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Mais que serait cette enquête dans l'état actuel des choses? quelle en serait l'issue? est-ce que l'Assemblée avait sur ses membres une juridiction, même disciplinaire? Non, répondit M. de Vatimesnil? Ce serait là une flagrante usurpation de pouvoirs; une pareille enquête attenterait de toute nécessité à l'indépendance de la justice. Déclarerait-elle, en effet, que l'un de ses membres avait manqué à l'honneur? elle ferait un acte que la Constitution interdisait. Déclarerait-elle, au contraire, qu'il n'y avait aucun reproche à lui adresser? voilà la justice enchaînée et son action paralysée. Chaque terme du dilemme aboutissait à la confusion et à l'anarchie..

Ces principes finirent par triompher; mais telles étaient les préventions de l'Assemblée, que l'ordre du jour pur et simple ne fut adopté qu'à la majorité de 355 voix contre 306 (16 juin).

N'était-ce pas un déplorable indice d'affaiblissement et d'anarchie morale, que de voir une Assemblée nommée pour représenter la France, discuter à chaque instant les bases les plus respectables de la société, le principe même de l'autorité, les conditions de l'obéissance militaire, la division et l'indépendance des pouvoirs ?

Le 18 juin, encore un scandale. Encore une de ces scènes affligeantes qui, selon l'expression de M. Léon Faucher, faisaient courir à la liberté les dangers les plus sérieux, et soumettaient le gouvernement représentatif à la plus terrible épreuve.

L'Assemblée avait ouvert la délibération sur un projet de loi, qui avait pour but de modifier l'organisation administrative de la ville de Lyon et des communes suburbaines, en ce qui touchait l'action de la police et le maintien de la sûreté générale. On sait que la ville de Lyon, comme celle de Paris, est entourée par plusieurs groupes importants de populations qui forment autant de communes distinctes, et dont les principales sont : La CroixRousse, Vaise et La Guillotière. Mais à la différence du régime établi pour la banlieue parisienne, dont toutes les communes sont placées sous l'autorité du préfet de police, chacune des communes qui forment l'agglomération lyonnaise avait, nonseulement son administration municipale distincte et séparée,* mais encore sa police particulière et indépendante, qui échappait

à l'action de l'autorité centrale. Il est aisé de comprendre les inconvénients d'un pareil régime sur un terrain si brûlant et si souvent exploité par les apôtres du socialisme, par les agents de l'émeute et de l'insurrection; on conçoit quels obstacles journaliers et permanents il créait à la surveillance et à l'action du pouvoir chargé de maintenir l'ordre et la tranquillité publique.

Ces quatre villes et ces huit ou dix villages qui se touchent, qui font un seul corps, étaient divisés en municipalités ayant chacune son administration distincte, ses agents spéciaux. Il s'en suivait que le plus souvent, en traversant un pont, une rue, un ruisseau, le délinquant pouvait échapper à l'agent qui le poursuivait; à travers ces polices circonscrites et diverses, une surveillance générale était presqu'impossible.

Le but du projet de loi soumis à l'Assemblée était de remédier à cet état de choses, et, dans cette vue, il proposait de concentrer la police de Lyon et des communes environnantes dans les mains du préfet du Rhône, en lui conférant une partie essentielle des attributions qui sont remplies à Paris par le préfet de police.

Depuis 1793, la guerre civile n'a que trop souvent ensanglanté la ville de Lyon et les localités voisines. En 1817, en 1831, en 1834, 1848, 1849, la guerre civile a exercé ses ravages dans les rues et dans les campagnes, et en ce moment même, le département du Rhône et les départements voisins étaient soumis au régime de l'état de siége.

M. Pelletier répondit à la demande d'urgence par une glorification de la révolte.

Si M. Pelletier s'était borné à rappeler que les conseils municipaux qu'on voulait dépouiller de leurs attributions avaient protesté contre cette mesure; s'il s'était même contenté de signaler le projet de loi comme le premier annéau d'une chaîne qui riverait bientôt toutes les grandes villes de France à l'autorité de la police, et qui anéantirait le droit des municipalités au profit de cette dernière, l'Assemblée eût écouté avec calme ces considérations qui étaient dans la question. Mais il soutint que le gouvernement se défiait de l'armée, et qu'on voulait organiser, sous les ordres des nouveaux préfets de police, des légions de gardes

municipaux prêts à obéir à tous les ordres; il fit l'éloge de l'indiscipline, il prédit l'envahissement du socialisme dans le sein même de ces cohortes dévouées; il parla de dix mille ouvriers sans ouvrage qui se trouvaient à Lyon; il montra l'avenir gros de menaces, et il descendit de la tribune au milieu des applaudissements de la gauche et des murmures de la majorité.

M. Faucher ne voulut pas laisser ces menaces sans réponse ; il protesta contre ce qu'il appela un abominable discours. A ce mot, la Montagne tout entière se leva. Des interpellations injurieuses furent adressées au ministre. Quelques représentants de ce côté descendirent de leurs bancs en faisant des gestes menaçants; des représentants appartenant à l'opinion contraire envahirent les couloirs et le pied de la tribune; ils encouragèrent le ministre de leurs applaudissements; alors il se fit un tumulte inexprimable, et pendant près d'un quart d'heure la séance fut suspendue.

