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» Et voulant lui donner une preuve de notre satisfaction impériale, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

Le mois de vendémiaire de l'an 14 sera compté comme une campagne à tous les individus composant la grande armée. » Ce mois sera porté comme tel sur les états pour l'évaluation des pensions et pour les services militaires.»

Bataille d'Austerlitz. - Circonstances diverses.
Paix de Presbourg.

Le mois de brumaire fut une seconde campagne. Le 22 l'armée française occupait Vienne. Napoléon, après avoir visité cette capitale, s'établit pendant quelques jours à Schonbrunn, palais bâti par Marie-Thérèse, et résidence ordinaire de la cour des empereurs d'Allemagne. Une administration française fut immédiatement organisée dans la Haute et la Basse - Autriche. La grande armée se répandait, toujours victorieuse, dans la Bohême et dans la Hongrie ; elle occupait le Tyrol.

<< A tous ces trophées de gloire est venue se joindre une scène qui >> a touché l'âme de tous les soldats. Pendant la dernière guerre le >> soixante seizième régiment de ligne avait perdu deux drapeaux » dans les Grisons; cette perte était depuis longtemps pour ce corps » le motif d'une affliction profonde. Ces braves savaient que l'Eu>> rope n'avait point oublié leur malheur, quoiqu'on ne pût en ac»cuser leur courage. Ces drapeaux, sujet d'un si noble regret, se » sont retrouvés dans l'arsenal d'Inspruck : un officier les a, reconnus; » tous les soldats sont accourus aussitôt. Lorsque le maréchal Ney » les leur a fait rendre avec pompe, des larmes coulèrent des yeux » de tous les vieux soldats. Les jeunes conscrits étaient fiers d'avoir » servi à reprendre ces enseignes, enlevées à leurs aînés par les vi» cissitudes de la guerre. L'empereur a ordonné que cette scène >> touchante soit consacrée par un tableau. Le soldat français a pour >> ses drapeaux un sentiment qui tient de la tendresse ; ils sont l'objet » de son culte comme un présent reçu des mains d'une maitresse. » (Vingt-cinquième bulletin de la grande armée.)

Cependant Napoléon s'était mis à la poursuite des Russes. Il allait les atteindre et les frapper dans Brunn, capitale de la Moravie, lorsqu'il apprend que l'empereur d'Autriche, dont la fuite est précipitée comme la marche des Français, vient d'arriver en cette ville. Napopoléon veut donner « une preuve d'égard à ce prince; il s'arrête un jour. » Le lendemain Brunn est à la grande armée. L'empereur d'Autriche se retire à Olmutz, et de là vers la Pologne. Ce monarque, sans états et presque sans troupes, demande un armistice: de part et d'autre on nomme des plénipotentiaires. Mais ces négociations n'a

vaient pour but que de surprendre la vigilance de l'empereur des Français; l'armée russe et les débris de toutes les armées autrichiennes, sous le commandement en personne des empereurs Alexandre et François, se préparaient à une vive attaque. Napoléon s'en aperçoit, et il se prépare à vaincre. Ce n'est qu'après l'événement qu'il témoignera quelque mécontentement de ce qu'on lui eût en» voyé des plénipotentiaires la veille de la bataille, et qu'on eût >> ainsi prostitué le caractère diplomatique. Mais cela était digne de M. de Cobentzel ( chancelier d'état d'Autriche). » (Trente-deuxième bulletin.)

«

PROCLAMATION.

Au bivouac, le 10 frimaire an 14.

« Soldats, l'armée russe se présente devant vous pour venger l'armée autrichienne d'Ulm. Ce sont ces mêmes bataillons que vous avez battus à Hollabrunn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu'ici.

» Les positions que nous occupons sont formidables; et pendant qu'ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc.

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Soldats, je dirigerai moi-même tous vos bataillons. Je me tiendrai loin du feu si, avec votre bravoure accoutumée, vous portez le désordre et la confusion dans les rangs ennemis ; mais, si la victoire était un moment incertaine, vous verriez votre empereur s'exposer aux premiers coups; car la victoire ne saurait hésiter dans cette journée surtout, où il y va de l'honneur de l'infanterie française, qui importe tant à l'honneur de toute la nation.

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Que sous prétexte d'emmener les blessés on ne dégarnisse pas les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette pensée qu'il faut vaincre ces stipendiés de l'Angleterre, qui sont animés d'une si grande haine contre notre nation.

