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Carnegie et crée la plus colossale affaire qui se soit jamais vue...

« Quelques-uns des sauvetages par lui opérés n'ont été autrement désintéressés: Mais s'il fallait discuter les mobiles !

pas

« M. Pierpont Morgan fait de son immense fortune. un très noble usage. Il donna d'un coup cinq millions de francs à un hôpital de New-York. Autre exemple : Un soir à dîner, son voisin de table (c'était le colonel Auchmuty) l'entretint d'un projet d'école professionnelle. J. P. Morgan l'écouta en silence et déclara au café: « C'est fort intéressant, colonel, ce que vous m'avez << dit là, faites vos plans, je construirai cette école; mais « seulement quand tout sera prêt, arrêté, complètement << au point. >>

<< Le colonel tenait à son idée, il se mit à l'œuvre et au bout de trois années d'études il se présenta au bureau de M. Morgan, au coin de Wall Street et de Broad Street; il fut immédiatement reçu.

« C'est pour le projet d'école professionnelle », dit-il. « Bien, » répliqua M. Morgan, et il sonna. « Apportez, << demanda-t-il à l'employé arrivé à son appel, le compte << de l'école du colonel Auchmuty, augmenté de l'intérêt « à 60% depuis le jour de notre contrat verbal. »

« Il avait considéré sa parole comme engagée par la simple conversation et, dès le lendemain, fait ouvrir au grand-livre le compte Auchmuty.

« M. Morgan a le front volontaire, le sourcil énergique, l'oeil tranquille bien sûr de lui, avec sa moustache grisonnante et ses cheveux de neige, errant sans hâte dans ses bureaux comme un désœuvré, mais connaissant si bien son affaire et la besogne d'un chacun, d'une façon si précise, qu'un seul coup d'oeil lui suffit pour saisir au vol le renseignement qu'il lui faut.

« M. J. Pierpont Morgan parle très peu. »

Du Journal de Genève, 26 août 1902 :

Le trust de l'Océan

« Un trust est une société industrielle parvenue à réunir sous sa domination toutes ou à peu près toutes les entreprises d'une même industrie. C'est une Société monopolisatrice. Quand on parle du trust de l'Océan, on suggère donc l'idée que l'Océan vient d'être conquis par une puissante coalition, qui le réserverait pour son usage exclusif. Nous n'en sommes pas encore là. En réalité, cinq compagnies de navigation, trois anglaises et deux américaines, qui se faisaient concurrence dans l'Atlantique-Nord, sont sur le point de fusionner. Et elles s'entendent avec deux grandes compagnies allemandes pour s'interdire certains procédés de lutte. Le trust de l'Océan se réduit donc à ce que sept grandes compagnies ont décidé de ne pas se faire la guerre, que cinq d'entre elles fusionnent, que, par suite de cette fusion, trois compagnies anglaises sont absorbées par une société américaine. Cela n'en constitue pas moins un évènement politique et économique de première importance.

Depuis plusieurs années, les compagnies transatlantiques se font une concurrence acharnée; elles construisent des navires de plus en plus coûteux, ayant des aménagements très luxueux, et rivalisant de vitesse pour se disputer les passagers. Il y a dix ans, il n'existait dans le monde que huit navires filant vingt nœuds; à l'heure actuelle, il y en a une soixantaine, au premier rang desquels se placent les bateaux allemands. Or on sait que l'augmentation de vitesse d'un navire, au-delà d'une certaine limite, exige des chaudières très puissantes et une consommation de charbon considérable.

«Le prix des passages ayant diminué sensiblement par suite de la concurrence et les frais de navigation des grands paquebots ayant suivi la progression inverse, il en résultait que beaucoup de compagnies, surtout des compagnies anglaises, allaient à la ruine.

« D'autre part, il est prouvé qu'une seule compagnie, la Hamburg-Amerika, pourrait économiser annuellement 60 millions de francs en supprimant un certain nombre de départs inutiles pendant la saison morte, de novembre à avril. En sept jours, il part de New-York pour l'Europe nord-occidentale huit grands paquebots, alors que deux ou trois suffiraient entièrement; mais comme chacun de ces paquebots appartient à des compagnies différentes et de forces à peu près égales, cela pourrait durer longtemps encore, si on ne se décidait pas à conclure une entente amiable.

