Page images
PDF
EPUB

dans tous les autres, l'Eglise gallicane de la fin du XVIIIe siècle se montra digne des plus beaux jours du christianisme.

A ces preuves du zèle que, depuis son origine, on a mis parmi les fidèles à conserver, à honorer d'une manière spéciale la mémoire de ceux qui avoient souffert la mort pour la Foi, nous sommes heureux de pouvoir ajouter que quelques évêques du temps présent, animés des mêmes sentimens, se sont occupés des mêmes soins avec la même ardeur. Les communications par lesquelles ils se sont empressés de concourir à compléter notre Martyrologe, autant qu'il peut l'être, méritent non seulement notre reconnoissance particulière, mais celle-là même de l'Eglise universelle. Ils perpétuent donc aussi de nos jours, autant qu'il est en eux, admirable usage d'institution apostolique, au moyen duquel la Foi des fidèles se répandoit, se fortifioit par l'exemple de ceux qui venoient de braver pour elle les tourmens et la mort. De même que leurs légitimes prédécesseurs, ils disent avec saint Eucher : « Le courage des enfans s'arme d'une nouvelle force quand on leur

cet

époque (14 mars 1794): «Je conserverai toute ma vie, et avec une vive reconnoissance, ce que vous avez déjà publié des Martyrs de Lyon. J'aurois voulu que, plus maître de votre douleur, vous eussiez plus étendu votre sujet, et que vous eussiez pu peser sur les détails intéressans de chacune des victimes qui ont succombé.... Si vous entreprenez quelque jour de parler plus au long de nos braves ministres de l'Eglise qui nous ont été enlevés, et sont aujourd'hui au nombre de nos protecteurs dans le ciel, vous prouverez au public que l'église de Lyon est, dans cette persécution, ce qu'elle a été dans toutes les autres, celle qui a fourni plus de confesseurs à la Foi. »-Le 7 mai suivant, le même prélat nous écrivoit encore pour le même objet, en disant avec une bienveillance que nous ne ferions point connoître, si elle ne se rapportoit à notre travail, et ne servoit pas à montrer le zèle du primat des Gaules pour l'illustration des Martyrs d'alors : « Je serai très-aise d'employer votre plume pour conserver à l'Eglise tous les détails de l'affreuse persécution qui existe encore à Lyon. L'histoire les recherchera pour rendre croyables les cruautés dont nous sommes témoins. »

met sous les yeux ces exemples de leurs pères qui leur font comprendre à quel point ils doivent désirer cette vie éternelle, puisqu'ils la voient recherchée par les supplices, et qu'ils savent qu'on l'acquiert au prix de son sang (1). ›

[ocr errors]

Elle est donc remplie la première tâche que nous nous étions imposée, celle de démontrer, contre ceux qui sembleroient vouloir le rétablissement de la religion sans le renouvellement de sa Foi par le récit du combat de ses Martyrs, qu'à la suite des persécutions l'Eglise s'en fit toujours un devoir indispensable. Il nous reste à prouver, contre ceux qui prodiguent aveuglément le titre de Martyr à toutes sortes de victimes, que ce titre n'est dû qu'aux fidèles qui ont souffert ou sont morts pour la Foi, et que ceux qui, dans nos derniers troubles, furent immolés comme fanatiques ou réfractaires, doivent être honorés comme de vrais Martyrs.

SECONDE PARTIE.

A quelles victimes le titre de Martyr doit être réservé, et du droit qu'elles ont à ce titre.

En examinant attentivement, avec un peu de connoissance de l'antiquité ecclésiastique, ce qui se passe de nos jours dans l'ordre de la religion, on seroit presque tenté de croire que nous sommes rétrogradés vers ces temps d'ignorance gothique, où les coutumes et les canons de la primitive Eglise s'étoient comme oblitérés sur tant de points, et notamment dans l'attribution du titre de Martyr.

(1) Armantur enim filiorum animi, dùm patrum recensentur exempla. Ex his quippè intelligimus quantùm debeat desiderari vita illa æterna, quam per cruciatus, per vulnera, per intolerantium labores videmus inquiri, quam cognoscimus pretio sanguinis comparari. (S. Eucher, ep. Lugd. Homel. de SS. Petro et Paulo.)

Cet objet seul devant nous occuper, nous ne nous arrêterons pas à demander ce qu'est devenue cette loi que l'Eglise s'imposoit dans ses plus beaux siècles, de préférer, après les persécutions, les hommes qui en avoient le plus souffert, qui avoient donné, par leurs souffrances, le gage d'une foi inébranlable et d'une constance invariable dans la pratique des saintes règles, pour élever au sacerdoce ceux d'entre eux qui n'étoient pas prêtres, et placer ceux qui l'étoient dans les principales dignités du sanctuaire; au lieu de préférer de jeunes lévites non éprouvés et faciles à plier aux caprices du temps, des hommes qui, jusqu'alors exempts de persécutions réelles, n'auroient presque pas cessé de jouir de la graisse de la terre, en accommodant leur morale avec leurs jouissances (1). Alors, alors, c'étoit surtout l'avis des évêques persécutés qu'on attendoit, lors même qu'ils étoient encore absens, pour légitimer les déterminations que d'autres évêques présens croyoient devoir prendre dans les grandes affaires ecclésiastiques. Et nous voyons, par le témoignage de saint Hilaire de Poitiers, que dans l'église de France, comme dans

[ocr errors]