» Cette victoire finira notre campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d'hiver, où nous serons joints par les nouvelles armées qui se forment en France; et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi. Signé NAPOLÉON. »

TRENTIÈME BULLETIN de la grande armée.

AUSTERLITZ, le 12 frimaire an 14. (3 décembre 1805.)

"Le 6 frimaire l'empereur, en recevant la communication des pleins pouvoirs de MM. de Stadion et de Giulay, offrit préalablement un armistice, afin d'épargner le sang, si l'on avait effectivement envie de s'arranger et d'en venir à un accommodement définitif.

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» Mais il fut facile à l'empereur de s'apercevoir qu'on avait d'autres projets; et comme l'espoir du succès ne pouvait venir à l'ennemi que du côté de l'armée russe, il conjectura aisé— ment que les deuxième et troisième armées étaient arrivées, on sur le point d'arriver à Olmutz, et que les négociations n'étaient plus qu'une ruse de guerre pour endormir sa vigilance.

» Le 7, à neuf heures du matin, une nuée de Cosaques, soutenue par la cavalerie russe, fit plier les avant-postes du prince Murat, cerna Vischau, et y prit cinquante hommes à pied du sixième régiment de dragons. Dans la journée, l'empereur de Russie se rendit à Vischau, et toute l'armée russe prit position derrière cette ville.

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L'empereur avait envoyé son aide de camp, le général Savary, pour complimenter l'empereur de Russie dès qu'il avait su ce prince arrivé à l'armée. Le général Savary revint an moment où l'empereur faisait la reconnaissance des feux de bivouac ennemis placés à Vischau. Il se loua beaucoup du bon accueil, des grâces et des bons sentimens personnels de l'empereur de Russie, et même du grand-duc Constantin, qui eut pour lui toute espèce de soins et d'attentions; mais il lui fut facile de comprendre, par la suite des conversations qu'il eut pendant trois jours avec une trentaine de freluquets, qui, sous différens titres, environnent l'empereur de Russie, que la présomption, l'imprudence et l'inconsidération régneraient dans les décisions du cabinet militaire, comme elles avaient régné dans celles du cabinet politique.

» Une armée ainsi conduite ne pouvait tarder à faire des fautes. Le plan de l'empereur fut des ce moment de les attendre, et d'épier l'instant d'en profiter. Il donna sur le champ l'ordre de retraite à son armée, se retira de nuit comme s'il eût essuyé une défaite, prit une bonne position à trois lieues en arrière, fit travailler avec beaucoup d'ostentation à la fortifier et à y établir des batteries.

» Il fit proposer une entrevue à l'empereur de Russie, qui lui envoya son aide de camp, le prince Dolgorouki. Cet aide de camp put remarquer que tout respirait dans la contenance de l'armée française la réserve et la timidité. Le placement des grandes gardes, les fortifications que l'on faisait en toute hâte, tout laissait voir à l'officier russe une armée à demi battue.

» Contre l'usage de l'empereur, qui ne reçoit jamais avec tant de circonspection les parlementaires à son quartier-général, il se rendit lui-même à ses avant-postes. Après les premiers complimens, l'officier russe voulut entamer des questions politiques. Il tranchait sur tout avec une impertinence difficile

à imaginer; il était dans l'ignorance la plus absolue des intérêts de l'Europe et de la situation du continent; c'était en un mot une jeune trompette de l'Angleterre. Il parlait à l'empereur comme il parle aux officiers russes, que depuis longtemps il indigne par sa hauteur et ses mauvais procédés. L'empereur contint toute son indignation, et ce jeune homme, qui a pris une véritable influence sur l'empereur Alexandre, retourna plein de l'idée que l'armée française était à la veille de sa perte. On se convaincra de tout ce qu'a dû souffrir l'empereur quand on saura que, sur la fin de la conversation, il lui proposa de céder la Belgique, et de mettre la couronne de fer sur la tête des plus implacables ennemis de la France (des rois de Sardaigne). Toutes ces différentes démarches remplirent leur effet. Les jeunes têtes qui dirigent les affaires russes se livrèrent sans mesure à leur présomption naturelle: il n'était plus question de battre l'armée française, mais de la tourner et de la prendre; elle n'avait tant fait que par la làcheté des Autrichiens. On assure que plusieurs vieux généraux autrichiens, qui avaient fait des campagnes contre l'empereur, prévinrent le conseil que ce n'était pas avec cette confiance qu'il fallait marcher contre une armée qui comptait tant de vieux soldats et d'officiers du premier mérite; ils disaient qu'ils avaient vu l'empereur, réduit à une poignée de monde dans les circonstances les plus difficiles, ressaisir la victoire par des opérations rapides et imprévues, et détruire les armées les plus nombreuses; que cependant ici on n'avait obtenu aucun avau→ tage, qu'au contraire toutes les affaires d'arrière-garde de la première armée russe avaient été en faveur de l'armée française. Mais à cela cette jeunesse présomptueuse opposait la bravoure de quatre-vingt mille Russes, l'enthousiasme que leur inspirait la présence de leur empereur, le corps d'élite de la garde impériale de Russie; et, ce qu'ils n'osaient probablement pas dire, leur talent, dont ils étaient étonnés que les Autrichiens voulussent méconnaître la puissance.

