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n'ayant rien prescrit sur le mode de cette communication (1).

C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation, section criminelle, sur le pourvoi du sieur Maigne, le 12 juillet 1810; et le 21 août 1818, elle a implicitement consacré le même principe.

28. L'allégation d'un fait matériellement faux, mis en avant par l'avocat de l'une des parties à l'audience, appuyée de l'assertion, également fausse, qu'on tient en main un acte justificatif de ce fait, peut être considéré comme un dol personnel à la partie, et fournir ainsi un moyen de requête civile contre le jugement ou l'arrêt basé sur ce fait, réputé constant (2).

Un défenseur zélé doit tout sacrifier à l'intérêt de son client, excepté sa conscience et la vérité. Atténuer par son raisonnement les faits qui peuvent être à sa charge, garder le silence sur ceux qu'aucune preuve, aucune présomption ne peut affaiblir, c'est là tout ce qui lui est permis. La justice ne peut exiger de lui toute la vérité, comme d'un témoin inaccessible à l'intérêt ou à la crainte ; mais du moins, elle ne doit pas trouver le mensonge dans sa bouche; si elle excuse ses réticences, c'est parce que les lumières qu'elle recueille dans sa cause peuvent éclairer sa religion; mais une assertion mensongère, mise en avant, avec cette assurance qui n'appartient qu'à la vérité, lui tend un piége, d'autant plus funeste, qu'elle ne pouvait le prévoir.

Ecoutons le magistrat orateur qui a laissé à la magistrature et au barreau, sa vie pour exemple, et ses écrits pour modèle: «Ne vous flattez jamais (s'écrie d'Aguesseau,

(1) Voy. décision conforme, J. A., t. 24, p. 308. (2) Voy. M. CARR., t. 2, p. 270, no 1542

dans son disccurs sur l'indépendance de l'avocat), du malheureux honneur d'avoir obscurci la vérité; et plus sensible aux intérêts de la justice qu'au désir d'une vaine réputation, cherchez plutôt à faire paraître la bonté de votre cause, que la grandeur de votre esprit. »

Dans son recueil des maximes des ordonnances, ce magistrat observe que le premier devoir de l'avocat, par rapport aux juges, est l'exactitude dans les faits, et que plusieurs ordonnances lui imposent cette obligation sous peine d'amende.

Mais peut-on rendre la partie responsable des torts de son défenseur? Le Code de procédure (art. 480), ouvre la voie de la requête civile contre les arrêts et jugements en dernier ressort, s'il y a eu dol personnel.

Ainsi, pour qu'il y ait lieu à l'application de cet article, il faut le concours de ces deux circonstances: 1° que la fausse allégation par laquelle la justice a été induite en erreur, caractérise un dol; 2o que ce dol puisse être réputé personnel à la partie.

La loi re, § 2, au digeste de dolo malo, définit le dol, omnis calliditas, fallacia, machinatio ad circumveniendum, fallendum, decipiendum alterum adhibita.

Le dol est une cause de nullité de la convention, dit l'art. 1116, C. C., lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Ainsi, d'après la loi romaine, le mensonge employé pour tromper quelqu'un; ainsi, d'après le Code civil, les manœuvres pratiquées par l'une des parties, pour engager l'autre à contracter, sont essentiellement constitutives du dol.

Ces manoeuvres prennent un caractère bien plus grave, lorsqu'elles ont pour objet de tromper les tribunaux, et deviennent ainsi la base d'une décision injuste.

Ne craignons donc pas de le dire, l'assertion mensongère du défenseur de l'une des parties a tous les caractères du dol; elle est de nature à vicier le jugement qui l'a accueillie comme la vérité; elle a, en quelque sorte, forcé les juges à rendre une sentence contraire à l'équité, de même qu'elle aurait forcé la partie à souscrire un engagement contraire à ses intérêts.

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Mais s'il y a dol dans l'espèce de la question posée peut-on le considérer comme étant personnel à la partie ? l'affirmative ne peut présenter le moindre doute. En effet, soit que l'on considère l'allégation mensongère du défenseur, comme un quasi-délit ou comme la suite du mandat qui lui a été donné par son client, celui-ci est également responsable, aux termes des articles 1384 et 1998, C. C. La voie du désaveu lui était d'ailleurs ouverte ; et, en négligeant de la prendre, il a tacitement ratifié tout ce qui a été fait et dit en son nom.

