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ceux qui se croyaient élevés bien au-dessus d'elle en théorie; ce système qui déifie le talent, la force et le succès, et qui ne s'enquiert point des principes et des intentions, devait trouver de nombreux sectateurs parmi ces Allemands lâches et corrompus qui, altérés d'honneurs et de richesses, se pressaient à l'envi autour de l'oppresseur de leur patrie. Ce funeste engourdissement moral s'étendait également sur l'État et sur l'Église. Mais en décembre 1809, peu après que le Roi fut de retour de son exil de trois années, Berlin devint le rendezvous de tous les hommes qui avaient véritablement à cœur le bonheur de leur pays. Ils ne s'occupaient guère alors de religion ni de christianisme; mais, dans ses merveilleuses dispensations, Dieu fit surgir de leurs efforts quelque chose de plus élevé et de meilleur que ce qu'ils avaient d'abord en vue; plusieurs d'entre eux, sans trop savoir ce qu'ils faisaient, eurent recours à la Parole de Dieu, et dans cet affaiblissement général, vinrent chercher la force à sa source auprès du ToutPuissant la plupart ne voyaient alors dans la religion qu'un levier propre à mettre en mouvement ceux qui n'étaient pas excités assez vivement par l'amour de la patrie. Cette flamme se propagea rapidement dans les rangs de la jeunesse, et agir sur elle, était le premier désir des amis de la patrie. En sortant des rêves de l'enfance, l'homme soupire avec ardeur après un bien suprême et infini, qui réponde à tous ses besoins.

Les âmes élevées qui poursuivent un idéal de la perfection humaine, ne sentent pas, d'abord, combien les objets auprès desquels elles cherchent la lumière, la chaleur et la félicité pour leur esprit et pour leur cœur, sont imparfaits et insuffisans, jusqu'à ce qu'enfin elles adoptent pour elles-mêmes cette grande vérité que saint Augustin a exprimée d'une manière si admirable : « Tu nous a créés pour toi, et notre cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il trouve le repos en toi. (1) » Mais l'homme déchu, qui cherche ardemment la vérité et le bonheur, les de

(1)Tu fecistinos ad te, et inquietam est cor nostrum, donec requiescal in te. (Confessions, 1, 1.)

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mande toujours aux objets terrestres avant de s'élever jusqu'aux pensées célestes, et il en fut encore ainsi cette fois; l'imagination exaltée des patriotes prussiens leur présentait l'idée du mal et du malheur comme personnifiée, en quelque sorte, en Napoléon. Dès qu'il fut renversé, ils se figurèrent que l'idéal de toute perfection allait être réalisé en Allemagne, que toute division entre les Allemands allait, cesser, et que, tous animés d'un même esprit, ils s'uniraient pour former une grande république, où la volonté du peuple serait la loi suprême. Ces enthousiastes appliquaient à l'époque du triom phe de l'Allemagne tout ce que les prophètes ont prédit de la cessation de toute envie et de toute haine entre Ephraïm et Juda, lors de l'avénement du Messie. On peut juger du degré d'effervescence de quelques-uns des plus extravagans d'entre eux, par ce mot d'un homme qui jouissait d'un grand crédit dans leurs rangs. Frédéric-Louis Jahn écrivait alors: « Il n'est plus nécessaire aujourd'hui, de dire: TON règne vienne! mais, NOTRE règne vienne! » Telle était l'ardeur qui animait nos soldats quand ils se mirent en campagne en 1813. Lorsqu'ils virent, à leur retour, en 1815 et en 1816, que leur idéal ne s'était pas réalisé, il y eut de nouveau une grande agitation parmi eux. Le traité d'union des princes allemands ne répondait pas à l'image qu'ils s'étaient faite de l'Allemagne sauvée et régénérée. On fit lentement, dans quelques états, quelques pas qui tendaient à faciliter l'établissement de constitutions politiques qui paraissaient trop misérables, et trop mesquines pour pouvoir rappeler les anciens jours de gloire de l'Allemagne. Tandis que l'attente trompée inspirait à quelques-uns les paroles insensées et les mouvemens convulsifs d'un fanatisme politique couvert d'un vernis religieux, tandis que des élèves des gymnases et des étudians des universités s'écrivaient des lettres, où ils s'excitaient mutuellement, au nom de Christ, à pendre les trente-huit princes allemands aux trente-huit lanternes qui sont devant une des portes de Berlin, et que Kotzebue tombait sous le poignard d'un de ces jeunes gens aussi aveugles que criminels, un grand nombre de ceux qui s'étaient laissé entraîner pendant quelque temps par le torrent d'un

enthousiasme qui n'avait rien que de terrestre, commencèrent à éprouver des besoins plus sérieux et plus profonds.

