brun n'avait voulu faire qu'un ouvrage vulgaire, il aurait pu se contenter de rassembler les matériaux épars dans les livres de ses prédécesseurs, et en les présentant sous un jour intéressant et nouveau, il aurait encore eu des droits aux suffrages du public; mais il a fait mieux, il n'a rien négligé pour étendre le domaine de la science: il a non-seulement consulté les

meilleures autorités, mais il s'est ouvert des communications inconnues, soit dans les bibliothèques les plus riches et parmi les manuscrits les plus précieux, soit dans les portefeuilles des hommes les plus savans qui se sont empressés de contribuer au succès de son ouvrage. On trouvera donc dans ce troisième volume des parties tout-à-fait neuves; on y trouvera des détails curieux et inconnus sur les Druses, les Kalmoukes, les îles du Japon, les mœurs, la religion, le commerce de plusieurs nations mal décrites par les voyageurs.

Mais l'auteur ne s'est pas contenté de nous donner l'état le plus exact de la géographie moderne; il a senti combien il était nécessaire d'établir une sorte d'alliance entre elle et la géographie ancienne, et par des tableaux comparatifs faits avec beaucoup de soin, il nous a mis en état de retrouver ces lieux et ces peuples, objets de nos premières études et de nos souvenirs les plus tendres. Il n'a pas même négligé la statistique, cette partie si chère à quelques profonds publicistes, à ces esprits exacts et méthodiques qui ne voudraient pas qu'il pût naître un seul habitant dans nos basses-cours sans être enregistré aussitôt dans un état civil.

Ainsi tout est complet dans le Précis de la Géographie universelle, et si l'œil de la critique y découvre quelques fautes, elles sont si légères qu'elles ne sauraient porter le moindre préjudice au succès de l'ouvrage. On ne peut donc former d'autre vœu que de voir M. MalteBrun achever promptement cette utile entreprise, et porter le même soin dans toutes les parties qui doivent la terminer. On lui a reproché de s'être quelquefois appuyé sur les autres, il me paraît assez fort pour marcher seul avec assurance. Il arrive souvent dans le cours d'un long ouvrage que la verve se refroidit, que l'activité s'endort, que le sommeil nous surprend; alors on se sent disposé à faire quelques sacrifices à cette douce paresse dont les langueurs ont tant de charmes: mais avec l'esprit, le talent et l'émulation de M. MalteBrun, ce repos ne saurait être long; c'est celui de Renaud dans les bras d'Armide. Le réveil d'un brave est le signal d'un nouveau triomphe.

SALGUES.

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