Quand enfin le calme revint, le ministre déclara que les injures qu'on lui adressait n'atteignaient pas à la hauteur de ses dédains. Le mot n'était pas neuf, et il n'eut pas tout l'effet qu'on en attendait, mais M. Faucher fut plus heureux lorsqu'il dit que c'était en vain qu'on essaierait d'effrayer la majorité par des menaces, que la Législative, aussi bien que la Constituante, saurait braver les fauteurs d'insurrection. Il montra tout ce qu'il y avait de dangereux pour la liberté dans le discours qui venait d'être prononcé, et il ajouta que si de pareilles provocations étaient souvent apportées à la tribune, le régime parlementaire deviendrait impossible.

La loi fut adoptée, le 19 juin, par 448 voix contre 214.

Le 21 juin, c'était encore après une discussion irritante que l'Assemblée votait la loi prorogeant pour un an l'autorisation accordée au gouvernement d'interdire les clubs et autres réunions politiques.

Pendant que ces pénibles débats agitaient la Chambre et l'empêchaient de se livrer à des études vraiment sérieuses, la commission de révision se trouvait, après la clôture de la discussion générale, en face de cinq propositions différentes.

1o Celle de M. Payer, qui demandait la révision dans le sens

d'une modification de détails et d'un développement du principe républicain ;

2o Celle de M. Bouhier de l'Écluse qui voulait la nomination d'une Constituante chargée de ramener la France à ses lois fondamentales, d'affirmer, de déclarer ces lois qui, disait-il, sont éternelles et n'ont besoin que d'être constatées. M. Bouhier de l'Écluse demandait encore la nomination d'un Président provisoire le 2 mai 1852;

3o La proposition de M. Creton, qui avait pour but de faire convoquer une Assemblée de révision chargée de décider quelle serait la forme du gouvernement, et de rédiger une Constitution en conséquence de cette décision.

En voici le texte :

Art. 1er L'Assemblée émet le vœu qu'à l'expiration de la législature une Assemblée Constituante soit convoquée à l'effet de procéder à la révision totale de la Constitution de 1848.

» Art. 2. En émettant le vœu de révision totale, l'Assemblée Législative entend que les pouvoirs de l'Assemblée de révision soient illimités, et que cette Assemblée établira définitivement les bases du gouvernement et de l'administration du pays.

» En conséquence, l'Assemblée Nationale constituante sera d'abord appelée à statuer entre la république et la monarchie.

» Art. 3. Dans le cas où la république serait confirmée, l'Assemblée décidera si le pouvoir législatif doit être délégué à deux Assemblées, et si le chef du pouvoir exécutif ne doit pas être élu par les deux Assemblées réunies.

» Art. 4. Dans le cas où la monarchie serait adoptée, l'Assemblée rédigera et promulguera une charte constitutionnelle dont l'observation devra être jurée par le chef de l'Etat à son avénement au trône.

» L'Assemblée procédera, dans la plénitude des pouvoirs qui lui auront été délégués par le peuple français, à la désignation de la personne qui sera revê— tue du pouvoir monarchique pour le transmettre héréditairement. >>

4o La proposition de M. Larabit ainsi conçue :

« 1° Que l'Assemblée Législative émette le vœu d'une révision de l'article 45 de la Constitution en ce qui concerne la rééligibilité du Président de la République ;

>> 2° Que cette révision ne soit pas déférée à une nouvelle Assemblée Constituante, mais à la souveraineté du peuple français appelé à voter pour l'élection du Président de la République ;

» 3° Qu'à cet effet une proclamation de l'Assemblée avertisse le peuple français qu'à lui seul appartient de dire s'il veut ou non réélire le même Président. >>

50 Enfin, la proposition de M. le duc de Broglie, patronée par la réunion des Pyramides.

La proposition de M. Creton fut rejetée par tous les membres, à l'exception de M. le général Cavaignac.

Les propositions de M. Larabit et de M. Bouhier de l'Écluse, furent accueillies par la question préalable comme inconstitutionnelles.

La proposition de M. Payer également écartée, restait la proposition de M. le duc de Broglie, signée par les 233. M. le duc de Broglie en abandonna la rédaction, et la transforma en une proposition pure et simple de révision totale, dont les considérants n'invoquaient plus le principe de la souveraineté natio→→ nale.

La rédaction nouvelle était ainsi conçue :

« L'Assemblée législative, vu l'art. 111 de la Constitution (1), « émet le vœu que la Constitution soit revisée en totalité, con» formément audit article. »

Neuf membres de la commission votèrent pour la proposition nouvelle. C'étaient: MM. le duc de Broglie, de Montalembert, Moulin, Dufour, de Tocqueville, Berryer, de Corcelles, de Melun (du Nord) et Odilon Barrot. Six votèrent contre. C'étaient MM. le général Cavaignac, Charras, de Mornay, Jules Favre, Baze et Charamaule.

Un seul paragraphe additionnel fut proposé. M. Charamaule voulait qu'on ajoutât au texte de la proposition ces mots : « Pour l'amélioration et la consolidation de la république. Cet amende

(1) Voici le texte de cet article :

« Art. 111. Lorsque, dans la dernière année d'une législature, l'Assemblée nationale aura émis le vœu que la Constitution soit modifiée en tout ou en partie, il sera procédé à cette révision de la manière suivante :

» Le vœu exprimé par l'Assemblée ne sera converti en résolution définitive qu'après trois délibérations consécutives, prises chacune à un mois d'intervalle et aux trois quarts des suffrages exprimés. Le nombre des votants devra être de cinq cents au moins.

» L'Assemblée de révision ne sera nommée que pour trois mois.

>> Elle ne devra s'occuper que de la révision pour laquelle elle aura été convoquée.

>>

Néanmoins elle pourra, en cas d'urgence, pourvoir aux nécessités législatives. >>

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