Alors prêchait, dans une petite église, un vieux pasteur qui avait été entièrement inconnu, pendant bien des années, à la plus grande partie du public éclairé de Berlin: il se nommait F.-G. Hermes, et son titre de prédicateur de l'hôpital des pestiférés de Sainte-Gertrude, qui remontait au moyen-âge, n'enfermait guère dans le cercle de son influence que quelques pauvres vieilles femmes recueillies dans cet hôpital. Il n'avait rien écrit; ses sermons étaient extrêmement simples, et le plus souvent il ne suivait pas un plan arrêté ; bien qu'il annonçât les principales doctrines de l'Évangile en homme pénétré de leur importance, il évitait cependant, et presque avec trop de soin, tout ce qui aurait pu paraître singulier; l'on ne trouvait même que rarement dans ses sermons plusieurs de ces choses qui doivent nécessairement choquer l'homme naturel dans la simple exposition de la doctrine évangélique. Il ne possédait pas le don d'émouvoir vivement les cœurs, et de faire pénétrer la lumière du Saint-Esprit jusque dans les retraites les plus obscures du péché; mais Dieu le lui avait peut-être refusé, afin qu'il pût faire goûter le lait de la Parole à beaucoup de personnes qui n'auraient pu supporter une nourriture plus forte. Il est à remarquer toutefois qu'il ne prononçait jamais de sermon où l'on ne trouvât exprimée d'une manière claire et distincte cette vérité fondamentale, que l'homme est justifié devant Dieu sans les œuvres de la loi, par la foi en Jésus crucifié. Quelques-uns de ceux qui avaient partagé l'enthousiasme politique de 1813, eurent connaissance des prédications de ce vieillard; ils furent attipar sa simplicité apostolique et par son extérieur vénérable; et la réputation de ce prédicateur ignoré jusqu'alors se répandit bientôt dans toute la ville. Un grand nombre d'officiers revenus de la dernière guerre, et plusieurs savans du premier ordre, suivirent assidûment ses sermons; on vit parmi ses auditeurs les princes de la famille royale, et le Roi lui-même se rendit une fois dans cette petite église, où le prédicateur pouvait presque, de la chaire, donner la main aux auditeurs qui 1829.

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étaient en face de lui. Le célèbre Schleiermacher avoua luimême que cet homme prêchait comme un apôtre; il l'entendit souvent. Les sermons d'Hermes furent encore plus habituellement suivis par le docteur Néander, qui était depuis 1813 un des professeurs de notre Université, et dont j'examinerai l'influence dans ma prochaine lettre. Ce ne fut pas un mince sujet d'étonnement pour un grand nombre de personnes de la haute société, que de voir tout d'un coup tant de gens distingués se rendre en foule dans un lieu pareil; on entendait dire de tous côtés : « Quelle étrange folie à donc saisi les «patriotes enthousiastes! les voilà tous devenus piétistes ; » vieux mot qu'on ressuscita à cette occasion. Mais la surprise fut encore plus grande, lorsqu'à l'époque du Jubilé de la réformation, la faculté de théologie de l'Université de Berlin éleva le modeste pasteur de l'hôpital de Sainte-Gertrude au degré de docteur en théologie avec ce considérant remarquable: « Ob evangelicum candorem et doctrinæ tam simplicitatem quam puritatem.» (A cause de sa candeur évangélique, de la simplicité et de la pureté de sa doctrine. )Les yeux de beaucoup de gens commencèrent à s'ouvrir ; leurs idées politiques ne devinrent pas seulement plus raisonnables et plus modérées, mais ils apprirent encore que nous n'avons pas ici-bas de cité permanente, et que nous devons chercher celle qui est à venir. Je pourrais vous nommer plus de vingt personnes, dans le nombre de mes connaissances, qui furent réveillées à cette époque du sommeil du péché, et qui furent amenées à une conversion sincère de la manière que je viens de retracer. Il n'y a eu cependant que peu de gens qui soient arrivés à une prompte conversion par les discours calmes et simples d'Hermes; pour le plus grand nombre, il s'écoula beaucoup de temps avant que les vérités bibliques qu'ils écoutaient avec plaisir, et qui avaient un certain charme pour eux, en vinssent à produire une impression durable sur leur cœur, et à exercer sur eux une influence morale. Un an après qu'il eut été nommé docteur, Hermes mourut; la faculté de théologie, beaucoup d'hommes considérables et distingués de la ville, plusieurs membres du gouvernement et presque tous

les ecclésiastiques accompagnèrent le convoi d'un homme dont la plupart d'entre eux ignoraient jusqu'au nom six ans auparavant, bien qu'il eût soixante-dix-huit ans accomplis. Schleiermacher prononça, avec une profonde émotion, une oraison funèbre, qui semblait porter elle-même l'empreinte particulière des discours d'Hermes.

Je m'arrête ici pour cette fois, mais je reprendrai bientôt la plume, et après vous avoir parlé des ecclésiastiques qui ont exercé le plus d'influence dans notre capitale, je vous présenterai une courte histoire de la vie chrétienne de notre Université, et vous raconterai la manière dont cette vie s'est répandue dans les différentes provinces de notre patrie ; j'entrerai aussi dans quelques détails sur l'état religieux des Universités protestantes et sur celui du nord de l'Allemagne. Recevez, en attendant, etc.

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Le service annuel pour les établissemens d'instruction fondés au sein de l'Eglise réformée de Paris, a été célébré dans le Temple de l'Oratoire, le dimanche 15 mars. Il y assistait encore plus de fidèles que les années précédentes. Les psaumes ont été chantés à plusieurs parties, par les enfans des écoles, avec un ensemble qui prouve de grands progrès. Le sermon a été prononcé par M. le pasteur Monod père, qui avait pris pour texte ce passage de l'Evangile selon saint Luc, I. 66: Que sera-ce de ce petit enfant? Il s'est attaché à faire sentir l'importance de l'éducation religieuse, et a exhorté les parens à profiter des avantages que leur offrent sous ce rapport les diverses écoles, et particulièrement l'école du dimanche. Il a semblé à plusieurs personnes qu'une collecte en faveur des établissemens qu'on venait de recommander avec tant de chaleur aux membres de l'Église, aurait dignement couronné cette touchante solennité. Nous chercherons à suppléer à cette omission, qui peut se réparer l'année prochaine, en signalant d'une manière particulière à l'intérêt du public protestant celle de ces institutions

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