Ces considérations paraissent suffisantes pour motiver la solution affirmative de la question posée. On peut y ajouter cette décision remarquable d'une loi romaine : Si per dolum sciens, falso aliquid allegavit, et hoc (modo) consecutum (eum) sententiâ prætoris liquido fuerit approbatum; existimo debere judicem querelam rei admittere. L. 75, ff. de judic. (COFF.)

M. et Mme de Saint-Genois étaient débiteurs de rentes considérables, par eux constituées au profit de plusieurs capitalistes d'Anvers.

En l'an xi, ils souscrivirent avec les propriétaires de ces rentes, une transaction par laquelle ils s'obligèrent à vendre une partie de leurs biens pour se libérer, sous la condition expresse que la vente serait poursuivie par les créanciers eux-mêmes, s'ils négligeaient d'y faire procéder à l'époque déterminée.

Il est important de remarquer que les biens désignés,

se trouvaient grevés d'inscriptions hypothécaires prises à la requête des propriétaires des rentes, et qu'aux termes de la transaction, il ne devait être procédé à la vente qu'après la main-levée de ces inscriptions.

M. de Saint-Genois se mit en mesure de remplir l'obligation qu'il s'était imposée; mais il paraît que la vente souffrit quelque retard, faute par les créanciers d'avoir fourni une procuration régulière, pour opérer la radiation de leurs inscriptions.

Cependant ils crurent être en droit de se plaindre de ce que la transaction n'avait pas été exécutée, et se pourvurent devant la Cour d'appel de Bruxelles, pour se faire autoriser à poursuivre eux-mêmes la vente.

Devant la Cour d'appel, M. de Saint-Genois répéta, par le ministère de son défenseur, que le retard ne pouvait être imputé qu'à ses adversaires, qui ne s'étaient pas mis en mesure de faire radier leurs inscriptions; il requit, en conséquence, un sursis et une prorogation de délai pour poursuivre lui-même la vente.

Le défenseur des créanciers s'opposa fortement au sursis demandé, et il soutint, devant la Cour, « que jamais le conservateur des hypothèques n'avait fait des difficultés relativement à la radiation des inscriptions, et que l'assertion de M. de Saint-Genois était démentie par le certificat du conservateur, qu'il remettait sur le bureau. »

L'avocat de l'intimé n'étant pas assisté de sa partie, crut ne pouvoir contester un fait dont son contradicteur rapportait, disait-il, les pièces justificatives.

Et la Cour elle-même, croyant ne pouvoir révoquer en doute la vérité de ce fait, accueillit les conclusions des créanciers, par arrêt du 13 fructidor an XII : Attendu que M. de Saint-Genois n'avait fait aucune diligence judiciaire pour constituer ses adversaires en demeure, sur l'en

voi des procurations, ni justifié de l'obstacle que le retard de cet envoi avait pu mettre à la continuation des ventes. »

Ce ne fut que long-temps après cet arrêt, que M. de Saint-Genois découvrit que le prétendu certificat du conservateur était absolument étranger au fait allégué par le défenseur de ses adversaires, à l'audience du 13 fructidor an XII; en conséquence, après avoir fait ordonner le dépôt de cette pièce au greffe, il prit la voie de la requête civile, contre l'arrêt surpris à la religion de la Cour.

M. Mercx, substitut du procureur-général, a développé avec force le seul moyen de requête civile, que le demandeur faisait résulter du dol pratiqué par ses adversaires, pour induire la Cour en erreur.

« Si un jugement (a dit ce magistrat ), consiste dans la déclaration de ce qui est juste et vrai, l'arrêt du 13 fructidor an xu ne peut subsister, puisque ses éléments sont essentiellement l'erreur, le mensonge, la ruse, conséquemment le dol.

» Le dol est devenu personnel à la partie, dès qu'elle s'est approprié, comme elle l'a fait, l'arrêt qui en est résulté, et qu'elle en a retiré tous les avantages; sans cela, il faudra supprimer le dol comme moyen de requête civile ; car jamais plaideur ne viendra l'employer en personne, à la barre de la Cour. »

Le 23 juillet 1810, la Cour d'appel de Bruxelles prononça en ces termes: « LA COUR, considérant que la dénégation articulée de la part des défendeurs à l'audience du 13 fructidor an XII, que jamais le conservateur des hypothèques n'avait fait quelques difficultés à cet égard, c'està-dire, radier les inscriptions prises sur les biens vendus était contraire à la vérité; que cette vérité était portée à la connaissance des défendeurs, puisqu'ils en avoient reçu la nouvelle de la maison Piat-Lefebvre et fils, leur correspondant à Tournai, du 13 nivose an XII; que le conserva

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