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nous l'avons dénoncé la bonne foi l'obligeoit à reconnoître que c'est lui-même qui s'est dénoncé par sa lettre au Pape, lorsqu'il le prie de juger son livre : personne ne l'avoit accusé : c'est luimême qui se fait honneur d'avoir porté l'affaire au Pape. Nous approuvons sa soumission, mais nous ne pouvions dissimuler que c'étoit sans consentir à sa doctrine.

19. « Pourquoi, dit-il, envoyer à Rome votre Déclaration? » La réponse vient dans l'esprit à tout le monde. C'est parce que son livre y avoit été porté; qu'il l'y avoit envoyé lui-même, et qu'il écrivoit au Pape que ce livre ne contenoit autre chose que notre doctrine: la sincérité permet-elle de dissimuler des choses si claires? Mais c'est qu'on vouloit se plaindre, et qu'on n'en trouvoit aucun sujet.

20. Ces plaintes sont réfutées par un seul mot: elles aboutissent à dire que nous avons voulu perdre M. de Cambray : Dieu le sait : mais sans appeler un si grand témoin, la chose parle. Avant que son livre eût paru nous en avons caché les erreurs, jusqu'à souffrir les reproches qu'on a entendus: après que ce livre a paru, il s'étoit assez perdu lui-même si nous l'avons voulu perdre il étoit de concert avec nous, en soulevant tout le monde contre lui par ses ambitieuses décisions, et en remplissant ce même livre d'erreurs si palpables, et de tant d'inexcusables excès.

21. Lorsqu'il nous reproche et à moi en particulier, qu'il nous a fait proposer de supplier le Pape par une lettre commune, de faire juger nos questions sans bruit par ses théologiens, et en attendant de demeurer dans le silence: premièrement il dit une chose dont je n'ai jamais entendu parler, et si fausse, qu'il en supprime les principales circonstances, comme il a paru dès le commencement de cette déclaration 2. Aussi est-il vrai secondement, que la proposition étoit impossible : l'imputation qu'il nous avoit faite de sa doctrine étoit publique dans son Avertissement du livre des Maximes des Saints. Il l'avoit réitérée sans notre participation dans sa lettre au Pape, qui étoit publique, comme il l'avoue; et il y répétoit une et deux fois que sa doctrine étoit conforme à la nôtre: par conséquent notre conscience nous obligeoit 1 Lett. au Pape, p. 51, 58. — Ci-dessus, Ire sect., n. 1.

à le désavouer aussi publiquement qu'il nous avoit appelés en témoignage. En troisième lieu, nous ne mettions point en question la fausseté de sa doctrine; nous la tenions déterminément mauvaise et insoutenable: ce n'étoit pas là une affaire particulière entre M. de Cambray et nous: c'étoit la cause de la vérité, et l'affaire de l'Eglise, dont nous ne pouvions ni nous charger seuls, ni la traiter comme une querelle privée, qui est tout ce que vouloit M. de Cambray. Ainsi supposé qu'il persistât invinciblement, comme il a fait, à nous imputer ses pensées, et qu'il ne voulût jamais se dédire, il n'y avoit de salut pour nous qu'à déclarer notre sentiment à toute la terre. Cette Déclaration demeuroit naturellement soumise au Pape, comme tout ce qu'on fait en particulier sur les matières de la foi; c'étoit même la lui soumettre que de la lui présenter: mais cependant nous déchargions notre conscience, et autant qu'il étoit en nous, nous rejetions des erreurs que notre silence auroit confirmées.

VIII SECTION.

Sur les voies de douceur et les conférences amiables.

1. Que si l'on dit qu'il falloit tenter toutes voies de douceur, avant que d'en venir à une déclaration solennelle : c'est aussi ce que nous avons fait. M. l'archevêque de Paris l'a démontré si clairement pour lui et pour nous, que je n'aurois rien à ajouter sur ce fait, sans les accusations particulières par où l'on m'attaque.

