Page images
PDF
EPUB

,que Santhonax, que ses ordres ne fussent pas exécutés avec assez de rigueur, il se joignit au commissaire, pour ordonner aux nègres d'amener au Port au Prince tous les blancs qu'ils saisiraient dans les campagnes. Au bout de quelques jours, il se trouva 900 habitans dans les prisons de cette ville; ils furent tous voués à la mort, sans autre crime que celui d'être propriétaires de Saint-Domingue.

Le criminel Santhonax commença enfin à s'appercevoir que son autorité portait ombrage à Montbrun, à Rigaud, aux mulâtres et à ToussaintLouverture. Ce dernier l'avait forcé de se sauver du Cap français. A son départ de cette ville, Santhonax Ꭹ avait laissé, pour le représenter, un mulàtre, nommé Raymond, qui était alors un favori de Toussaint. Raymond se vit contraint de résigner son administration entre les mains du général nègre. Ce sacrifice appaisa Toussaint; il le choisit pour député auprès du corps législatif, comme étant le seul moyen de bannir de la colonie un homme qui pouvait s'opposer à son ambition. Toussaint lui avait adjoint un nègre libre, nommé Mentor, avec M. de Vincent, officier du génie, pour dénoncer Santhonax au Directoire, comme ayant l'intention d'usurper l'autorité suprême de la colonie.

Santhonax, qui avait tout lieu de craindre pour sa personne, se détermina, un peu tard, à s'entourer des blancs; il sentit plus que jamais la faute

qu'il avait faite de les désarmer, pour confier le soin de la tranquillité publique à la garde d'une soldatesque noire et jaune, qui ne cherchait qu'à s'é- lever sur les ruines de la couleur blanche. Les remords de sa conscience lui montraient des ennemis, même dans ceux qui avaient intérêt à le ménager. Dans cette cruelle perplexité, il crut pouvoir concilier tous les esprits, en ayant recours à un demi-moyen: il tira de prison 200 blancs, avec lesquels il completta deux compagnies du régiment d'Artois, qu'il mit sous les ordres du commandant Desfourneaux. Cette mesure maladroite, hâta la vengeance que Montbrun et les mulâtres s'étaient promise.

Le ciel heureusement ne permit pas qu'elle eût lieu dans toute son étendue. Un mulâtre, nommé Benjamin, aide-de-camp de Montbrun, ayant été à dix heures de la nuit du 15 avril 1794, conseiller à Marie Thérèse le Rembourg, sa mère, de ne pas sortir de chez elle, parce qu'on devait assassiner tous les blancs dans la même nuit; cette femme fit part du complot à M. de Champarmois, employé au bureau des classes. Ce jeune homme vint de suite en informer M. Adelon, commandant de Las-Casas, qui demeurait chez M. Labiche de Gipoulon, receveur des octrois. M. Adelon partit sur-le-champ pour le gouvernement, où il trouva Santhonax et le commandant Desfourneaux, qui se souhaitaient le bon soir. Après leur avoir fait part du sujet de sa visite, le général de brigade

9

1

Desfourneaux se rendit immédiatement aux casernes, il ne prit avec lui qu'une partie des deux compagnies d'Artois, nouvellement formées, et marcha vers le quartier du général Montbrun, pour l'arrêter au milieu de ses gardes.

Montbrun, qui avait eu connaissance de sa marche, prit une autre rue, se rendit aux casernes, et ordonna de suite aux troupes noires, de faire feu sur les blancs qui se trouvaient dans les casernes. Frustré dans son attente, le général Desfourneaux se porta au gouvernement, où il réussit à sauver Santhonax qu'il conduisit au fort SainteClaire, situé au bord de la mer.

Pendant la nuit et le lendemain jusqu'à trois heures de l'après midi, les mulâtres et les nègres massacrèrent une grande partie des blancs qui étaient restés dans la ville. Montbrun voyant son coup manqué par la division qui s'était manifestée parmi les nègres, dont une partie s'était déclarée pour le commissaire et ses partisans, fit proposer à Santhonax de reprendre ses fonctions, à condition qu'il renverrait hors de la colonie, le général Desfourneaux, et les 167 blancs qui venaient de le sauver.

Ce vil représentant souscrivit lâchement à une condition aussi déshonorante. Aussitôt qu'il fut de retour au gouvernement, il s'étudia, à force de popularité, à gagner la bienveillance des nègres et des mulâtres.

Le lieutenant-colonel Whitelocke, dès le g

9

septembre 1793, s'était embarqué avec plusieurs bataillons anglais, à bord de l'Europe, commodore Ford, et de cinq frégates; le 19 du même mois il s'était emparé de Jérémie, et bientôt après de la dépendance de la Grande Ance. Les blancs, les mulâtres et les nègres de ce quartier étaient alors si fatigués de l'anarchie républicaine, qu'ils se soumirent avec joie à un gouvernement qui offrait de prendre sous sa protection leurs propriétés, leurs personnes et leurs vies. Le môle St.-Nicolas, le Cap Tiburon, Jean Rabel, St.-Marc, l'Arcahaye et Léogane, tombèrent au pouvoir des Anglais, dans les trois premiers mois de l'année 1794.

Malgré les sujets de plaintes sans nombre que les colons de Saint-Domingue avaient contre les commissaires civils, et les reproches trop bien fondés qu'ils pouvaient faire aux membres de la Convention, d'avoir abandonné cette île à son malheureux sort, les Anglais ont avoué qu'ils n'ont jamais eu 2000 propriétaires blancs attachés à leurs drapeaux. Non, sans doute, parce que malgré les persécutions, ils étaient toujours Français de cœur et d'intention.

Le 30 mai de la même année, les Anglais se présentèrent devant le Port au Prince, avec quatre vaisseaux, trois frégates et cinq corvettes. Montbrun qui était si intrépide lorsqu'il s'agissait d'attaquer les blancs désarmés, leurs femmes et leurs enfans, contrefit le malade et prit des bains de lait pour ne pas être obligé de marcher contre les

Anglais. Santhonax publia de grandes proclamations pour encourager les nègres à s'opposer à leur descente. Il les assembla dans la place du gouvernement avec les habitans de la ville; à la fin de sa harangue, il s'adressa aux nègres et leur dit : « Oui, » mes frères, je rougis d'être blanc, vous connais>> sez mon cœur, j'ose me flatter qu'il est aussi »> noir que votre peau. Je ne balancerai pas s'il le » faut, à me retirer dans les montagnes, pour y >> vivre avec vous, d'herbes et de racines. >>

Malgré sa proclamation, malgré ses protestations, quelques jours après Montbrun se sauva à Acquin, où Rigaud le fit mettre en prison, et embarquer pour France, afin d'avoir le commandement en chef de la partie du sud, et Santhonax abandonna lâchement le Port au Prince pour se sauver à Jacmel.

Qu'est devenue cette grande quantité d'or qui provenait des diverses contributions, réquisitions et des caisses d'octrois d'orient et d'occident > dont il exigea d'autorité le paiement et le versement? Qu'il me soit permis de dire que des personnes de son escorte m'ont assuré que ce trésor l'avait suivi à Jacmel, sur trente-sept mulets, Cela est-il, ou cela n'est-il pas ? je l'ignore, je laisse à décider la question aux personnes qui sont mieux informées que moi, sur cette importante affaire.

La corvette le Serein débarrassa la colonie de' ce brandon de discorde; il arriva en France où il eut le bonheur d'échapper à la guillotine, châtiment trop doux pour un monstre semblable. Après

« PreviousContinue »