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On ne verra pas sans plaisir que, dans la loi du divorce, cette cause nommée impuissance naturelle, n'est pas au nombre de celles qui peuvent conduire à la dissolution du mariage. Ici, ce n'est pas de la dissolution du mariage qu'il s'agit; c'est de la légitimité de l'enfant né dans le mariage; et un motif particulier de justice et de pudeur fait proscrire avec plus de force l'allégation honteuse de l'impuissance naturelle.

Toutes les exceptions qui peuvent combattre la présomption légale de la paternité ne sont établies qu'en faveur du mari; le mari seul et ses héritiers, dans les cas déterminés, sont admis à les proposer; ces exceptions sont, par des motifs de toute évidence, interdites à tout autre; et ici, ce serait donc le mari seul, puisque ses héritiers ne le pourraient jamais, ce serait lui seul qui viendrait proposer publiquement son impuissance, pour faire déclarer illegitime l'enfant du mariage? Et comment concevoir, sans être révolté, le cynisme impudent d'un homme qui pourrait révéler sa turpitude et son infamie pour déshonorer sa compagne et sa victime! car, remarquez que dans ce cas, la femme aurait été la première victime de la fourberie de cet homme impuissant qui s'est présenté au mariage avec toutes les espérances de la paternité.

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dévorer la honte d'un enfant qu'il peut n'avoir pas fait, mais qu'il a eu la frauduleuse audace de promettre à sa femme et à la société.

Impossibilité morale.

10. La loi n'introduit qu'une cause d'impossibilité morale, et encore elle ne l'admet que soumise à trois conditions précises et littérales : c'est l'adultère.

Les Romains avaient proscrit cette exception dans tous les cas. La décision portée dans la loi 2 D. ad legem Juliam, est célèbre : Cum possit et mater adultera esse et impuber defunctum patrem habuisse. Il leur suffisait qu'il fût possible, quoique contraire à toute vraisemblance, que la femme adultère, livrée aux embrassemens d'un autre homme, eût supporté les témoignages de tendresse de son mari.

Notre jurisprudence a porté aussi loin cet excès de pyrronisme affecté; nos tribude la présomption légale, et la preuve et le naux ont constamment rejeté, en faveur jugement de l'adultère, fortifiés encore par la déclaration de la mère coupable.

Et jusque dans le milieu du dix-septième siècle, le parlement de Paris, sur les conclusions de d'Aguesseau, aima mieux déclarer légitimes des enfans nés onze mois après tout moment possible de conception légale, et dont les mères adultères confessaient hautement la bàtardise, plutôt que de laisser ébranler, sans cause physique, cette présomption de paternité matrimoniale, qu'on doit en effet regarder comme inviolable.

L'excès n'est jamais la vérité, et il était bien de revenir avec précaution et scrupule aux lois ordinaires de la raison. A la vérité, il n'y a pas dans la nature impossibilité physique à ce qu'une femme infidelle doive la conception de l'enfant dont elle devient mère, au mari qu'elle hait et qu'elle évite, et non pas à l'homme dont l'amour la rend l'esclave empressée et soumise; mais tous les calculs du raisonnement, et toutes les affections morales de la nature elle-même se révoltent contre une telle possibilité. Le doute au moins est inévitable, et le doute même n'existerait

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pas sans cette présomption de la loi, si respectable, mais qui n'exerce aucune influence sur les motifs de conviction in

terne.

Et si ce doute, déjà commandé par la loi plutôt que par la raison, se trouve encore combattu, non par la déclaration de la mère, dont mille motifs ont pu corrompre l'intention et peuvent affaiblir l'effet, mais par un aveu tacite, spontané et contitinuel, bien plus fort qu'une déclaration passagère et concertée, ne serons-nous pas entraînés vers la vérité, ou du moins vers le besoin d'en chercher l'évidence?

Si la femme adultère a caché à son mari, sa grossesse, son accouchement, la naissance de l'enfant, le sentiment qui lui a dicté ce mystère, et imposé les soins et l'embarras qu'il exige, est d'une telle prépondérance, qu'il serait injuste de ne pas l'appeler en témoignage sur la question de la véritable paternité. Une femme, en ce cas, ne dit rien, ne déclare rien; au contraire elle se tait et se cache. C'est son cœur lui-même, qui, malgré elle, développe ses replis les plus cachés; c'est sa conscience qui laisse échapper son plus mystérieux jugement. Elle se montre toute entière dominée par la conviction intime à laquelle elle sacrifie son propre enfant, et ce que son enfant a de plus chère, la légitimité.

