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Si Peltier, qui fut témoin de quelques événemens de cette époque, paroît contredire Roberspierre sur l'absolue continuité de son absence du conseil-général de la Commune, en écrivant qu'il y reparut le 1 septembre, au soir, seize heures avant que le carnage irrévocablement résolu dût commencer, c'est, pour ainsi dire, afin d'exclure toute idée que Roberspierre voulût qu'on massacrât les prêtres, et pour faire connoître la faction qu'il avoit déjà pour ennemie. Il n'intrigua et ne parla, suivant cet historien, que pour détourner sur les Girondins les coups de ce massacre, dont les dispositions ne pouvoient plus être révoquées (1). Quoique le discours très-remarquable que Roberspierre fit en cette occasion, et que Peltier rapporte, ne soit point dans le Moniteur, ce n'est pas une raison de douter qu'il l'ait tenu; et ce l'est d'autant moins, que toute la séance du conseil général de ce jour, 1er septembre, a été passée sous silence dans ce journal, par un effet, sans doute, de l'intérêt que prenoient à leurs auxiliaires, ces frénétiques Cordeliers, desquels alors dépendoit la rédaction de cette feuille qui n'a jamais dit que ce qui convenoit au parti dominateur, quel qu'il pût être.

Que si, pour ne rien négliger afin de connoître à fond la

(1) « Le 1er septembre, dit Peltier (chap. 8), l'ancienne haine de Roberspierre contre Brissot et les députés de la Gironde, se renouvela avec toute la force que lui donnoient les circonstances. Dès le matin de ce jour, le bruit étoit répandu que Verdun, bloqué de toutes parts, et dépourvu de tout, ne pouvoit long-temps se défendre..... Le soir, au conseil général de la Commune, les affidés de Roberspierre y disoient hautement que les dangers actuels de la patrie leur paroissoient moins le fruit des complots de Louis XVI, que de quelques hommes auxquels le peuple trompé croyoit du patriotisme. Roberspierre monta à la tribune pour s'expliquer plus clairement, et les désigner. Il dit: Personne n'ose donc nommer les traitres ; eh bien! moi, pour le salut du peuple, je les nomme. Je dénonce le liberticide Brissot, la faction de la Gironde, la scélérate commission des Vingt-Un de l'Assemblée nationale. Je les dénonce pour avoir vendu la France à Brunswick, et pour avoir reçu d'avance le prix de leur lácheté. Il promettoit les preuves pour le lendemain»; mais le massacre ayant été exécuté ce jour-là, suivant la direction du complot des Cordeliers, la promesse de Roberspierre resta sans effet.

part qu'eut ou n'eut pas Roberspierre dans ces massacres des prêtres, nous recourons aux ouvrages historiques écrits en France, et postérieurement à celui de Peltier, nous nous sentons saisis d'une juste défiance, en considérant que ceux qui parlent avec le plus d'assurance et de diffusion sur ce point, i n'ont été faits qu'après la mort de Roberspierre, et que leurs auteurs étoient, ou des hommes de la faction des Cordeliers, qui, devenus Thermidoriens, avoient intérêt à charger sa mémoire de tous les crimes antérieurs ; ou des écrivains peu judicieux qu'entraînoit la direction donnée par les Thermidoriens à l'opinion publique, depuis leur victoire sur Roberspierre.

A la tête des premiers, fut Prudhomme, dont le journal Les Révolutions de Paris, en 1792, avoit tant préconisé les massacres de septembre, et qui, cinq ans plus tard, c'est-àdire trois années après le renversement de Roberspierre, changeant totalement de langage sur ces massacres, sans cesser d'être zélé républicain, vint les raconter avec horreur, dans son Histoire des Crimes de la Révolution. Parmi toutes celles dont les auteurs étoient visiblement subjugués par l'illusion que les Thermidoriens avoient produite, la plus étendue est l'Histoire particulière des événemens de 1792, publiée en 1806, par Mathon de la Varenne. Mais, en lisant ce que l'un et l'autre racontent de relatif au point dont il s'agit, ayons bien soin de conserver cet esprit de critique sans lequel on ne peut arriver à la vérité.

Prudhomme se borne à dire qu'après que Marat eut concerté le carnage avec Danton, celui-ci se avec Danton, celui-ci se chargea d'en informer Roberspierre; que Roberspierre ne répondit à cette affreuse confidence que par ces mots équivoques : « Il ne faut pas se fier absolument à Marat : c'est une mauvaise tête (1)». Mathon de la Varenne, après avoir dit que Roberspierre

(1) Hist. des Crimes de la Révol., tom. IV. pag. 155.

assista, comme membre du premier comité de surveillance de la Commune, à une assemblée que tinrent à l'Archevêché, Marat, Couthon, Hébert, Collot-d'Herbois, Panis et Sergent, dans laquelle il fut question de fixer ce qu'ils appeloient un mode d'exécution pour ces massacres, avoue qu'il n'y fut rien déterminé (1). Il convient encore que Roberspierre n'étoit point dans la réunion subséquente et plus secrète du 30 août, où, après une vive discussion entre Panis, Sergent, Thirion, Marat, Collot-d'Herbois, BillaudVarennes, Danton et Manuel, pour décider si ce seroit par le fer, ou le feu, ou l'eau, qu'on feroit périr les prisonniers, il fut arrêté que ce seroit par le fer (2). Tout le monde sait, d'ailleurs, que, le lendemain 31 août, Panis fit inopinément, et même avec violence, créer un nouveau comité de surveillance, d'où Roberspierre fut exclus, et qui se composoit de Panis, Sergent, Marat, Desforgues, Leclerc, Cailly, J. Duplain, Lenfant, Jourdeuil et Duffort (3).

