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CHAPITRE V

LES FAITS HISTORIQUES

1815-1830

I.

II.

Position de fait des deux théories de la souveraineté (droit divin, droit du peuple). La prépondérance de celle qui sert de base au pouvoir exécutif. Applications de la théorie de la souveraineté royale; Ordonnances du 13 juillet 1815, 5 septembre 1816, modifiant les droits politiques de la Charte; Ordonnances du 24 juillet 1815, du 20 décembre 1815, suspendant les droits individuels; Ordonnances du 1er avril 1820, et du 15 août 1824, sur la liberté de la Presse. III. Les quatre ordonnances du 26 juillet 1830: leur légalité? leur légitimité ? La Révolution. Le principe du nouveau gouvernement la souveraineté du peuple. Fausse application du principe à l'origine de la nouvelle monarchie. Application incomplète dans l'exercice du pouvoir.

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Nous avons vu par quelle doctrine la Charte de 1814 avait été établie la souveraineté royale de droit divin, doctrine tempérée il est vrai par des concessions faites aux besoins du temps. C'est à ce principe de souveraineté que les rois Louis XVIII et Charles X revenaient dans leurs discours d'ouverture du Parlement chaque année et c'est celui dont plusieurs fois ils firent des applications pratiques dans certaines crises politiques. C'est enfin une application de ce principe de souveraineté royale qui devait amener la Révolution de 1830. Après avoir examiné les différentes conceptions de la souveraineté que répandait dans le public, soit les publicistes, soit les orateurs parlementaires, y a lieu de voir comment les faits importants se présen

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tèrent, non pas les faits sur lesquels des débats s'engagèrent et sur lesquels les théoriciens échafaudèrent des doctrines, mais ceux dont le pouvoir, qui avait la force imposa l'accomplissement. Sans doute le régime ordinaire, le régime légal de la monarchie parlementaire ne posa pas continuellement dans les faits la question de la souveraineté royale. Quand un régime politique suit son cours régulier, on discute des théories, mais les discours n'ont qu'un intérêt pour ainsi dire esthétique: c'est dans les crises, lorsque le fait s'impose brutal et fort, lorsqu'il y a une lutte dont on ne peut sortir que par le coup d'Etat ou la révolution, c'est-à-dire dans les deux cas un fait de force, que celui qui a imposé sa solution applique un principe, ou plutôt s'en prévaut et invoque une théorie pour s'en couvrir. Dans ce cas le pouvoir cherche d'abord à imposer son fait ; application de son autorité. S'il réussit, il invoque le principe sur lequel il est établi; s'il échoue, ses vainqueurs invoquent leur théorie personnelle. Jusqu'en 1830, la monarchie des Bourbons réunissant dans ses actes la force se prévaut de son droit divin. En 1830, elle échoue devant un fait brutal la Révolution, et celle-ci invoque aussitôt pour se légitimer la souveraineté du peuple.

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Examinons les faits qui imposèrent la théorie :

Tous les conflits politiques devaient provenir de ce fait que le roi ayant admis par la Charte, un pouvoir à côté du sien, n'avait voulu ou n'avait osé ou même n'avait pu s'assurer expressément le dernier mot en cas de désaccord. Alors que la Constitution de 1791, seul précédent en France d'une monarchie constitutionnelle, avait décidé qu'en cas de conflit, la nation aurait le dernier mot, Louis XVIII n'avait pas donné à la Charte toutes ses conséquences logiques et prévu le cas de conflit par une solution légale. Ce n'est pas en effet une première dissolution de la Chambre

des députés qui peut être une solution. Si la Chambre nouvelle revient hostile, il n'y a pas de solution possible. Dans ce cas, la Constituante imposait au roi la volonté de la nation. Mais la Restauration, basée sur le principe de souveraineté royale, ne pouvait admettre cette solution et cependant elle ne se prononçait pas dans la Charte en faveur de la prépondérance de la volonté royale. Et ainsi tout désaccord était réduit à être tranché en fait. En résumé il y avait avec la Constitution de 1791 pour principe la souveraineté de la nation et pour pouvoir de fait un roi. En 1814 il y avait avec la Charte la souveraineté royale pour principe et le pouvoir de fait était soumis à toutes les dis

cussions.

