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Enfin, s'il s'agit d'un crime passible des travaux forcés, ce crime ne peut descendre au rang des délits que par un double degré d'atténuation : il faut que le jury déclare les circonstances atténuantes et que la Cour s'associe à cette déclaration. Or que résulte-t-il de ces deux déclarations? Il en résulte que le droit de la Cour d'assises est complétement épuisé, elle ne peut plus qu'appliquer la loi, et cette loi est le maximum, c'est-à-dire cinq ans d'emprisonnement. Cette conséquence est très-rigoureuse et peut-être le législateur ne s'en est pas rendu compte, car on ne peut s'expliquer la distance énorme qui sépare ces deux hypothèses, mais le texte est trop formel pour qu'un doute sérieux soit possible.

126. ART. 58. Les coupables condamnés correctionnellement à un emprisonnement de plus d'une année seront aussi, en cas de nouveau délit ou de crime qui devra n'être puni que de peines correctionnelles, condamnés au MAXIMUM de la peine portée par la loi, et cette peine pourra être portée jusqu'au double. »

Il y a lieu de remarquer d'abord que, dans cet article comme dans l'art. 57, l'aggravation pénale de la récidive n'est appliquée qu'au seul cas où la première condamnation emportait un emprisonnement de plus d'une année. Pour que la récidive devienne une cause d'aggravation, il faut que la première condamnation dénote un délit grave, un agent dangereux.

Il y a lieu de remarquer ensuite que la règle que nous posions tout à l'heure, à savoir, que la récidive de délit à crime ne motive aucune aggravation spéciale, trouve ici une sorte de restriction. En effet, lorsque le crime n'est puni que d'une peine correctionnelle, cette peine est portée au maximum et peut être élevée jusqu'au double. On pourrait penser que, si la récidive de délit à crime ne donne lieu à aucune aggravation, il en doit être encore ainsi lorsque, par suite de circonstances alténuantes, le crime n'est puni que de peines correctionnelles. Mais si, dans le système du Code, la récidive de délit à crime n'aggravait pas la situation de l'accusé, c'est que le crime était puni de peines afflictives ou infamantes. Mais depuis l'introduction de circonstances atténuantes, il arrive souvent qu'un crime cst puni de peines correctionnelles. Or, lorsqu'on déclare en état de récidive celui qui a été condamné à un an d'emprisonnement parce qu'il a encouru une condamnation nouvelle à trois ou six mois, comment ne pas appliquer la même règle à celui qui, ayant déjà subi une condamnation de plus d'un an, ne peut invoquer en sa faveur que la circonstance d'avoir été traduit une seconde fois devant une Cour d'assises pour crime, au lieu de l'être devant un tribunal correctionnel pour délit ? 127. Un 2o § ajouté à l'art. 57 porte :

Le condamné sera de plus soumis à la surveillance spéciale de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »

La même disposition était déjà attachée à l'art. 58, cette mesure rigoureuse peut être remise par l'effet des circonstances alténuantes, comme nous le dirons tout à l'heure; mais seulement dans le cas où le maximum de la peine n'est pas appliqué.

128. Avant de quitter cette matière, en ce qui concerne surtout les art. 57

et 58, il faut indiquer une modification de la plus haute importance pratique à la rigueur très-grande en apparence des art. 57 et 58. Avant la révision de 1832, on hésitait sur la question de savoir si l'art. 463, qui autorisait les tribunaux à réduire à un taux très-bas les condamnations correctionnelles, en cas de circonstances atténuantes déclarées par eux, on hésitait sur le point de savoir si cette faculté s'appliquait même au cas de récidive. Ce doute a été levé par le dernier paragraphe de l'art. 463, qui modifie de la manière la plus grave et la plus fréquemment applicable la rigueur des art. 57 et 58. Vous y verrez, en effet, à côté de ces dispositions fort dures de nos deux articles, que, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux correctionnels sont autorisés, MÊME EN CAS DE RÉCIDIVE (c'est par ces derniers mots qu'on a enlevé le doute), à réduire l'emprisonnement soit à six jours, soit même au-dessous de six jours, et l'amende soit à seize francs, soit même au-dessous de seize francs; c'est-à-dire à se borner, malgré la circonstance de récidive et à raison des circonstances favorables que présentera la cause, à se borner, soit à l'application de pénalités moins fortes que celles du délit, soit même à l'application de pénalités inférieures de la même nature que celles de simple police, c'est-à-dire de pénalités inférieures à six jours de prison et à seize francs d'amende.

