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C'est ce que décide l'art. 366, lorsqu'après avoir expliqué comment la présomption légale existe, il ajoute ces mots, sans préjudice des autres preuves.

Enfin, l'art. 367 réserve la preuve de la connaissance positive de l'événement, alors même que la présomption légale a été exclue par la stipulation que l'assurance est faite sur bontes ou mauvaises nouvelles.

Mais le nouveau Code de commerce ne détermine pas plus que l'Ordonnance de quelle manière serait administrée la preuve de la connaissance positive de l'événement. En effet, comme l'observe Emérigon, il est impossible d'établir aucune règle sur un point qui dépend du concours de mille circonstances, et les exemples qu'il rapporte en sont les plus fortes démonstrations. Cette preuve est laissée à l'arbitrage des tribunaux, qui doivent balancer et apprécier les faits, les indices, les présomptions qui sont allégués devant eux, pour prouver que tel des contractans avait la connaissance du fait qu'il paraissait ignorer en passant le contrat d'assurance, et dont l'incertitude seule pouvait rendre la convention légitime. L'application de ces sortes de présomptions, et les cas où elles ont leurs effets, se trouvent déterminés par les dispositions de l'art. 1553 du Code civil.

L'ignorance des faits est présumée, s'il n'y a preuve contraire. C'est au demandeur à administrer cette preuve, qui peut être faite par témoins. On peut même entendre en témoignage les gens de l'équipage. (Voyez Pothier, assuranovs, no. 13).

Il n'est pas possible, sans doute, d'administrer positivement la preuve d'une connaissance personnelle; mais on n'est pas censé ignorer ce qui est connu de tout le monde. C'est vraiment alors le cas de dire, avec le Statut de Gênes, que la notice est constante per famam legitimè probatam. Cette considération serait seule suffisante pour nous faire adopter la décision d'Emérigon, sur l'assurance dont il parle, S7, au texte, et sur laquelle il fut consulté en 1781.

D'ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que s'il n'y a point de fraude, si l'une des parties. n'est pas plus instruite que l'autre, la moindre incertitude de l'événement heureux ou malheureux suffit pour valider l'assurance.

Mais à défaut de preuves, peut-on obliger la partie adverse à affirmer par serment que, lors de la signature de la police, l'événement lui était inconnu? (Voyez ci-après, la sect. 6, où nous examinerons cette question).

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SECTION IV.

Connaissance présumée par la loi.

CETTE matière est tellement susceptible de fraude, et la fraude est souvent si difficile à prouver, que les nations commerçantes se sont comme accordées à établir une présomption juris et de jure, de dol, contre l'assuré ou contre l'assureur, toutes les fois que, par le peu de distance des lieux, il est possible

que, lors de la signature de la police, ils aient été instruits du sinistre ou de l'heureuse arrivée du navire. Casaregis, disc. 6, no. 7; disc. 215, no. 6. Roccus, not. 51. Scaccia, S1, gl. 1, n°.160. Marquardus, lib. 2, cap. 13, no. 3o. Pothier,

n°. 21.

$1. Liene et demie

Le Réglement de Barcelonne (suite du Consulat, ch. 357) comptait une lieue pour heure. A Gênes, on compte deux milles pour heure: Duo millia pro pour heure. qualibet hora. Casaregis, disc. 6, no. 17.

Mais, suivant l'art. 39 de notre Ordonnance (conforme au Réglement d'Amsterdam, art. 21, et au Guidon de la mer, ch. 4), « l'assuré sera présumé avoir su la perte, et l'assureur l'arrivée, s'il se trouve que, de l'endroit › de la perte ou de l'arrivée du vaisseau, la nouvelle en ait pu être portée › dans le lieu où l'assurance a été passée, en comptant une lieue et demie pour » heure. »

La présomption dont il s'agit ici est réciproque. Tout comme, en pareil cas, les assurés ne peuvent demander la perto, les assureurs ne peuvent demander la prime, ou doivent la rendre s'ils l'ont reçue. Valin, tom. 2. Pothier, n°. 22. Cleirac, sur le Guidon de la mer, ch. 4, pag. 251.

De combien de milles la lieue est

Le Réglement de Barcelonne (édition de Venise, ch. 19) compte trois milles pour chaque lieue: Ciacuna lega per hora, cioè, per tutte tre miglia, una hora. elle composée ? Nos auteurs comptent également trois milles pour lieue: Tria milliaria in horam computando. Kuricke, diatr., pag. 832, no. 4.

Mais ce point n'ayant pas été décidé par l'Ordonnance, on pourrait peutêtre compter par lieues de poste, à raison de deux mille toises pour chaque lieue (vide l'Encyclopédie); car, dans le doute, on doit toujours admettre l'interprétation la plus douce: ce qui ferait trois mille toises pour chaque heure et demie, et reviendrait à ce qui se pratique à Barcelonne.