La nation étant représentée par la Chambre des députés, la question de pouvoir ou de souveraineté se bornait donc aux rapports du roi et de la Chambre élue; le pouvoir qui en cas de conflit dans ces rapports avait le dernier mot, était le souverain. « Dans un pays administré exclusive<<ment par des fonctionnaires et pourvu d'une armée per<< manente irrésistible, le pouvoir réel est le pouvoir exé<«< cutif qui commande aux fonctionnaires et à l'armée, <«< celui qui dispose des ministres est le véritable souve<«< rain »> (1).

Tout pouvoir une fois constitué cherche donc à s'emparer du pouvoir exécutif. Que ce soit une Chambre de députés chargée de représenter la volonté générale et ayant la délégation de la souveraineté nationale, ou que ce soit simplement une Chambre de conseillers acceptée par un monarque pour collaborer au pouvoir législatif; il y a forcément tendance de la part de ce dernier pouvoir à sortir de son rôle subalterne de faiseur de lois, pour imposer au

1. Seignobos, Hist. politique, p. 97.

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contraire sa volonté dans la direction des affaires. Ce n'était pas en France que cette question de relations entre le roi et la Chambre s'était posée pour la première fois. En Angleterre elle avait déjà été solutionnée de différentes façons suivant la puissance du roi. « Réduite à son pouvoir propre de voter le budget et de collaborer avec les lords. << pour faire les lois, la Chambre serait restée un pouvoir << subalterne comme elle l'est encore dans les monarchies «< constitutionnelles. Ce n'est pas en exerçant légalement « son pouvoir législatif, c'est en s'appropriant par l'usage « le pouvoir exécutif exercé par le cabinet au nom du roi qu'elle a établi le régime parlementaire. Ce régime consiste à transférer le pouvoir réel du roi à la majorité du « Parlement, en ne laissant au roi qu'une prééminence << d'honneur suivant la formule française: le roi règne et ne gouverne pas » (1).

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Ce premier système avait été adopté par le parti tory et le second par les whigs. Ce devait être le débat qui allait faire l'objet de discussions passionnées dans les Chambres françaises sous la Restauration.

Ainsi, si le Parlement a le rôle simple de contrôler le gouvernement et reconnaît au roi le pouvoir de choisir et de diriger ses ministres, c'est pratiquement le gouvernement personnel. Si le gouvernement appartient au ministère qui est lui-même une délégation de la majorité de la Chambre, c'est le régime parlementaire. C'est pratiquement toute la question de souveraineté.

Les Bourbons imposèrent jusqu'en 1830 le principe de la monarchie constitutionnelle et de la souveraineté royale. Comment donc se posèrent les conflits sur la prépondérance de la volonté du roi ou de celle de la Chambre ? Ce

1. Seignobos, op. cit., p. 13.

fut à deux époques différentes la première lorsque Louis XVIII entama la lutte contre le parti ultra-royaliste, la seconde lorsque Charles X voulut briser la résistance des libéraux.

Après les Cent jours, Louis XVIII, rentré en France, avait dans la proclamation de Cambrai (28 juin 1815), en confirmant les termes de la Charte par lui octroyée en 1814, maintenu le principe de son gouvernement. Par ordonnance du 13 juillet 1815, convoquant les collèges électoraux pour le mois d'août suivant, le roi modifiait les articles de la Charte qui avaient réglé la composition de la Chambre des députés. Il touchait donc à la Charte en vertu de son pouvoir souverain, en vertu du principe qu'il pouvait transformer, modifier, augmenter ou retirer les concessions qu'il avait faites, ne reconnaissant pas de souveraineté autre que la sienne seule. Il ne se considérait pas comme lié par une constitution. L'ordonnance du 13 juillet 1815 augmentait le nombre des députés en le portant de 258 à 402, et diminuait l'âge requis pour être député. C'était de la part du roi une première application du droit qui lui était réservé par l'article 14 de la Charte : « Le roi fait les règlements et les <<< ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois et la << sûreté de l'Etat ». Ayant la force et le pouvoir, au milieu de l'anarchie gouvernementale qui avait suivi la deuxième chute de Napoléon Ier, il pouvait imposer sa volonté. Le fait fut reconnu comme légitime et sanctionné par le droit.

Le roi devait faire peu de temps après une seconde application de la théorie de la souveraineté royale. Aussitôt élue (août 1815), la Chambre introuvable, composée en grande majorité d'ultra-royalistes et mécontente du ministère Richelieu qu'elle trouvait trop modéré dans son royalisme, voulut forcer le roi à prendre son ministère dans la majorité. Elle faisait ainsi pour les besoins de sa cause l'applica

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