Alors ce que la présomption légale du mariage peut exiger, c'est que la présomption contraire, parvenue à un si haut degré de puissance, ne suffise pas encore pour la détruire. Mais on ne peut refuser au mari qui a déjà prouvé le crime de sa femme, et le mystère dont elle a enveloppé le fruit de son crime, la faculté d'offrir à la justice les autres preuves qui peuvent compléter la démonstration, et le soustraire aux charges et à la honte d'une fausse paternité.

La loi n'admet l'exception de l'impossibilité morale fondée sur l'adultère, que sous trois conditions formelles il faut que l'adultère soit constant, et il ne peut l'être que par un jugement public; il faut que la femme ait caché à son mari la naissance de l'enfant adultérin; et ces deux conditions remplies, il faut encore que le mari pré

sente la preuve de faits propres à justifier qu'un autre est le père de l'enfant.

Impossibilité légale.

II. Il reste à tracer le cercle de la troisième exception, celle qui s'établit sur l'impossibilité légale. Elle n'est autre chose que la conséquence immédiate de la loi. En effet la présomption fondée sur le mariage ne peut pas exister, si, au moment de la conception de l'enfant, le mariage qui seul établit la légitimité, n'existe pas encore, ou n'existe plus.

Cette exception frappe, comme on voit, sur les naissances précoces et sur les naissances tardives; et depuis que le législateur a calculé et marqué l'intervalle du temps dans lequel peut circuler la possibilité naturelle de la conception, l'intelligence de cette exception dans les deux cas, devient facile, et son application précise. Mais son action n'est pas décisive sur les naissances précoces, comme elle l'est sur les naissances tardives.

Par exemple, la naissance précoce est celle de l'enfant qui vient au monde dans les premiers mois du mariage, et à un terme tel, que toute conception possible ne puisse être placée sous l'empire du mariage. Il est maintenant fixé que le terme de la naissance le plus rapproché de la conception ne peut être que le septième mois commencé; de sorte qu'un enfant qui naît avant ce septième mois commencé, ou pour parler les cent quatre-vingts premiers jours du avec une précision plus arithmétique, dans mariage, peut-être désavoué par le mari de la mère.

Mais cette naissance précoce suffira-t-elle pour autoriser le désaveu du mari, et le déshonneur de la femme? Non, il y aurait inconséquence et injustice dans deux cas : d'abord l'accouchement de la femme peut avoir été accéléré par un accident peu remarquable; l'enfant peut naître avant terme, et privé des facultés de la vie.

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trois-centième jour, doive être par cela même, déclaré non légitime. Il faut que la présomption résultant d'une naissance trop avancée ou trop tardive, se trouve confirmée, lorsque le mari vit, par une présomption qui paraîtra plus forte encore à quiconque observe le cœur humain; il faudra que l'enfant soit désavoué par le mari. Comment croire qu'il étouffe tous les sentimens de la nature? comment croire qu'il allume dans sa maison les torches de la discorde, et qu'au dehors il se dévoue à l'humiliation, s'il n'est pas dans la conviction intime que l'enfant n'est point né de son mariage?

La loi ne se borne pas à sonder le cœur et à calculer les véritables intérêts du mari; elle se met en garde contre les passions qui pourraient l'aveugler; elle n'admet point le désaveu qui ne se trouve pas d'accord avec sa conduite antérieure. S'il avait tou

jours cru que l'enfant lui fût étranger, aucun acte ne démentirait une opinion qui depuis la naissance de cet enfant, a dû déchirer son ame; s'il a varié dans cette opinion, il n'est plus recevable à refuser à l'enfant l'état qui ne lui a pas toujours été

contesté.

il

Ainsi, dans le cas où l'enfant serait né avant le cent-quatre-vingtième jour (six mois accomplis) depuis le mariage, la loi présume qu'il n'a point été conçu pendant cette union; mais le mari ne pourra désavouer l'enfant, si, avant de se marier, a eu connaissance de la grossesse. On présume alors qu'il n'a contracté le mariage que pour réparer sa faute personnelle; on présume qu'un pareil hymen n'eût jamais été consenti, s'il n'eût été persuadé que la femme portait dans son sein le fruit de leurs amours; et lorsqu'il a eu dans la conduite de sa femme une telle confiance, qu'il a voulu que leur destinée fût unie, comment pourrait-on l'admettre à démentir un pareil témoignage ?

Le mari ne pourra encore désavouer l'enfant né avant le cent-quatre-vingtième jour du mariage, s'il a assisté à l'acte de naissance, et si cet acte est signé de lui, ou contient sa déclaration qu'il ne sait signer. Comment en effet pourrait-il revenir contre sa propre déclaration donnée dans l'acte

Tome XII.

même destiné à constater l'état civil de l'enfant ?