« C'est ici qu'est intervenu M. Pierpont Morgan, le grand tentateur, celui qui déjà, dans le trust de l'acier, avait su cimenter l'alliance des trois groupes de fabricants américains les plus puissants. Le plan qu'il proposait était des plus simples. Les principales compagnies transatlantiques cesseraient de se combattre, mais uniraient au contraire leurs intérêts; les plus vieux navires seraient mis en réforme ; seuls, les paquebots les plus rapides resteraient en service et assureraient, autant que possible, un service quotidien dans chaque sens entre l'Europe et New-York. Pour réaliser ce plan, M. Morgan commença par acquérir la majorité des actions de la compagnie anglaise Leyland, qui possédait quarante-six navires d'un tonnage total de 290.000 tonnes; puis, en qualité de porte-parole d'une des compagnies les plus importantes, et avec l'appui de la Red Star et de l'Américan Line, toutes deux américaines, il fit à la White Star, à la Dominion, à l'Atlantic, des propositions si

avantageuses que les actionnaires de ces sociétés, dont les dividendes étaient fort compromis, n'hésitèrent pas à entrer en pourpalers avec M. J. Pierpont Morgan et Cie. Enfin, le 4 février 1902, un accord était signé entre ces banquiers d'une part et les lignes suivantes : White Star, Dominion, American et Atlantic.

« Le capital de la corporation était de 120 millions de dollars, avec 50 millions de dollars d'obligations.

« Les compagnies qui entraient dans le trust abdiquaient toute direction entre les mains du syndicat américain, en raison des avantages pécuniaires que M. Morgan leur avait offerts. Celui-ci se trouvait ainsi, du jour au lendemain, à la tête d'une flotte considérable de 122 navires d'ensemble 871.000 tonnes.

<< Les journaux anglais, pour calmer l'émotion de leurs compatriotes, leur font remarquer que le trust ne comprend pas la célèbre compagnie Cunard, qui détient le record de la vitesse, rivalisant avec les lignes allemandes, ni l'Anchor Line, l'Allan, la Manchester et d'autres encore, ni les compagnies françaises, danoises, italiennes, autrichiennes, néerlandaises, qui toutes ensemble disposent d'un tonnage supérieur à celui du trust. Mais ces compagnies sont isolées et ne disposent pas des capitaux considérables des Américains.

« L'Allemagne s'est si bien rendu compte du danger qu'elle a pris les devants; l'empereur, toujours bien. informé des projets américains, avait pressenti, dès le mois de juillet 1901, ce qui allait se passer: il invita dès lors les deux grandes compagnies allemandes, le Norddeutscher Lloyd et la Compagnie Hambourgeoise américaine, à prendre leurs mesures pour ne pas se laisser jouer dans cette lutte d'intérêts. Le résultat répondit à ces peines. Les compagnies allemandes ont pu traiter d'égal à égal avec le trust américain, au lieu

de subir ses conditions; elles se sont alliées à lui, sans se laisser absorber, remportant une victoire que les Anglais ne peuvent s'empêcher de constater avec amertume. Ce succès incontestable tient sans doute à la puissance des deux compagnies, qui, réunies, représentent un tonnage à peu près égal à celui des compagnies anglaises participantes au trust.

<< Le trust de l'Océan consiste donc en une fusion entre certaines compagnies anglaises et américaines et en une entente avec les deux grandes compagnies allemandes. La fusion n'est pas encore opérée, mais elle est en bonne voie. Il ne manque plus que l'assentiment des actionnaires des compagnies, et cet assentiment est peu près certain.

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<< Quant aux autres compagnies anglaises restées indépendantes, il est très possible qu'elles se rallient, elles aussi, l'hypothèse d'un trust rival devant être exclue. On voit très clairement, en effet, l'avantage qu'a toute ligne concurrente à faire partie de la combinaison; on ne voit pas l'avantage qu'elle pourrait avoir à lutter contre elle. Peut-être n'y a-t-il désaccord que sur le prix de rachat.

«En France, le seul concurrent du trust, la Compagnie générale transatlantique, a déclaré qu'aucune négociation n'a été engagée avec elle.

« Les conditions de l'entente sont connues. En premier lieu, il est stipulé que chacun conservera les positions acquises et qu'aucune extension d'activité du trust ou des compagnies allemandes ne pourra avoir lieu sans un accord spécial. Le trust n'enverra pas de navires dans les ports allemands; il ne laissera pas plus de deux paquebots relâcher à un port français en une se

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