2. Mais si l'on veut se convaincre par ses yeux de la netteté de ma conduite, il n'y a qu'à lire l'écrit que j'adressai à M. de Cambray lui-même trois semaines avant l'envoi de notre Déclaration. Si le lecteur peut-être un peu trop pressé n'aime pas à être renvoyé à d'autres écrits, et veut tout trouver dans celui qu'il tient en sa main, voici en abrégé ce que je disois : Qu'après tant d'écrits, «< il falloit prendre une voie plus courte, et où aussi on s'explique plus précisément, qui est celle de la conférence de vive voix ; que cette voie toujours pratiquée, » et même par les apôtres, comme la plus efficace et la plus douce pour convenir de

quelque chose, «lui ayant déjà été souvent proposée, » je la proposois encore moi-même par cet écrit, à condition d'en éloigner toutes manières contentieuses, et au péril d'être déclaré ennemi de la paix, si elle n'étoit de ma part amiable et respectueuse.» Sur ce qu'il faisoit semblant de craindre ma vivacité, comme il l'appeloit, je lui alléguois l'expérience, non-seulement de mes conférences << avec les ministres, mais encore de celles que nous avions eues quelquefois ensemble à cette occasion, sans que j'y eusse élevé la voix d'un demi-ton seulement 1. »

3. S'il y avoit quelques expédients à trouver, il ne pouvoit naître que de pareilles conférences: mais j'espérois autre chose; j'espérois, dis-je, de la force de la vérité, et d'une entière connoissance des manières de M. de Cambray, que je le ramenerois aux principes, Dieu par ma voix, « clairement, amiablement, je l'osois dire, certainement et sans réplique; en très-peu de conférences, en une seule peut être, et peut-être en moins de deux heures". >>

4. Tout ce qu'objectoit M. de Cambray, c'est que je m'étois engagé à répondre par écrit à vingt demandes; ce que je trouvai ensuite à propos de différer, à cause, disois-je, « des équivoques de ces vingt demandes qu'on seroit longtemps à démêler, et à cause du temps trop long qu'il faudroit donner à écrire les réfutations et les preuves: » en ajoutant toutefois que « j'écrirois sans peine toutes les propositions que j'avois avancées dans la conférence, si on le demandoit; mais qu'il falloit commencer par ce qu'il y a de plus court, de plus décisif, de plus précis; » j'ajoutois encore « de plus charitable; rien ne pouvant suppléer ce que fait la vive voix et le discours animé, mais simple, ni la présence de Jésus-Christ au milieu de nous, lorsque nous serions assemblés en son nom pour convenir de la vérité. »

5. Tout le monde étoit étonné de l'inflexible refus de M. de Cambray pendant six semaines; nous en avons des témoins qu'on ne dément pas, et on s'empressoit à l'envi de nous faire conférer ensemble. Je ne refusois aucune condition. Un religieux de distinction, touché comme tout le monde de ce désir charitable de 1 Premier Ecrit, art. 2. - 2 lbid., art. 5. — 3 Ibid.

rallier des évêques, tira parole de moi, pour lier une conférence où il seroit. S'il n'avoit dit qu'à moi seul la réponse qu'il me rapporta, il faudroit peut-être la lui laisser raconter à lui-même : ce fut en un mot, que M. de Cambray ne vouloit pas qu'on pût dire qu'il changeât rien par l'avis de M. de Meaux. Si ce prélat ne veut pas convenir de cette réponse, qu'il la fasse telle qu'il voudra on voit bien qu'il n'en sauroit faire qui ne soit mauvaise. Quoi qu'il en soit, je lui envoyai moi-même l'écrit dont on vient d'entendre les extraits: il n'est pas long; on pourra le lire en moins d'un quart d'heure, parmi ceux que j'ai ramassés: M. de Cambray ne disconvient pas de l'avoir reçu. Voilà cinq grandes lettres qu'il m'adresse, où il me reprend seulement d'avoir dit dans cet écrit, que je le portois dans mes entrailles : il ne croit pas qu'on puisse porter dans ses entrailles ceux qu'on reprend pour l'amour de la vérité, ni les pleurer que par des larmes artificieuses pour les déchirer davantage. Que ne venoit-il à la conférence éprouver lui-même la force de ces larmes fraternelles, et des discours que la charité, j'ose le croire, et la vérité nous auroient inspirés? Nous attendîmes trois semaines l'effet de cette nouvelle invitation; et ce ne fut qu'à l'extrémité, et après avoir épuisé toutes les voies de douceur, qu'on envoya la Déclaration dont il faut dire encore un mot.