Il est une troisième circonstance dans laquelle le mari n'est pas admissible au désaveu c'est lorsque l'enfant n'a pas été déclaré viable, ou pour mieux dire a été déclaré n'être pas viable. Il faut à cet égard que des gens de l'art prononcent. L'enfant vivait dans le sein de sa mère; cette existence peut se prolonger pendant un nombre de jours indéterminé, sans qu'il soit possible qu'il la conserve; et c'est cette possibilité de parcourir la carrière ordinaire de la vie qu'on entend par l'expression viable, être doué des organes et des facultés propros à la vie.

Voyez l'article Viable, Vie, etc.

Lorsque l'enfant est déclaré n'être pas viable, le désaveu du mari est sans objet; nécessité; toute recherche serait scandail ne tendrait qu'à flétrir la mère sans leuse. La' disposition de l'art. 314 a eu en vue d'éviter les vérifications, les déclarations de viabilité et toutes les difficultés, tous les procès qu'engendrerait l'état physique d'un enfant que deux intérêts opposés pourraient porter à juger en même temps bien et mal constitué. On a cru qu'un enfant apportait lui-même en naissant, et dans le cours plus ou moins borné de son existence, la preuve suffisante de son organisation parfaite ou imparfaite. On pensait en conséquence qu'en fixant le terme le plus prolongé d'existence que pouvait parcourir un enfant imparfaitement organisé, on rendrait toute décision plus prompte et plus sûre; et l'on aurait pu, dans ce sens, décider que le désaveu du mari ne serait point admis, si l'enfant mourait dans les dix jours de sa naissance.

Mais on établissait une lutte bien dangereuse entre la vie de l'enfant et l'honneur de la mère. Il fallait que l'enfant mourût dans les dix jours, pour que la mère vécût sans honte et sans reproche. De là la crainte injurieuse, mais raisonnable, qu'une négligence affectée, ou des moyens plus coupables peut-être, ne vinssent suppléer à l'imperfection supposée de la nature, et porter une influence fatale sur la vie de l'enfant dont l'existence devait être l'op

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probre de sa mère et le titre de sa condamnation.

Délai du désaveu de la part du mari.

13. Dans les divers cas où le mari est autorisé à réclamer, il devra le faire, dans le mois, s'il se trouve sur les lieux de la naissance de l'enfant; dans les deux mois après son retour, si, à la même époque il est absent; dans les deux mois après la découverte de la fraude, si on lui avait caché la naissance de l'enfant. ( Code Civil, art. 316.)

C'est en consultant le cœur humain, que la loi a regardé comme ne devant plus être admise une action judiciaire en désaveu de paternité qui n'aurait pas été intentée dans le plus court délai. La loi ne donne à ces exceptions aucun effet par elles-mêmes. Pour qu'elles agissent, il faut qu'elles soient

le désaveu formel mises en mouvement par de l'enfant de la part du mari qui seul en a le droit, s'il existe au moment de la nais

sance.

Le sentiment qui porte un mari à désavouer l'enfant dont sa femme est devenue mère, est vif, impétueux, violent même, comme le transport qu'excite la conviction d'un outrage. Ce n'est point un sentiment de la nature de ceux que le affermit temps et que la réflexion fortifie : celui-ci au contraire se modère par la réflexion, et le temps souvent parvient à l'effacer. Un père qui, dans sa maison, a souffert près de lui sans peine et sans répugnance, ou qui a connu sans indignation l'existence d'un enfant la loi et la société appellent son que fils, est raisonnablement supposé n'avoir pas reçu d'offense, ou l'avoir pardonnée; dans tous les cas, la loi, comme la raison, préfère le pardon à la vengeance.

et,

Le mari devra donc réclamer dans le mois, s'il se trouve sur les lieux au moment de la naissance de l'enfant; dans les deux mois après son retour, si à la même époque il est absent; et enfin dans les deux mois après la découverte de la fraude, si on lui avait caché la naissance.

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fait sa réclamation, imais étant encore dans le délai utile pour la faire, les héritiers auront deux mois pour contester la légitimité de l'enfant, à compter de l'époque où cet enfant se serait mis en possession des biens du mari, ou de l'époque où les héritiers seraient troublés par l'enfant dans cette possession.

Lorsque le mari décède avant que le délai qui lui est accordé par la loi pour réclamer soit expiré, ce droit jusque là inhérent à sa personne seule, est au nombre de ceux qu'il transmet à ses héritiers. On a considéré que le plus souvent, les enfans dont la légitimité peut être contestée, ne sont produits dans la famille, qu'après la mort du mari qui aurait eu tous les moyens de les repousser. D'ailleurs le mari qui meurt dans le court délai que lui donne la loi pour réclamer, a le plus souvent été dans l'impuissance d'avoir d'autres soins que ceux de prolonger ses derniers instans. On eût exposé les familles à être injustement dépouillées, si on eût rejeté leur action contre l'enfant que le mari eût pu désavouer.