Au reste, l'art. 463, en accordant aux tribunaux correctionnels cet immense pouvoir de réduire la pénalité presque à rien, n'a statué que sur deux cas, d'emprisonnement et d'amende ; il leur permet de réduire à quelques jours l'emprisonnement, et l'amende à quelques francs. Mais l'art. 58 ne prononce pas seulement, par le renvoi qu'il contient, l'emprisonnement et l'amende en cas de récidive, il prononce de plus impérativement la surveillance spéciale du gouvernement pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. Et de là s'est élevée, depuis 1832, la question de savoir si la faculté de réduction accordée aux tribunaux par les derniers mots de l'art. 463, pour l'emprisonnement et pour l'amende, leur permettrait même de dispenser le condamné en état de récidive de la surveillance portée par les derniers mots de l'art. 58. Encore bien qu'un arrêt ait décidé la négative, ait interprété limitativement les expressions de l'art. 463, il est bien difficile d'admettre que ce soit là l'esprit de la loi; d'admettre que les tribunaux, autorisés, même en cas de récidive, à ne frapper le coupable que de quelques jours d'emprisonnement, seront cependant forcés d'attacher, soit à cet emprisonnement, soit même à cette amende si faible qu'ils peuvent substituer à l'emprisonnement, une surveillance de cing ans de la police du gouvernement, contre la nécessité de laquelle proteste assez hautement le jugement correctionnel qui déclare que les circonstances sont atténuantes, et qui n'applique que quelques jours de prison ou quelques francs d'amende. Je crois donc qu'en vertu de l'art. 463, paragraphe dernier, le tribunal correctionnel, dans le cas même de récidive, constatant par son jugement que les circonstances de la cause sont atténuantes, peut réduire la pénalité dans la proportion de l'art. 463, non-seulement en ce qui concerne. l'emprisonnement et l'amende, mais même, malgré les derniers mots de l'art. 58, dispenser le condamné d'une surveillance qu'il serait ridicule d'attacher à une condamnation aussi insignifiante que celle de cinq jours d'emprisonnement, ou de quinze francs d'amende. Cette solution est au surplus consacrée aujourd'hui par la jurisprudence.

129. Nous avons terminé ce qui touche à l'explication des diverses pénalités, de leur nature et de leur durée. Dans le second livre du Code pénal, que nous avons également à expliquer, la loi s'attache à un autre élément fort différent, mais fort important aussi, de la pénalité; au lieu de considérer le crime cu le délit dans sa nature et dans sa peine, elle le considère dans l'agent, dans l'auteur auquel il est imputé, et détaille les diverses circonstances qui peuvent aggraver ou modifier à son égard l'application de la pénalité. La première de ces circonstances est relative à la complicité, matière difficile et importante, par laquelle nous commencerons la prochaine leçon, qui y sera entièrement consacrée.

ONZIÈME LEÇON.

LIVRE DEUXIÈME

DES PERSONNES PUNISSABLES, EXCUSABLES OU RESPONSABLES, POUR CRIMES OU POUR DÉLITS.

130. Nous passons au livre II, dont la rubrique assez générale fait connaltre clairement l'objet. Nous cessons de considérer l'acte en lui-même, dans son existence physique et matérielle, nous examinons l'agent qui l'a produit, nous étudions les diverses circonstances qui constituent, qui atténuent, ou même qui effacent toute espèce de culpabilité. Au premier rang de ces circonstances figure la complicité. C'est à la recherche des règles de cette matière, c'est à leur examen que sont consacrés les art. 59 à 60, articles importants qui nécessitent de longs détails, et auxquels ne suffira pas notre leçon d'aujourd'hui nous nous occuperons spécialement des art. 59 et 60.