Le Réglement d'Amsterdam, art. 21, et le Guidon de la mer, oh., comptent la lieue et demie pour heure de l'endroit même où le sinistre est arrivé. Il suffit (est-il dit) que la personne assurée en ait pu avoir connaissance, soit par mer ou par terre, en comptant lieue et demie pour chaque heure.

Le Réglement de Barcelonne (loco citato) ne compte le tems que depuis le premier endroit de terre où la nouvelle est arrivée : Cioé in tale parte che nova si possa saper per terra, senza passare mare.

Le Statut de Gênes, rapporté par Casaregis, disc. 213, no. 7, renferme unc pareille décision: Si casus secutus esset in mari longinquo, adeò quòd notitia deferenda esset per mare, antequàm pervenire posset in terram firmam, calculetur

T. II,

22

De quel endroit compte-t-on la liene

et demie pour heure?

tempus ad rationem prædictam à loco, in quo primò venerit dicta notitia, seu

novum.

Telle est la doctrine des docteurs italiens. Casaregis, disc. 6, no. 12 et 22; disc. 215, no. 7 et 9. Scaccia, § 1, gl. 1, no. 165. Targa, cap. 52, no. 16, pag. 229. Roccus, not. 84.

Notre Ordonnance, art. 39, compte la lieue et demie de l'endroit de la perte; ce qui semble exclure la modification établie par le Réglement de Barcelonne et par le Statut de Gênes.

Cependant, je trouve dans mes recueils que notre jurisprudence a toujours été de compter la lieue et demie, depuis le premier port de terre ferme où la nouvelle a été apportée.

Arrêt du 24 mars 1694, rendu par le Parlement d'Aix, en la cause de François Marin, contre Jean Grave de Botteville, de Saint-Malo, par lequel les assureurs furent chargés de vérifier le jour précis que la nouvelle de la prise du vaisseau le Saint-François avait été certaine et assurée dans la ville de Saint-Malo.

Autre arrêt. Le 1°. mars 1691, le vaisseau le Triomphe de la Paix, capitaine Charles Audric, de la Ciotat, fut pris dans le canal de Malte, et conduit à Messine. Les assureurs se pourvurent en cassation de l'assurance, sur le fondement qu'on avait pu savoir à Marseille la prise, lors de la signature de la police, en comptant une lieue et demie pour heure.

On leur opposait que cette lieue et demie pour heure ne pouvait pas être comptée du canal de Malte, où le navire avait été pris, ni même de Messine, ville située dans une île, et d'où il faut passer un bras de mer pour aller en terre ferme.

Sentence du 4 septembre 1697, portant qu'avant dire droit, les assureurs vérifieraient que la nouvelle de la prise du vaisseau avait été sue à Reggio au commencement du mois de mars.

Les assureurs firent une réquisition au lieutenant, pour qu'en expliquant la sentence, il ordonnât qu'ils rapportassent la preuve du tems que la nouvelle de la prise avait été portée à Reggio, ou autre port d'Italie. Le lieutenant ne crut pas avoir l'autorité de faire droit à cette réquisition, ni de rien ajouter à sa sentence définitive.

Arrêt du 20 mars 1698, qui permit de faire cette preuve, tant à Reggio que dans les autres ports d'Italie, et qui décerna commission à tous juges et magistrats, tant du royaume que du hors, pour procéder à l'enquête ordonnée.

Autre décision. Sentence de l'amirauté de Marseille, rendue le 5 octobre

1704, qui admit les assureurs de la polacre du capitaine Turcon à vérifier que la nouvelle de la prise de cette polacre avait été sue à Constantinople, au commencement d'avril de la même année, d'où la nouvelle avait pu être portée à Marseille avant que Philippe Cannac se fît assurer.

Le Guidon de la mer, ch. 4, dit : « D'autant qu'il serait difficile de parti

De quel tems compte-t-on la lieue

» culariser à quelle heure du jour la perte est arrivée, et à quelle heure du et demie pour heure?

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jour l'assurance a été faite, on prend pour l'une et l'autre l'heure du midi. » Cela est bon lorsque l'époque précise est ignorée; mais si elle est connue, on compte de momento ad momentum. Pothier, no. 22. Cette époque peut se vérifier par témoins. Pothier, no. 23.

On compte les heures de la nuit comme celles du jour : In computatione duorum milliarium pro quâlibet horâ, comprehensæ censentur etiam horæ nocturnæ. Casaregis, disc. 6, n°. 24.

L'assurance doit-elle subsister, si, malgré la proximité du tems et du lieu, il a été impossible d'être instruit de l'événement?

