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La culture du lin, sa fabrication, son emploi sont, pour diverses parties de la France, une source intarissable d'industrie et de richesse: cette vérité est applicable, et pourrait l'être encore davantage au département de l'Aisne. Cette plante couvre annuellement une assez grande étendue de terres de l'arrondissement de Saint-Quentin, où elle alterne d'une manière lucrative avec d'autres productions; elle est cultivée dans l'arrondissement de Laon avec d'autant plus d'avantage que le sol où elle offre la plus belle végétation est peu propre aux céréales, et ne peut, à quelques exceptions près, être ensemencé sans danger avant l'hiver, à cause des débordemens, ou des lourdes pluies de cette saison. Qui pourrait énumérer les familles que la manipulation du lin occupe et fait vivre surtout dans les cantons de Moy, de La Fère; celles plus nombreuses encore auxquelles le lin procure ensuite l'existence, ou le bien-être, dans toute la partie nord du département? Qui pourrait assigner un terme à l'aisance que cette précieuse branche d'industrie répandrait parmi nous, si, abandonnant une déplorable routine, des procédés vicieux et des préjugés trop généralement admis, la culture du lin, son aménagement étaient établis sur de meilleurs principes, sur les principes qui contribuent si puissamment à la richesse de nos voisins? Ennemi de toute exagération nuisible, surtout en agriculture, je ne prétendrai pas que nos lins pourraient jamais rivaliser avec ceux des départemens de l'Escaut et du Nord, lins qui, par leur blancheur, leur douceur, leur finesse, alimentent cette vaste et parfaite fabrication de toilettes, linons, batistes et dentelles, dont Cambrai et Valenciennes sont les chefs-lieux là un hectare, dont le fonds ne vaudrait que quatre à cinq mille francs, porte quelquefois une récolte estimée de six à sept. Il est des lieux privilégiés par.

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des circonstances que le génie de l'homme ne peut faire naître; et votre Société, Messieurs, a reconnu cette vérité en ne sollicitant que des améliorations; mais, parce qu'on ne peut point atteindre au plus haut degré de perfection, s'ensuit-il qu'on doive rejeter les moyens de mieux faire? Une moyenne proportionnelle entre le produit cité plus haut et ceux obtenus jusqu'ici dans ce département ne suffit-elle pas pour inspirer de généreux efforts? Il est de l'essence de ce siècle de marcher vers les améliorations : l'esprit humain est si généralement porté à s'y livrer maintenant, que l'homme qui s'arrête est bientôt en arrière, et ne tarde pas à s'apercevoir qu'il est autant au-dessous de ses affaires que de ses concurrens : concourons donc à seconder, par nos élans, les vues bienfaisantes de la Société académique de S'-Quentin.

Je crois devoir me livrer d'abord à des considérations qui ont un rapport direct avec la solution de la question proposée; en effet, comment la résoudre sans parler de nos voisins, sans parler de la richesse du sol de nos voisins, sans examiner le mode de culture qui leur procure des résultats si avantageux? Comment proposer des moyens d'amélioration sans faire connaître le mode vicieux suivi jusqu'ici parmi nous ? Enfin, comment parler d'une plante sans dessiner ses traits les plus caractéristiques? Toute autre manière de procéder paraîtrait sans doute sèche et insuffisante; mais, devant aussi éviter les longueurs qui détournent l'attention, sans produire de nouvelles lumières, j'aborde les détails, et les restreindrai le plus qu'il me sera possible.

Du Lin.

Le lin, linum®, de la famille des caryophyllées, qui renferme un assez grand nombre d'espèces, est une plante annuelle, à racine pivotante et divisée, originaire de la

Perse, d'après Olivier, et cultivée de temps immémorial dans la majeure partie de l'Europe pour la filasse que fournissent ses tiges, filasse avec laquelle on fait les plus belles toiles connues, et pour sa graine, qui donne une huile propre à un grand nombre d'usages. Dans le premier cas, l'objet principal est d'avoir, ou des tiges très-hautes, afin que la filasse soit très-longue, ou des tiges très-grêles, afin que cette filasse soit très-fine. Dans le second cas, le but doit être d'avoir le plus grand nombre de capsules possible.

Ces circonstances déterminent trois modes particuliers de cultiver le lin, et indiquent les variétés qu'il faut préférer je n'ai à fixer ici que la variété connue sous la dénomination de grand lin ou lin de froid, ainsi désigné, parce qu'il est des pays où on le sème avant l'hiver, ce qui n'est guère praticable dans ce département; il a les tiges trèsélevées, peu garnies de graines; sa végétation est d'abord lente et ensuite très-rapide; il mûrit le plus tard. C'est avec lui qu'on fabrique ces belles batistes, ces superbes dentelles qui enrichissent la Flandre on le tire, pour la semence, de divers pays éloignés, de l'Irlande, et surtout de Riga, d'où il vient dans des tonnes, ce qui lui fait donner le nom de grain de tonneau.