Qu'est-ce en général que la complicité ? Le premier sens, la première idée qui s'attache à ce mot, c'est celle du concours de plusieurs personnes rassemblées pour agir de concert dans un but coupable, pour commettre, avec une participation plus ou moins simultanée, un acte que la loi qualifie crime ou délit. Toutefois, cette idée générale du mot de complicité manque d'exactitude. Ce mot présente, dans le système de nos lois pénales, un sens plus technique, un sens plus rigoureux qu'il importe de bien préciser, de bien définir.

En effet, il ne faut pas croire qu'il y ait complicité dans l'acception bien exacte du mot, dans le sens technique que va lui donner l'art. 60, toutes les fois qu'il y a concours, réunion de plusieurs personnes, de plusieurs volontés pour l'accomplissement d'un acte coupable. Par exemple, deux individus, unis ensemble, sont entrés dans une maison habitée, ils ont brisé un coffre, un secrétaire, ils ont volé ensemble. Dira-t-on que dans ce cas il y a vol commis de complicité? On pourra le dire sans doute, dans l'acception vulgaire et usuelle du mot; mais dans ce cas il n'y a pas de complicité proprement dite;

des deux coupables dont nous venons d'indiquer l'acte, il n'y en a aucun qui soit, à vrai dire, le complice de l'autre. Il n'y a pas d'un côté un auteur principal, et de l'autre un auteur secondaire, accessoire; tous deux sont voleurs, tous deux sont covoleurs, codélinquants; il n'y a pas là de véritable complicité.

Ainsi, autre chose est, en droit pénal, la qualité de complice, dans le sens technique du mot, autre chose est la qualité de codélinquant ou de coauteur. La différence est sensible, elle résulte directement du texte même des art. 59 et 60. Dans l'espèce que je viens de poser, il est clair que, pour punir les deux individus qui se sont rendus en même temps eoupables de vol, il n'y a pas besoin d'article spécial, il n'y a pas besoin d'avoir recours à un système de complicité; chacun d'eux est voleur, à chacun des deux s'appliquera, selon la nature du fait, la peine établie pour le vol par les art. 381, 382 et suivants. En un mot, chacun tombe ici, par la nature même de son fait, sous l'empire de la loi qui punit le vol, sans qu'on ait besoin, pour la lui appliquer, d'aucun détour, d'aucune assimilation, d'aucune définition de complicité.

La théorie de la complicité est donc parfaitement inutile à l'égard des individus qui, réellement et par eux-mêmes, ont pris une part directe à l'action qu'il s'agit de punir, ils sont coauteurs. C'est ce que suppose l'art. 60, qui, définissant dans ses trois paragraphes divers cas de complicité, vous parle dans son § 3, par exemple, de ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur OU LES AUTEURS de l'action. La loi distingue donc très-formellement le complice d'avec l'auteur, puisqu'elle suppose qu'une action peut avoir plusieurs auteurs, peut avoir été faite simultanément par plusieurs personnes, sans qu'il y ait là complicité. En d'autres termes, lors même qu'un vol ou un autre crime a été commis simultanément par plusieurs, il y a là des auteurs, des coauteurs, des codélinquants, il n'y a pas encore de complices, sans quoi ces mots du § 3 seraient absolument vides de sens. Vous retrouvez le même langage dans l'art. 59: Les complices d'un crime ou d'un délit seront punis de la même peine que LES

AUTEURS.

En un mot, la pluralité d'auteurs n'entraîne pas, ne nécessite pas la complicité. Plusieurs exemples rendront ceci fort sensible; et il emporte, en effet, de distinguer quelquefois dans la pratique le cas de coauteurs ou de codélinquants du cas de complices; préparons donc à l'avance les éléments de cette distinction. Je citais tout à l'heure l'exemple du vol; d'autres crimes peuvent vous présenter le même caractère.

