de reconnaître la marchandise neutre, au milieu de marchandises ennemies. Mais les perfectionnements apportés dans la tenue des papiers de mer ont, depuis longtemps, fait disparaître, à cet égard, tout embarras; et d'ailleurs, il n'est pas douteux que la charge de prouver la qualité neutre de la marchandise incombe à celui qui la réclame. Il semblerait donc que, sur cette question și simple, les lois ntérieures et les traités auraient dû se trouver d'accord pour restituer au neutre la marchandise innocente sur laquelle il justifie de ses droits. C'est tout le contraire qui est arrivé. Contradiction entre les principes et les faits. A l'exception du Consulat de la mer, dont la décision était, quant au fond, conforme aux principes, nous trouvons partout, dans les ordonnances des souverains, dans la jurisprudence des tribunaux d'amirauté, et, ce qui surprend davantage, dans presque tous les traités souscrits par les puissances maritimes de l'Europe, pendant les xvIIe et XVIIIe siècles, une sorte de parti pris de livrer aux belligérants, comme ⚫ une proie innocente, les marchandises neutres trouvées sur un bord ennemi. Dans les circonstances mêmes où les neutres parvenaient à faire reconnaître leurs droits à la liberté du commerce avec les belligérants, et, par exemple, dans ces pactes avec l'Angleterre où les Hollandais payaient si chèrement la faculté de transporter sur leurs navires des marchandises ennemies, ils faisaient bon marché du droit corrélatif qui devait leur appartenir, de sauver de la confiscation leurs propres marchandises chargées sur un bord ennemi. Ce sacrifice était comme un appoint qu'ils donnaient pour obtenir la concession de l'autre droit. Nous verrons, dans l'époque suivante, cette indifférence des neutres se manifester à un signe plus évident encore; car, lorsqu'ils s'occupèrent de rédiger eux-mêmes le catalogue de leurs droits, il semble qu'ils aient oublié celui de confier leurs propres marchandises à un commissionnaire ennemi. On comprend, d'autre part, par ce que nous avons exposé plus haut, quel intérêt avaient les belligérants à ne faire aucune distinction entre les objets, de nationalités différentes, composant la cargaison d'un navire ennemi. C'était, pour les corsaires, un moyen commode d'éviter les embarras et les lenteurs d'une ventilation de marchandises; et, avec un système de guerre qui tendait à encourager la course par tant de faveurs, celle-là sans doute devait être comptée pour quelque chose. Nous ne chercherons pas d'autre origine à cette affinité illogique et anormale que l'usage avait fini par établir, dans les traités européens, entre les deux maximes : « navire libre, marchandises libres », et « navire ennemi, marchandises ennemies >>. Si l'on eût voulu discuter cette matière au point de vue du droit pur et abstrait, on aurait adopté plutôt le contre-pied de ces deux maximes; car il est moins injuste en soi de saisir la marchandise ennemie sur un navire neutre, que de confisquer la marchandise neutre sur un navire ennemi. Mais, en pratique commerciale et en fait, il a pu être fort raisonnable d'arriver provisoirement à une conclusion qui paraissait l'être si peu; car, par là, on obtenait un résultat des plus importants dans l'intérêt général du commerce, au prix d'un médiocre sacrifice; et une fois la concession obtenue sur le point où la jalousie commerciale avait fait une opiniâtre résistance, on devait arriver tout naturellement à compléter če succès par l'adoption de l'autre principe, qui avait évidemment pour lui la justice, et qui devait rencontrer moins d'opposition, parce qu'il avait moins d'importance. C'était une de ces questions où la science du droit toute seule aurait pu tout embrouiller et tout perdre, où la diplomatie, appuyée au besoin sur la science, a fini par gagner tout entière la cause de la raison et de l'équité. SECTION III. De la contrebande de guerre. Chaque fois qu'un pas se fait en avant, et qu'un adoucissement est obtenu dans la pratique de la guerre, il y a plusieurs manières d'envisager ce progrès. On peut y voir la reconnaissance d'un droit des neutres, qui aurait été méconnu jusquelà on peut y voir aussi un tempérament apporté à l'usage d'un droit des belligérants, dont ceux-ci usaient auparavant avec plus de rigueur. Les traités ne contiennent aucune indication qui puisse nous guider dans cette appréciation délicate. Il n'est pas d'usage que les souverains y écrivent l'aveu de leurs torts, et qu'ils enregistrent l'expression de leur repentir, s'ils ont violé précédemment les lois de l'équité. Ce qui importe surtout à la civilisation et à la justice, c'est que le progrès se fasse, et soit reçu dans l'usage des peuples. La science morale