Le Réglement de Barcelonne (en l'endroit cité) établit la présomption dont il s'agit pour ôter tout doute: Per removere ogni dubio dello tempo, infra quale potria essere saputo, della perdita, o caso seguito.

Le Réglement d'Amsterdam, art. 21, dit qu'on ne doit, pour ce regard, faire aucune enquête ni preuve.

Le Guidon de la mer, ch. 4, veut qu'on présume, par le laps du tems intervenu, que l'accident a pu se savoir.

Enfin, notre Ordonnance, art. 39, se borne à compter une lieue et demie, pour heure, pour décider que la nouvelle a pu être portée au lieu où l'assurance a été faite.

C'est donc ici une présomption juris et de jure, qui prive de toute preuve contraire celui contre qui elle est établie.

Les présomptions juris et de jure sont celles qui font tellement preuve, qu'elles excluent toute preuve qu'on voudrait faire du contraire. Alciat dit que la présomption juris et de jure est dispositio legis, aliquid præsumentis, et super præsumpto tanquàm sibi comperto statuentis. Elle est, dit Menoch, de præsumpt., lib. 1, quest. 3, appelée præsumptio juris, parce que à lege introducta est; et de jure, parce que super tali præsumptione lex inducit firmum jus, et habet eam pro veritate..

• Les présomptions juris et de jure ne peuvent être détruites, et la partie • contre laquelle elles militent n'est pas admise à prouver le contraire. » Pothier, des obligations, no. 840 et 841. Danty, ch. 7, nos. 35 et 52, pag. 175.

Heures de la nuit.

$ 2.

C'est ici une présomption juris et de jure.

Casaregis, disc. 8, no. 12, dit que si, dans l'objet d'écarter toute occasion de fraude, la loi ou le statut annule quelque acte, la décision doit s'étendre aux cas même où il est évident qu'il n'y a aucun dol: Ubi aliqua lex, vel statuțum, annulans aliquem actum, editum fuit ad removendas omnes fraudis occasiones, comprehendit etiam casum, in quo constaret nullam fraudem fuisse commissam; quia lex, aut statutum, providens in genere ad obviandas fraudes, non est restrigendum ad eos casus tantùm, in quibus fraus commissa est; sed ad omnes alios extenditur, in quibus, licèt nulla fraus commissa fuerit, committi poterat.

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Cette règle est adoptée au sujet de la lieue et demie pour heure. Dans mes recueils, je trouve la note d'un arrêt rendu par le Parlement d'Aix, en mai 1668, qui « déchargea les assureurs de payer la perte, quoique l'assuré sou> tînt qu'il était impossible, par la difficulté des lieux, qu'on eût pu faire une » lieue et demie par heure, sur-tout n'y ayant ni poste, ni courriers établis. » Autre arrêt. Le 30 janvier 1700, la barque du capitaine Antoine Dallet fit naufrage sur les côtes de Navarin, en Morée. Le 9 mars suivant, Michel Dallet fit assurer 4,000 liv. sur le corps et les facultés de cette barque. Les assureurs ayant eu nouvelle du sinistre, présentèrent requête en cassation de l'assurance, sur le fondement de la lieue et demie pour heure. Sentence du 12 janvier 1701, qui déchargea les assureurs, en rendant la prime, suivant leur offre, déduction faite du droit de signature.

En cause d'appel, l'assuré offrit un expédient qui portait que, d'une part, • les assureurs vérifieraient que la nouvelle de la perte arrivée le 30 janvier › 1700, avait été sue à Marseille le 9 mars suivant, ou bien qu'elle avait pu › y être portée par terre, en comptant une lieue et demie pour heure; et de l'autre, que ledit Dallet vérifierait, si bon lui semble, que les chemins de » Navarin à Venise étaient impraticables, et qu'il n'y avait ni poste, ni voiture » pour faire le trajet. »

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Arrêt du 10 mars 1702, au rapport de M. de Faucon, qui, sans avoir égard à cet expédient, confirma la sentence, attendu que la présomption dont il s'agit exclut toute preuve contraire. Il suffisait qu'en comptant une lieue et demie pour heure, la nouvelle du sinistre arrivé à Navarin, le 30 janvier, eût pu portée à Marseille avant la signature de la police, pour que les assureurs dussent avoir gain de cause. Ils l'obtinrent par l'arrêt du Parlement d'Aix. L'état des chemins, le défaut de poste, et autres circonstances du fait, étaient trèsindifférens vis-à-vis de la présomption de la loi.

Autre arrêt du 26 juin 1714, au rapport de M. de l'Enfant, en faveur de Paul Guilhermy et autres assureurs, contre Casse, de Nantes. Les assureurs

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