Deux individus d'accord entre eux en ont assailli, renversé, frappé, tué ensemble un troisième; il est clair que, dans ce cas, des deux assaillants, des deux meurtriers, aucun n'est le complice de l'autre ; chacun d'eux est meurtrier, chacun d'eux est assassin. On n'a pas besoin, pour les punir, des art. 59 et 60, on leur applique directement la peine de l'assassinat ou du meurtre, aux termes des art. 302 et 304.

De même, un seul a blessé, a frappé, a porté les coups; mais l'autre avait renversé et tenu immobile la personne qu'il s'agissait de frapper. Le second n'est pas encore ici le complice du premier; tous deux sont coauteurs, comeurtriers, coassassins, tous deux ont pris une part directe, active, immédiate à la perpétration du crime accompli.

De même encore, en cas de brigandage à main armée, vous supposerez une voiture arrêtée; parmi les brigands, les uns arrêtant les chevaux, arrêtant le postillon, d'autres les voyageurs, d'autres fouillant et volant. Il est clair que, quel que soit le nombre des codélinquants, quelle que soit la diversité des actes de chacun, il y a concours, concert, action simultanée de tous, dans un but commun, le vol de vive force, le brigandage proprement dit : ils ne sont pas de véritables complices.

Vous pouvez donc déjà comprendre que le mot de complicité, qui jusqu'ici n'est connu pour nous que négativement, suppose bien une participation à l'acte, au crime, au délit accompli, mais une participation éloignée, détournée, médiate, indirecte seulement. Jusqu'à quel point et dans quel cas des actes indirects, des actes détournés seraient-ils punis comme constituant la complicité? C'est là ce que les art. 60, 61 et 62 ont pour but de faire connaître.

131. Avant d'entrer dans les détails de l'art. 60, le principal, le plus important de tous pour la définition de la complicité, remarquons que, parmi les circonstances fort nombreuses énumérées par la loi comme constituant la complicité, on peut compter trois espèces d'actes bien distincts. La complicité résulte tantôt d'actes antérieurs au crime ou délit accompli, c'est ce qui a lieu notamment dans les §§ 1 et 2 de l'art. 60. Elle peut résulter d'actes simultanés, d'actes concomitants avec le crime ou le délit accompli, c'est ce qui a lieu dans un au moins des cas du troisième paragraphe de l'art. 60. Enfin elle peut résulter, au moins d'après la loi, car la chose est bizarre au premier aspect, elle peut résulter d'actes postérieurs au crime ou délit accompli. La loi admet, je ne me charge pas de la justifier logiquement, que l'on peut après coup, par des actes postérieurs, se rendre complice d'un crime qui était déjà entièrement accompli; tel est le cas de l'art. 62, tel paraît être même l'une des hypothèses du § 3 de l'art. 60.

Ainsi, des actes antérieurs, des actes simultanés, des actes même postérieurs, peuvent dans divers cas et sous les distinctions qui vont suivre, constituer J'après la loi des éléments de complicité.

L'art. 60 et ceux qui le suivent sont, comme je l'ai dit, des articles de définition; ils tendent à vous faire connaître quel est le sens technique, le sens légal du mot de complicité. En général, les définitions sont parfaitement libres, et le mot de complicité, pris en lui-même, est une expression assez vague pour que le législateur puisse, à sa volonté, y comprendre ou en exclure des faits sur le caractère desquels on pourrait rester dans le doute sans la définition de la loi. Mais il faut songer qu'ici, bien que l'art. 60 ne soit qu'un article de pure définition, il n'en est pourtant pas des définitions pénales comme des définitions de conversation ou de grammaire; il faut songer qu'à la suite de ces définitions, bien ou mal faites par les art. 60, 61 et 62, devront naître et s'appliquer de sérieuses pénalités. Par conséquent, en étudiant dans ces trois articles les divers sens, les acceptions fort larges que le législateur a données au mot de complicité, nous ne devons pas perdre de vue le résultat, la conséquence de cette latitude d'acception, nous ne devons pas perdre de vue qu'à chacune de ces acceptions est attachée une peine dont la gravité varie selon les cas. Ainsi, je ne dis pas pour bien comprendre, mais au moins pour bien

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