Mais en même temps la loi a voulu que l'état de cet enfant ne restàt pas incertain, et elle ne donne aux héritiers, pour contester sa légitimité, que deux mois, à compter soit de l'époque où il serait mis en possession des biens du mari, soit de l'époque où les héritiers seraient troublés par l'enfant dans cette possession.

Insuffisance des actes extrajudiciaires.

15. Tout acte extrajudiciaire contenant le désaveu de la part du mari ou de ses s'il n'est héritiers, sera comme non avenu, suivi, dans le délai d'un mois, d'une action en justice, dirigée contre un tuteur ad hoc donné à l'enfant, et en présence de sa mère. (Code Civil, art. 318.)

On a prévu en rédigeant cet article, que le mari ou ses héritiers pourraient chercher à prolonger les délais mentionnés aux articles 316 et 317, en se bornant à un acte extrajudiciaire contenant le désaven. La loi déclare que cet acte ne sera d'aucune considération, s'il n'est suivi, dans le délai d'un mois, d'une action en justice dirigée contre le tuteur ad hoc nommé à l'enfant.

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Le sieur Degrady décéda le 3 nivose suivant. Le 13 ventose, cent soixante-quatre jours après le mariage, la veuve Degrady accoucha d'une fille qui reçut le nom de Victoire-Joséphine et fut inscrite sur le registre de l'état civil comme enfant naturel, de la réquisition de sa mère. Celle-ci fit plus: elle avoua, dans une déclaration reçue par un notaire, que la fille dont elle venait d'accoucher était un enfant naturel; et elle chargea les médecin et chirurgien présens à son accouchement, de transmettre cette déclaration aux commissaires de police et à la mairie. Cette déclaration fut encore répétée pour elle au bureau de conciliation, dans l'instauce dont nous allons parler.

Le 25 ventose an 13 les sieurs et dame Degrady père et mère du défunt, déclarè rent par acte reçu par le notaire du lieu, ne pas reconnaître l'enfant, 10 parce qu'il avait été désavoué par le mari; 20 parce qu'il était né viable le cent soixante-quatrième jour depuis le mariage; 3o et enfin, parce que sa propre mère avait reconnu qu'il était enfant illégitime.

Conformément à l'art. 318 du Code Civil, action fut intentée dans le mois, en

justice réglée pour faire déclarer à bonne cause le désaveu.

Le tuteur ad hoc nommé à l'enfant soutint à tort l'action, 10 Code Civil n'autorisait pas un mari à déparce que le savouer l'enfant de sa femme durant la grossesse de celle-ci et avant la naissance de l'enfant; 2o parce que la faculté de faire ce désaveu était personnelle au mari et ne pouvait être transmise aux héritiers; 30 et qu'en tout cas, le désaveu devait être étayé de preuves, et que la déclaration de la mère ne pouvait être réputéć preuve aux yeux de la loi.

On appuyait ces moyens de l'autorité de Voet, en ses Pandectes, liv. 1er tit 4, qui dit que les lois romaines regardent une telle déclaration de la part de la mère comme l'effet du délire, et qu'elles n'en tiennent aucun compte. La loi imperatores 29, SI, D. de probationibus, décide textuellement la question: Mulier gravida repudiata, filium enixa absente marito, ut spurium in actis professa est; quæsitum est an is in potestate sit, ac matre intestata mortua jussu ejus hæreditatem matris adire possit, nec absit professio à matre iratâ facta: respondit veritate locum superfore..

que

nationale, du 19 floréal an 2 (bulletin 582, Une loi particulière de la convention, pag. 7), rendue sur l'exposé que l'officier public de la commune de Paris a refusé de recevoir la déclaration faite par une citoyenne, que l'enfant dont elle est devenue mère, est d'un autre de son mari, approuve le refus fait par cet officier; décrète que l'acte de naissance énoncé dans celui fait par le commissaire de la section de Chaslier le 23 pluviose, no 85, sera rédigé sans faire mention de cette déclaration, et que si elle a été insérée sur le registre de la section, elle y sera rayée. Le motif de cette loi, énoncé dans son préambule, est « qu'il est dans les principes de notre législation, que la loi ne reconnaît d'autre père que celui qui est désigné par le mariage; qu'une déclaration contraire est immorale, et qu'une mère ne saurait être admise à disposer à son gré de l'état des enfans de son mari. »

On répondait à ces moyens et à l'appui

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