(1) Hoc sentire et facere omnem servum Dei oportet, etiam minoris toci, ut majoris fieri possit, si quem gradum ex persecutionis tolerantia ascenderit. (Tertull. Lib. de fuga in persecutione, c. 11.) --- Christianum catholicum qui, pro catholica fide, et pro ecclesiastica re, et christiana religione, tribulationem patitur, honore omni à sacerdotibus honorandum. (Conc. Carthag., an 398, can. 45.) --- Voyez saint Cyprien, Epist. 24, 33, 34 et 35. Au neuvième siècle encore, on voit le pape Adrien II rappeler le même usage à saint Ignace, patriarche de Constantinople, par une lettre qui fut lue comme une règle imprescriptible, au concile général tenu dans cette ville, en 869. Il s'agissoit alors des prêtres et des clercs persécutés par Photius; et le pontife disoit : Hos beatas et ter beatos dixerim, et inter Christi confessores commemorandos decreverim; adeò ut habeant insignem in ea quæ apud vos est ecclesia locum, et præcipua circà dilectionem tuam fiducia perfruantur, ita ut, secundùm multitudinem dolorum ipsorum, consolationes tuæ animas eorum lætificent, more scilicet Dei qui reddet singulis secundùm opera ipsorum. Labbe: Concil. t. vIII, p. 1013.

2.

celle de Constantinople, avant de réconcilier les Arienš qui revenoient à l'Eglise, avant de les admettre à la communion ecclésiastique, et surtout pour conserver l'honneur de l'épiscopat aux évêques qui étoient tombés dans l'arianisme, on avoit besoin du consentement formel de ceux dont la foi avoit triomphé des persécutions, lors même qu'ils étoient encore dans l'exil (1). Alors, alors, il étoit défendu, sous peine d'anathème, de parler du successeur d'un évêque, tant qu'il vivoit, etc. etc. (2)

En nous renfermant dans ce qui concerne le titre de Martyr, nous ne pouvons nous dissimuler qu'à la faveur de l'indifférence ou même de l'ignorance des chrétiens en des temps paisibles, les ennemis de la Foi étoient parvenus à le dépouiller presque entièrement de sa gloire primitive. L'on commença de servir en cela les vues de l'impiété, quand sur ses traces, et sous prétexte d'enrichir de faux brillans la langue nationale, on se mit à disperser le nom sacré du Martyre sur quantité de petites peines mondaines, d'où il s'étendit bientôt sur les tourmens des passions criminelles. Quand on vit les chré

(1) Gravissimum fidei periculum longè anteà prævidens, post sanctorum virorum exilia Paulini, Eusebii, Luciferi, Dionysii, quinto abhinc anno, à Saturnini et Ursacii et Valentis communione, me, cùm Gallicanis episcopis separari, indulta cæteris consortibus eorum resipiscendi facultate: ut nec pacis abesset voluntas, et principatium morborum fœtida, et in corruptionem totius corporis membra proficientia desicarentur; si tamen hoc ipsum beatissimis confessoribus Christi decretum à nobis manere placuisset. ( Sanctus Hilar. L. III, ad Constantium, no 2.)

(2) Hic fecit constitutum (Bonifacius III, anno Christi 606) in ecclesia beati Petri in qua sederunt episcopi septuaginta duo, presbyteri romani triginta quatuor, diaconi et omnis clerus, sub anathemate, ut nullus, pontifice vivente, aut episcopo civitatis suæ, præsumat loqui de successore, aut partes sibi facere, nisi tertio die depositionis ejus, adeunte clero et filiis. ecclesiæ. (Anastasius in vita Bonifacii III.)

tiens eux-mêmes, entraînés, sans y songer, par l'exemple des profanes, à reconnoître des Martyrs de la faveur, des Martyrs de l'ambition, des Martyrs de la volupté, etc. etc., il étoit facile de prévoir que l'éminente dignité des Martyrs de la Foi perdroit beaucoup de son éclat. Eh! comment les chrétiens ne se laisseroient-ils pas gagner par cet usage sacrilége, quand il leur semble légitimé par l'exemple même de leurs docteurs et de leurs guides, en ces temps déplorables où finit de s'éteindre le peu qui nous reste de ces maîtres consommés dans l'étude des saintes doctrines, et << dont les lèvres, gardiennes de la vraie science, exprimoient avec précision cette science divine, acquise par de longues veilles dans une retraite continue (1)? » Ah! que du moins, pour la consolation de ce qui survit encore de cette cohorte savante autant que généreuse, qui a fourni un si grand nombre de confesseurs de la Foi sur les échafauds, dans les prisons ou l'exil, elle soit rétablie et fixée de nouveau, l'antique et pure doctrine de l'Eglise, en ce qui concerne le vrai Martyre.

Benoît XIV, avant d'être pape, avoit rappelé déjà les saintes règles à ce sujet, dans son admirable traité de la Béatification des Serviteurs de Dieu (2); et il leur donna une nouvelle sanction quand il fut monté sur la chaire de saint Pierre. Mais cet immense ouvrage n'étoit point lu par le commun des fidèles; et son illustre auteur n'avoit pas assez prévu cet abus particulier de nos jours, où l'on confond, sous le même titre de Martyr, les victimes de la politique avec celles

(1) Labia enim sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus, quia Angelus Domini exercituum est. Vos autem recessistis de via, et scandalizastis plurimos in lege..... Propter quod et ego dedi vos contemptibiles et humiles omnibus populis, sicut non servastis vias meas, et accepistis faciem in lege. (Malach. C. 11, v. 7 et 8.)

(2) De Servorum Dei Beatificatione et Canonizatione Sanctorum. (Bononiæ, 1737, et Patavii, 1743.)

« PreviousContinue »