D'après tous ces faits bien vérifiés, accordera-t-on une foi bien entière à Prudhomme, lorsque, racontant que «< Roberspierre se trouva deux fois aux séances du comité de surveillance, et que ses avis y étoient pris en grande considération, cet historien ajoute qu'il y dit une fois : Il ne faut faire justice que des prêtres et des nobles (4) » ? Ce trait, qui est le seul par lequel Prudhomme porteroit à croire que Roberspierre entra dans le complot du massacre des prêtres, prouveroit

(1) Hist. particulière des événemens, etc. pag. 284.

(2) Hist. partic. des événemens, etc. pag. 286, où l'auteur raconte comme le tenant d'un témoin furtivement introduit et caché dans la salle, « que Marat proposa d'égorger les prisonniers; que d'autres vouloient qu'on mit le feu aux prisons, en empêchant les prisonniers de s'évader; que d'autres proposoient de faire usage des pompes à incendies pour les noyer tous après les avoir enfermés dans des caves; qu'enfin l'avis de Marat prévalut ».

(3) Hist. partic. des événemens, etc. pag. 294; et Hist. de la Révolution du 10 août; par Peltier, chap. 8.

(4) Hist. des Crimes de la Révolution, tom. IV, pag. 156.

que

aussi les autres membres du comité avoient des vues bien plus sanguinaires; qu'ils vouloient envelopper une multitude d'autres personnes dans le carnage, et que Roberspierre insista pour qu'ils restreignissent le nombre des victimes.

Mais, si nous essayons d'accorder ce récit avec les discours et la conduite de Roberspierre, en ce qui concerne les prêtres, soit avant cette époque, dans l'Assemblée Constituante, soit après, dans la Convention, et même dans la société des Jacobins, notre embarras devient extrême, par l'impossibilité de concilier l'opinion actuelle du public sur cet ambitieux, avec les témoignages irrécusables du Moniteur dans les temps mêmes où cette feuille étoit sous l'influence la plus tyrannique de ses ennemis.

En 1790, le 8 juin, il avoit, de son propre mouvement, <«< invoqué la sensibilité de l'Assemblée Constituante en faveur des prêtres qui avoient vieilli dans le ministère, et qui, à la suite d'une longue carrière, n'avoient recueilli de leurs longs travaux que des infirmités (1)». Le 19 mars 1791, il étoit venu repousser, avec une vigueur irrésistible, des lois pénales particulières que proposoit le comité des Recherches, contre les prêtres mêmes qui combattoient, par des écrits catholiques, la naissante constitution civile du clergé; qui opposoient des obstacles à l'élection des évêques constitutionnels; contre ces prêtres que leurs ennemis qualifioient déjà violemment de perturbateurs (2).

Dans la Convention (chose qui n'a point été observée par les historiens), on ne vit Roberspierre proposer, ni appuyer aucune de ces lois de sang qu'elle porta en si grand nombre contre les prêtres non-assermentés; et si, le 23 juillet 1793, il parut désirer qu'on déportât à la Guiane ceux d'entre eux

(1) Moniteur, feuille du 29 juin 1790, no 180.

(2) Ibidem, feuille du 21 mars 1791, no 80.

que

qui étoient en des maisons de réclusion, c'est qu'ils y étoient menacés d'un nouveau septembre. (Voy. ROCHEFORT.) Quand la Convention, entraînée par la Commune du 10 août, eut applaudi, en novembre 1793, à sa fête de l'Athéisme, et qu'elle autorisoit solennellement la brutale destruction de ce qui subsistoit encore des vestiges de l'antique religion de la France dans le culte des prêtres assermentés, lesquels, du moins, pouvoient y entretenir quelque croyance religieuse et la morale évangélique; de ces prêtres qui étoient les seuls la loi permît encore de protéger ouvertement: ce fut Roberspierre qui vint prendre leur défense, et combattit seul les fureurs de l'athéisme. On comptoit à peine onze jours depuis l'infernale fête de la déesse Raison, et la Convention applaudissoit encore avec délire aux épouvantables apostasies de quelques ministres des autels, lorsque, le 21 novembre, Roberspierre tonnoit déjà contre ces hideux apostats, dans la société même des Jacobins, menaçant «< de démasquer les hommes qui vouloient extirper toute idée de religion »>, enjoignant à ses auditeurs de «ne pas dénoncer les prêtres qui, attachés à leur ministère, disoient la messe »; et déclarant que « les furieux qui, pour les en empêcher, les qualifioient de fanatiques, l'étoient bien plus qu'eux (1) ». Quelques jours après, il vint forcer, en quelque sorte, la Convention, au milieu même des triomphes persécuteurs de l'athéisme déchaîné, à défendre « toutes violences ou menaces contraires à la liberté des cultes », sans exception même de celui des non-assermentés (2).

Ce qui reste bien évident, et peut expliquer, non seulement le passé, mais encore le présent, et peut-être l'avenir, en dissipant tant de nuages et d'erreurs si frauduleusement accumu

(1) Séance des Jacobins du 15 frimaire an II (21 novembre 1793). Moniteur du 6 frimaire (26 novembre).

(2) Ce decret présenté et fortement soutenu par Roberspierre, fut rendu le 15 frimaire an II (5 décembre 1793). Moniteur du 6 frimaire (7 décembre).

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