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Cependant il est des circonstances qui peuvent exiger des mesures sûres et rapides; partout on doit être prêt à montrer la France armée de la force de son chef et de la force de ses citoyens. Mais si cette force doit être toujours prête, c'est à la sagesse à en faire un prudent emploi ; son développement doit être proportionnel avec les besoins, réglé sur les facultés, les occupations des citoyens, sur les moyens différens que présentent les différentes localités; cette force armée doit enfin offrir toute la garantie que les propriétés exigent des hommes appelés à les défendre; et vous jugerez sans doute que dans le moment actuel il est convenable et nécessaire de donner à l'empereur le droit de faire à l'organisation de la garde nationale, par un réglement, les changemens que dans une circonstance moins pressante on aurait pu attendre de la loi.

» Il est également important que les officiers de la garde nationale soient nommés par l'empereur. Toute force doit émaner du pouvoir suprême; tout doit être en harmonie dans nos institutions, et une même et unique direction doit être donnée à tout ce qui commande des citoyens armés: d'ailleurs n'est-ce pas au modèle et au juge des braves à les choisir, et à leur chef à les nommer? Il est juste aussi, en imposant des devoirs aux citoyens, ou plutôt en les leur rappelant, de leur annoncer d'avance leur destination, et les conditions sous lesquelles ils seront tenus de faire le service auquel l'empereur les appellera; il faut qu'ils sachent qu'ils seront employés au maintien de l'ordre dans l'intérieur, à la défense des frontières et des côtes, et que les places fortes sont spécialement confiées à leur honneur et à leur bravoure. Quel Français attaché à l'ordre par son éducation, ses propriétés, son industrie, pourrait ne pas sentir la justice d'une loi que dictent ses intérêts les plus chers! Ils doivent en même temps être assurés que lorsqu'ils auront été requis pour un service militaire il leur sera compté comme tel, leur en donnera les avantages et les droits, et qu'en défendant leurs propres foyers contre l'ennemi ils partageront la gloire et les récompenses des guerriers qui de conquêtes en conquêtes ont porté notre nom aux extrémités de l'Europe, de l'Afrique et de l'Asie.

>>> Sénateurs, telles sont les dispositions du projet de senatusconsulte que Sa Majesté nous a ordonné de vous présenter, et dont je viens de vous développer les motifs. En l'adoptant vous donnerez un nouveau lustre, une utilité plus solide à cette garde nationale, qui dans sa naissance, malgré les défauts de son organisation, fit évanouir l'espérance d'une coalition redoutable; et cette garde d'élite, imposante au dehors, rassurante au dedans, sagement distribuée, jamais prodiguée,

inactive dans les momens, dans les lieux où les circonstances ne la rendraient pas nécessaire, mais toujours organisée, toujours prête au premier besoin et au premier péril, réunira tous les avantages de la force dirigée par la sagesse. Dans d'autres temps la France lui dut son salut: aujourd'hui elle lui devra son repos.» (Suivait le projet, qui plaçait la garde nationale sous le régime des décrets impériaux.)

DÉCRET du Sénat.

(Seconde séance du méme 'jour.)

« Le Sénat conservateur, délibérant en séance ordinaire sur les communications importantes qu'il vient de recevoir dans la séance impériale;

» Pénétré, comme tous les Français, de la plus vive indignation à la nouvelle inopinée de l'envahissement de l'électorat de Bavière par les troupes autrichiennes ;

» Considérant que plus la nation française a dû être sensible aux nombreux sacrifices que fait depuis longtemps la patience magnanime de S. M. l'empereur et roi pour maintenir la paix que lui devait le continent, et plus elle doit déployer sa valeur et son énergie lorsqu'elle est forcée à la guerre ;

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Décrète ce qui suit:

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» Art. 1o. Attendu que, d'après le prompt départ de S. M. l'empereur et roi pour se mettre à la tête de ses armées le Sénat ne peut se rendre en corps auprès de S. M. afin de lui porter son vœu pour le succès de ses armes, le Sénat charge son président et ses secrétaires de se transporter à Saint-Cloud à l'issue de la séance, et d'exprimer à S. M. impériale et royale le dévouement profond et unanime du Sénat et du peuple, leur attachement à sa gloire, à sa personne et à sa famille, leur confiance dans son génie, enfin la résolution où sont tous les Français de venger sous ses ordres Foutrage que leur fait une agresssion aussi inattendue.