vient ensuite, qui donne à chaque fait sa signification, son caractère, sa portée. Or, je puis me tromper, mais il me semble qu'il y a, dans l'école moderne, une tendance quelquefois excessive à porter au compte de la justice rigoureuse certains progrès qui pourraient, à bon droit, être portés au compte de l'influence salutaire exercée sur les esprits et sur les mœurs par la religion chrétienne et la philosophie. Cette tendance me paraît fâcheuse. L'histoire de l'humanité est assez triste dans sa vérité, pour qu'on ne prenne pas à tâche d'en assombrir les couleurs : il n'y a rien qui décourage l'âme comme la pensée qu'il ne s'est fait encore aucun progrès dans la voie du bien, que c'est tout au plus si l'on a réparé, sur quelques points, les plus criantes injustices des temps passés. Là où s'élève la voix intérieure de la conscience, je veux qu'avec elle, on qualifie hautement de crime et d'attentat les actes de violence ou d'arbitraire qui blessent des règles évidentes de justice; mais, pour conserver à cette flétrissure morale sa valeur, je demande qu'on ne l'étende pas à des cas douteux, qu'on veuille bien. admettre que des consciences honnêtes ont pu hésiter de bonne foi sur des points que nous tenons aujourd'hui pour avérés; qu'en un mot, parmi les questions si nombreuses, et souvent si difficiles, qui se rattachent aux rapports internationaux des peuples, il en est qui n'ont pas été souverainement et absolument décidées par le « droit primitif » ou « divin ». La contrebande de guerre est une de ces matières embarrassantes dans lesquelles il y a, ce me semble, un départ à faire entre les questions qui appartiennent au droit naturel primitif, et celles qui rentrent dans le domaine du droit variable ou secondaire. Deux principes pour servir à la définition de la contrebande de guerre. La conscience et la raison indiquent avec netteté deux principes et comme deux lignes extrêmes, entre lesquelles doivent se trouver, en matière de contrebande de guerre, la justice et la vérité. Le premier de ces principes ressort de la nature des choses, et tient de la façon la plus intime à la distinction de la paix et de la guerre. A moins d'effacer cette distinction fondamentale et de tout confondre, on ne peut réclamer le bénéfice de la neutralité, c'est-à-dire de la paix, pour les choses dont la nature propre est de servir de moyen et d'instrument de guerre. Ainsi donc, quelque étendue que soit la faculté de commerce. qui appartient aux neutres, il doit y avoir certaines limites que ce commerce ne pourra franchir, sous peine de devenir lui-même participant de la guerre, et de perdre ainsi sa qualité de commerce neutre pour revêtir celle de commerce agressif ou ennemi. L'autre principe, que la raison proclame et que la conscience. approuve, c'est que cette restriction, apportée au commerce des neutres, doit être elle-même limitée convenablement et de bonne foi. Avec une définition trop large de la contrebande de guerre, il n'y aurait plus de commerce possible de la part des neutres. Avec une définition trop étroite, on compromettrait les droits les plus légitimes de la guerre. C'est, comme nous le disions tout à l'heure, entre ces deux points extrêmes qu'il faut chercher la justice et la vérité. Mais peut-on arriver, en cette matière, à une justice, à une vérité absolue? On le peut, sans doute, mais pour un bien petit nombre de cas où la qualification à donner aux choses qui sont l'objet d'un commerce, ressort tellement de leur nature, de leur destination, de leur usage, qu'elles se classent, pour ainsi dire, d'elles-mêmes, dans la catégorie des choses de la paix, ou dans celle des choses de la guerre. Mais on reconnaîtra bien vite que le nombre de ces objets « à destination exclusive » est fort limité. Distinction proposée par Grotius. C'est pour cela que la célèbre distinction de Grotius marque à peine un progrès dans la science, car elle se borne à énoncer ce qui est tout clair, et laisse subsister la difficulté, dont elle trace seulement à grands traits les limites. Il y a, disait Grotius, les choses qui n'ont d'emploi que pour la guerre (quæ in bello tantùm usum habent); il y a celles dont la guerre ne tire aucun usage (quæ in bello nullum usum habent); il y a enfin celles qui servent tantôt à la guerre et tantôt à d'autres emplois (quæ et in bello et extrà bellum usum habent)1. De ces trois classes, Grotius mettait aussitôt hors de débat les deux premières : car il serait aussi déraisonnable de refuser le titre de « contrebande de guerre », aux choses dont le seul usage est la guerre, que de vouloir comprendre, sous ce nom, des choses dont la guerre ne ferait absolument aucun emploi. 1 De jure belli, l. 3, c. 1, § 5. |