IX SECTION.

Sur la Déclaration des trois Evêques, et sur le Summa doctrinæ.

3

1. On se plaint qu'elle est trop rude: mais M. l'archevêque de Paris a assuré avec vérité, que M. l'archevêque de Cambray y avoit été beaucoup épargné. Nous y avions tu «< ces tentations d'un genre particulier » auxquelles il faut succomber, et dont on n'a pu s'empêcher de parler ailleurs ; nous y avions tu ces docilités des «<ames ingénues sur les choses humiliantes » indéfiniment, « qu'on leur pourroit commander: » ce dénuement non-seulement « de toute consolation,» mais encore « de toute 2 Max. des SS., p. 77, 91, 92. 3 Ille Ecrit, n. 17.

1 Premier Ecrit. Max., p. 76, 77.

liberté; ce détachement de tout, et même de la voie qui leur apprend ce détachement : cette disposition, sans limites, à toutes les pratiques qu'on voudra leur imposer, » et cet oubli universel de « leurs expériences, de leurs lectures, et des personnes qu'elles ont consultées autrefois avec confiance: » nous y avions tu « les possessions, les obsessions, et autres choses extraordinaires, »> que l'auteur nous avoit données comme « appartenantes aux voies intérieures: > on sait à quoi les faux spirituels les font servir, aussi bien que les autres choses qu'on vient d'entendre. M. de Cambray l'insinue lui-même; et nous sommes peu consolés de lui entendre dire que la voie de pur amour et de pure foi qu'il enseigne, est celle où l'on en verra moins que dans les autres: comme s'il n'y alloit ici que du plus ou du moins, et qu'il n'eût pas fallu s'expliquer plus précisément contre ces abominations.

2. L'auteur objecte sans cesse qu'on n'a point eu d'égard à ses correctifs, dont il veut que son livre soit plus rempli que quelque autre livre que ce soit. C'est de quoi nous nous plaignions: nous avons trouvé malheureux pour un livre de cette nature, d'avoir besoin de tant de correctifs, comme il l'est à une règle d'avoir besoin de trop d'exceptions: la vérité est plus simple, et ce qui doit si souvent être modifié marque naturellement un mauvais fond: il n'y avoit qu'à s'expliquer simplement, ainsi qu'on l'avoit promis. Tout ce qu'on a dit sur le sacrifice absolu n'a causé que de l'embarras dans l'article des suppositions impossibles, et on eùt dù se passer de ces correctifs, qui ne font qu'augmenter le mal: témoin le dangereux correctif de la persuasion non intime, mais apparente, qui ne sert qu'à excuser le langage de Molinos, comme il a été démontré ailleurs 2. Tous les lecteurs désintéressés reconnoissent que ces correctifs ne sont que de vrais entortillemens capables de tourner les têtes, et on en a vu assez pour faire sentir les lacets que trouvent les simples dans l'obscurité de ce livre, qui promettoit tant de précision, et de trancher si nettement sur les équivoques.

3. Une des choses qu'on vante le plus comme un excellent correctif, ce sont les articles faux, où il est vrai que M. de Cambray 1 Max., p. 123, 124. - 2 Ille Ecrit., n. 23.

TOM. XX.

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