» 2. Le Sénat se rassemblera extraordinairement sur la convocation de son président pour entendre, sur les mesures proposées par le gouvernement, le rapport de la commission spéciale qui vient d'être nommée au scrutin,

» 3. Le présent décret sera imprimé à la suite des discours prononcés dans la séance impériale, et une expédition en sera remise par M. le président à S. M. l'empereur et roi. »

1

RAPPORT fait au Sénat par S. Ex. M. François (de Neufchâteau), président, au nom d'une commission spéciale (1) chargée d'examiner les projets de senatus-consulte relatifs à la levée de quatre-vingt mille conscrits et à la réorganisation de la garde nationale. (DE LA COMPÉTENCE DU SÉNAT EN MATIÈRE DE CONSCRIPTION.)- Séance du 2 vendémiaire an 14. (24 septembre 1805.)

<< Messieurs, la France se trouve placée dans une circonstance tout à fait extraordinaire, et vos délibérations doivent prendre aujourd'hui un caractère tout nouveau, mais qui n'est toutefois qu'un simple développement de l'idée renfermée dans les deux mots qui font le titre de votre autorité, Sénat con

servateur.

» Avant de partir pour l'armée l'empereur s'est rendu dans le sein du Sénat. Le discours qu'il a prononcé a laissé dans vos cœurs une profonde impression. S. M. étant sortie, le Sénat s'est formé en séance ordinaire, et il a renvoyé à une commission spéciale deux projets de senatus-consulte qui avaient été présentés par des orateurs du Conseil d'état. Tout est pressant dans ces mesures, parce que tout est rapide dans les événemens qui les ont motivées votre commission n'a point perdu de temps pour les examiner. Je vais avoir l'honneur de yous en rendre compte.

:

»Vous avez confié l'examen de ces deux projets à la même commission, parce qu'en effet il y a connexité dans leur objet.

Le premier projet est relatif à la conscription pour l'an 1806, et le second prépare la réorganisation de la garde nationale dans les points où S. M. jugera qu'elle peut être plus utile.

"

"La première question à examiner est la compétence du Sénat, Si le Sénat est compétent, le fond ne présente pas de difficulté.

» La compétence du Sénat ne nous a pas paru pouvoir être révoquée en doute dans la situation où nous nous trouvons jetés tout à coup.

(1) Composée de MM. le maréchal Serrurier, Barthélemy, d'Aguesseau, Jacqueminot, Lemercier, et François ( de Neufchâteau).

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Quant au premier projet, on sait que la conscription est le mode adopté pour recruter l'armée française, suivant la loi du 19 fructidor an 6, modifiée par d'autres lois.

Sans doute ce qui concerne la conscription est, dans l'ordre naturel, simple et habituel des choses, de la compétence du Corps législatif, sur la proposition du gouvernement; et le Sénat, qui nomme le Corps législatif, qui veille à ses attributions, est bien éloigné de l'idée de songer à l'en dépouiller.

» Mais le Sénat est conservateur de la Constitution, c'est à dire de l'organisation de l'Empire ; il doit être considéré comme pouvoir constituant et permanent le Corps législatif n'a qu'un pouvoir déterminé et temporaire. L'autorité chargée de conserver la Constitution, de parer à toutes les atteintes qui pourraient lui être portées, de suppléer à son silence lorsque des besoins impérieux et pressans l'exigent, a, par une conséquence nécessaire, le pouvoir d'adopter les mesures que le gouvernement juge indispensables à la conservation du territoire, menacé d'une agression qu'on n'a pas pu pré

voir.