» Le 10 l'empereur, du haut de son bivouac, aperçut avec une indicible joie l'armée russe commençant, à deux portées de canon de ses avant-postes, un mouvement de flanc pour tour ner sa droite. Il vit alors jusqu'à quel point la présomption et l'ignorance de l'art de la guerre avaient égaré les conseils de cette brave armée. Il dit plusieurs fois : Avant demain au soir cette armée est à moi. Cependant le sentiment de l'ennemi était bien différent; il se présentait devant nos grandes gardes à portée de pistolet; il défilait par une marche de flanc sur une ligne de quatre lieues, en prolongeant l'armée française, qui paraissait ne pas oser sortir de sa position: il n'avait qu'une crainte,

XIX.

I 2

c'était que 1. rnée française ne lui échappåt. On fit tout pour confirmer l'enne.ni dans cette idée. Le prince Murat fit avancer un petit corps de cavalerie dans la plaine; inais tout d'un coup il parut étonné des forces immenses de l'ennemi, et rentra à -la hâte. Ainsi tout tendait à confirmer le général russe dans l'opération mal calculée qu'il avait arrêtée. L'empereur fit mettre à l'ordre la proclamation ci-jointe (1). Le soir il voulut visiter à pied et incognito tous les bivouacs; mais à peine eutil fait quelques pas qu'il fut reconnu. Il serait impossible de peindre l'enthousiasme des soldats en le voyant. Des fanaux de paille furent mis en un instant au haut de milliers de perches, et quatre-vingt mille hommes se présentèrent au devant de l'empereur en le saluant par des acclamations; les uns pour fêter l'anniversaire de son couronnement, les autres disant que l'armée donnerait le lendemain son bouquet à l'empereur. Un des plus vieux grenadiers s'approcha de lui, et lui dit : Sire, tu n'auras pas besoin de l'exposer. Je te promets, au nom des grenadiers de l'armée, que tu n'auras à combattre que des yeux, et que nous t'amenerons demain les drapeaux et l'artillerie de l'armée russe pour célébrer l'anniversaire de

ton couronnement.

>>

L'empereur dit en entrant dans son bivouac, qui consistait en une mauvaise cabane de paille, sans toit, que lui avaient faite les grenadiers: Voilà la plus belle soirée de ma vie ; mais je regrette de penser que je perdrai bon nombre de ces braves gens. Je sens, au mal que cela me fait, qu'ils sont véritablement mes enfans; et en vérité je me reproche quelquefois ce sentiment, car je crains qu'il ne finisse par me rendre inhabile à faire la guerre. Si l'ennemi eût pu voir ce spectacle il eût été épouvanté; mais l'insensé continuait toujours son mouvement, et courait à grands pas à sa perte.

>>

L'empereur fit sur le champ toutes ses dispositions de bataille. Il fit partir le maréchal Davoust en toute hâte pour se rendre au couvent de Raygern; il devait, avec une de ses divisions et une division de dragons, y contenir l'aile gauche de l'ennemi, afin qu'au moment donné elle se trouvât tout enveloppée. Il donna le commandement de la gauche au maréchal Lannes, de la droite au maréchal Soult, du centre au maréchal Bernadotte, et de toute la cavalerie, qu'il réunit sur un seul point, au prince Murat. La gauche du maréchal Lannes était appuyée au Santon, position superbe que l'empereur avait fait fortifier, et où il avait fait placer dix-huit pièces de canon. Dès

(1) C'est la proclamation du 10,

rapportée ci-dessus.

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