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»gnons entreront dans nos vues, »en auffi grand nombre qu'il le » faut pour vous feconder? Si cela » eft, notre affaire eft fûre, vous » allez devenir Mandarins de guer»re; la Chine eft délivrée de fes » tyrans; & mon pere qui a pris » depuis quelques jours la qualité » d'Empereur, fe verra infaillible»ment fur le thrône.

Le Catilina Chinois eut à peine ceffé de parler, que les efclaves tranfportés de joie renouvellèrent leurs fermens, & l'affurèrent qu'ils fe faifoient forts d'engager dans. leur parti autant de monde qu'il en falloit pour ne pas manquer un fi beau coup. Ils fe féparèrent pleins de confiance; & dès ce jour-là même ils cabalèrent fi efficacement, que le nombre des conjurés fut bientôt tel qu'ils le fouhaitoient. Il ne fit que croître les jours fuivans, fans que rien tranfpirât au dehors, foit auprès des Magiftrats ou dans le Public, de l'étonnante révolution qui fe préparoit. Ce profond fecret doit

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paroître incroyable à quiconque ne fçait pas combien les Chinois, naturellement taciturnes font d'un caractère vindicatif & malin. Quoi qu'il en foit, ce ne fut que la veille du jour marqué pour cette horrible exécution, & même durant la nuit, que la trame fut découverte, de la manière que nous l'allons dire.

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couver

ration

Il y avoit dans la première compagnie des Gardes du corps un te de la Mandarin Tartare, nommé Ma-tfi, conjutrès-honnête homme, auffi diftin- des efgué par fa bravoure dans les ar- claves. mées, qu'il étoit chéri & prefque adoré dans fa maison. Bon pere & bon mari il étoit également bon maître. Ses gens le voyant toujours raifonnable dans les fervices qu'il exigeoit d'eux, attentif à prévenir leurs befoins, & prenant un fingulier plaifir à les fçavoir contens, avoient conçu pour lui un fond d'attachement qui alloit jufqu'à la tendreffe.

Un feul de fes efclaves, apparemment plus libertin que les au

tres, avoit été jugé digne d'entrer dans la confpiration. Le grand intérêt qu'on lui avoit fait envisager dans ce complot l'avoit ébloui: mais de cuifans remords qui s'élevèrent bientôt après dans fon cœur, étoient venus le punir de fa démarche, & ne ceffoient de le déchirer. Le dernier jour de l'an arrivé, la mort de fon cher Maître, qu'il voyoit prochaine, le jetta dans une fi profonde trifteffe, qu'il lui fut impoffible de la cacher. Ma-tfi & bien d'autres perfonnes du logis s'apperçurent des larmes qui lui échappoient, comme à la dérobée. On lui en demanda le fujet, on le preffa ; tout fut inutile, il ne put jamais fe réfoudre à trahir le fatal fecret.

Cependant la nuit étant venue & fon Maître déjà couché, l'Efclave fe retira dans fa loge, & fe mit en état de repofer. Son ame étoit trop agitée pour donner entrée au repos. La liberté, de grands biens, les honneurs du mandarinat militaire fe préfentoient à lui

& le charmoient: mais le spectacle de Ma-tfi égorgé à fes yeux,' avoit quelque chofe de fi affreux pour lui, qu'il ne pouvoit en fou tenir l'idée. Il chercha long-temps à concilier ces deux intérêts: la réuffite du grand projet & la confervation de fon Maître. Il fe tourna de tous les côtés, & trouva que cet accord étoit chimérique; qu'il falloit abfolument de deux chofes l'une: ou que Ma-tfi pérît dès le lendemain, ou qu'il reftât lui dans la fervitude, en danger d'être immolé au premier jour par fes compagnons. Le ferment ne l'arrêtoit pas : fon iniquité étoit manifefte, & tout groffier qu'il étoit, il ne laiffoit pas de la bien fentir. (29)

(29) La faine raifon fuffit aux hommes capables de réfléxion pour leur apprendre, que tout ferment de commettre un crime eft un ferment pul, & qui n'oblige à rien, fi ce n'eft à le détefter. La

difcrétion, la juftice & la vérité, doivent concourir à former ces grands liens de la fociété. Prête-t-on un ferment fans néceffité, il eft téméraire; a-t-il pour objet une action mauvaife, il eft inique; enfin

Enfin après un affez long con bat, la vertu prit le deffus: il faifit ce moment, fe lève, prend fon poignard, & court à l'appartement du Mandarin. Levez-vous; Seigneur, lui crie-t-il tout ému; levez vous de grace, à l'inftant même ; j'ai à vous communiquer une affaire effentielle qui ne fouffre aucun retardement. Ma-tfi fe lève auffitôt; il prend fon fabre, & ouvre la porte à cet esclave, qui le prie de l'écouter un moment dans fon cabinet. Là fe jettant aux pieds du Mandarin, il fe hâte de lui découvrir, les larmes aux yeux, tout le fecret de la conjuration, & lui montre au même temps le poignard, qu'il jette avec indignation devant lui. Va, ne crains rien pour ta vie, lui dit le Mancheou d'un grand fang froid: tu verras bientôt que ton Maitre n'eft pas un ingrat, & que le mien fçait recompenfer une bonne action. Amène mon cheval à la porte, & fuis moi.

porte-t-il fur le parjure celui qui le menfonge, il rend fait

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