» Il importe surtout que ce soit le Sénat qui délibère sur tout ce qui excède le tribut ordinaire et annuel de la conscription militaire.

>> Dans toute constitution libérale il faut distinguer deux états, l'un ordinaire, l'autre extraordinaire.

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» Dans l'état ordinaire le gouvernement ne doit s'adresser qu'au pouvoir commun; ce pouvoir commun est, dans notre organisation, le Corps législatif, formé de députés choisis de degrés en degrés par divers corps électoraux, dont le dernier

est le Sénat.

» Dans l'état extraordinaire, le gouvernement doit porter ses demandes au corps dont le pouvoir n'a de limites que celles de la conservation.

» Dans la République française, ce corps est le Sénat, qui dans les cas urgens est appelé à exercer la souveraineté

nationale.

» La distinction de ces deux états, de l'état ordinaire et de l'état extraordinaire, importe aux citoyens, importe' à l'existence du corps politique.

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En la reconnaissant cette distinction, gouvernement, qui est particulièrement la puissance exécutive, s'oblige de lui-même à une sage réserve; il se place dans l'heureuse nécessité de ne pas abuser des moyens des citoyens, et de ne

pas exagérer l'emploi de la force nationale.

» On a pu remarquer qu'à chaque grande époque la destinée et la sagesse ont fixé de concert dans le sein du Sénat

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le lien de la nation et du gouvernement, et le dépôt central des droits et des devoirs. Il sera digne de la méditation de l'histoire que ce soient les projets de ruine conçus contre la nation française qui aient successivement amélioré notre organisation politique. Ainsi l'atroce projet de l'assassinat du chef de la République de la part de l'Angleterre a démontré la nécessité de l'hérédité du pouvoir gouvernant dans une famille consacrée. Ainsi l'agression subite de la puissance autrichienne aura développé dans l'institution du Sénat la plénitude de son pouvoir et son grand caractère.

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Appliquons plus particulièrement ces idées aux objets des deux senatus-consulte.

"La conscription militaire est le plus délicat.

Tous les peuples supportent impatiemment les sacrifices; ils n'y voient d'abord que ce qu'ils ont d'onéreux; ceux qui privent momentanément les pères de leurs enfans sont surtout les plus pénibles. Mais le peuple français est magnanime, fier et généreux; il est jaloux de sa gloire; il supporterait impatiemment toute espèce d'humiliation; il n'est rien qu'il ne fit, qu'il ne supportât pour s'y soustraire: il ne voudra pas être insulté ét rabaissé par un ennemi qui prépare la guerre en protestant qu'il veut la paix, qui espère suppléer à sa faiblesse par l'artifice et la perfidie, auquel enfin le souverain magnanime que ce peuple s'est donné a deux fois fait grâce. C'est au corps qu'il sait être son appui, plein de sollicitude, l'interprète fidèle et zélé de ses vœux et de ses besoins, le conservateur de ses Constitutions, à lui montrer la vérité, à lui dire qu'il s'agit non seulement de sa gloire, mais de son repos, de son commerce, de sa prospérité tout entière. Diteslui que les préparatifs faits avec tant d'artifice contre lui, que la coalition de la Russie et de l'Autriche, vendues à l'or de l'Angleterre, commandent aussi des mesures subites et extraordinaires. Sénateurs, votre voix sera entendue! Et quel Français pourrait rester impassible lorsque son souverain brave tous les dangers, supporte toutes les fatigues pour terminer glorieusement et promptement une guerre qu'il n'a pu éviter malgré sa longanimité? Oui, c'est au Sénat qu'il appartient de parler au peuple, de lui montrer que les sacrifices qu'on lui demande sont pour lui-même et dans son intérêt. Nous le répétons avec confiance, Sénateurs, votre voix sera entendue! La jeunesse française, naturellement belliqueuse, ne verra dans ce senatus-consulte qu'une mesure indispensable pour repousser un ennemi qui semble ne vouloir nous laisser de repos qu'autant que nous l'y aurons contraint.

Quant au senatus-consulte relatif à la garde nationale, il

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