Ici se présente une question d'un grand intérêt, qui a été fortement controversée, et dont, selon moi, la solution est restée imparfaite cette question a pour objet de savoir s'il est toujours indispensable, pour obtenir les plus beaux produits, de tirer la semence d'aussi loin : la majorité des cultivateurs la décidèrent affirmativement; cependant Duhamel, Rozier, Bosc et Tessier, nos maîtres en agriculture, sont d'un avis opposé. Pénétré de mon insuffisance, je me borne à avouer que de toutes les graines que j'ai pu me procurer depuis vingt-cinq ans, aucune ne m'a produit

des résultats aussi généralement avantageux que celle de tonneau. Dans tous les cas, le choix de cette semence est un point très-important; il est constant, d'après l'expérience, que la graine de lin dégénère lorsqu'on la sème plusieurs fois de suite, non-seulement sur le même terroir, mais aussi dans le même climat.

Une terre légère, mais fertile, un peu fraîche, profonde, parfaitement traitée, est la seule propre au grand lin de première qualité. On ne peut trop multiplier les engrais végétaux et animaux dans l'année qui précède son ensemencement ; car leur excès est toujours avantageux à l'abondance des produits, et ne nuit jamais à la qualité. Je dis que ces conditions sont de rigueur pour atteindre à la perfection; mais vingt-cinq ans d'expérience m'ont convaincu qu'on peut, usant de bons procédés, obtenir de très-beau lin, même sur des terres qui, avant son introduction, étaient réputées de dernière qualité; sur des sables supportés par une couche de glaise où le blé se trouvait noyé l'hiver, où l'avoine séchait sur pied, brûlée par le soleil de l'été. La partie de mon domaine que je destine de préférence à la culture du chanvre et du lin était en friche il y a quarante ans; elle fut depuis louée à des fermiers qui n'ont pas voulu, il y a huit ans, renouveler bail au prix de vingt francs l'hectare. Ce fait peut paraître incroyable; mais il serait attesté au besoin par tous mes voisins.

Sol et Mode de culture des départemens du Nord. Le sol des départemens du nord est riche de son propre fonds, parce qu'il est composé d'argile, d'humus, de silice, de calcaire, dans des proportions telles qu'il retient la quantité d'eau nécessaire à la végétation, et facilite l'allongement des racines des plantes; mais cette richesse s'est singulièrement accrue par l'excellent mode de culture suivi

depuis des siècles par les cultivateurs de ces industrieux pays. Par combien de soins, de procédés ingénieux, ne méritent-ils pas les succès qui couronnent leurs travaux ! La culture du lin surtout est portée à un haut degré de perfection. Les labours profonds et multipliés, les défonçages mêmes ne sont point épargnés avant l'hiver, afin de mieux disposer la terre à l'action fertilisante de cette saison. Aussitôt que le temps le permet, tous les hersages et roulages nécessaires procurent l'ameublissement le plus parfait. La terre trop humide est divisée en planches séparées par des rigoles destinées à faciliter l'écoulement de l'eau surabondante, ou à la retenir quand on la croit nécessaire. Le sol qui offre trop de tenacité est corrigé par une marne calcaire, tandis qu'une marne argileuse rend perméable à l'eau celui qui pèche par un excès contraire. Tous les engrais sont employés, mais de préférence ceux qui, sous un moindre volume, contiennent le plus de parties fertilisantes. La terre ainsi disposée reçoit en son sein d'une main de maître, qui la répand avec profusion, une graine neuve, parfaitement purgée de semences étrangères toujours nuisibles. Lorsqu'on craint que des pluies abondantes ne détruisent l'état d'ameublissement si désirable, on recouvre légèrement le champ de quelques substances propres à parer à cet inconvénient; quand au contraire la sécheresse est à redouter, une eau grasse, composée de l'égoût des étables es des résidus des graines oléagineuses, est répandue sur la terre au moyen d'une voiture destinée à cet usage, et forme un nouvel engrais qui, en activant la végétation, maintient le degré d'humidité nécessaire. Le lin ainsi traité devient d'une hauteur disproportionnée avec le diamètre de sa tige, et ne pourrait résister anx efforts des vents, de la pluie, qui le feraient verser et pourrir: pour parer à cet inconvénient,

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