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186 [Assemblée nationale législative.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 novembre 1791.]

en entier mes lettres, comme je les ai sommés de le faire, et qu'ils y auront montré des traces de contre-révolution, de guerres méditées, alors je serai prêt à répondre mais ils n'ont pas même osé en envoyer des copies à votre comité; ces copies les eussent confondus; et dans ce qui a été produit, M. le rapporteur vous a dit que rien ne lui paraissait prouver un complot de ma part; seulement il a reconnu que j'avais pris beaucoup d'intérêt au jeune Niel.

ainsi

Cet intérêt, Messieurs, était bien naturel; son caractère, sa gaité, ses talents en divers genres me l'avaient fait estimer et aimer à Paris; c'était la seule personne que je connusse en arrivant à Avignon, et l'attachement qu'il me prouva, que sa famille, pour la nation française et ses lois, me le firent chérir davantage. On trouve bien grandes les inquiétudes que je manifestais pour sa mère et pour lui, lorsqu'ils étaient dans les fers. Mes inquiétudes sont bien justifiées : ils sont assassinés par mes accusateurs. Ils sont assassinés! et je dois à leur mémoire de ne pas laisser croire que ce soient des victimes immolées à raison d'aristocratie.

Je m'attache aux lois, Monsieur, m'écrivait la mère; les saintes lois françaises exigent qu'un prisonnier soit interrogé dans les 24 heures après sa capture. Je suis donc fondée en droit à vous demander l'interrogatoire de mon estimable fils; il y a 50 heures 1/2 qu'il est prisonnier; puisqu'il n'est nullement accusé pour aucun crime, faites-moi, je vous supplie, la galanterie de me le rendre; ayant ma cinquantaine, cette galanterie ne vous compromettra point; et ma reconnaissance sera éternelle.

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«Mon bien cher Monsieur, vive la nation, la loi et le roi, m'écrivait le jeune Niel (le lendemain de la connaissance donnée par moi du décret de réunion), vive l'Assemblée à jamais mémorable qui nous a rendus Français, vive le roi qui a acccepté solennellement une si belle Constitution... Oh! je ne me possède plus; j'ai passé la nuit à mettre des cordes à mes violons, au milieu de mes odieux et de mes affreux gardes du corps, qui ne me quittent pas d'un instant. De grâce, débarrassez-moi de cette odieuse engeance; le décret les a consternés, il y a de quoi mourir de rire. Ma pauvre mère est sérieusement malade depuis hier; le moment de la trop grande joie lui a fait un mal affreux. »

Ces lettres, Messieurs, ont sans doute, dans votre esprit, vengé leur mémoire. J'offre maintenant de déposer chez un homme public la collection de celles que j'ai reçues de toute la famille; et ceux qui, d'après les déclarations perfides de mes adversaires, auraient suspecté la pureté de mes mœurs et de mes intentions, pourront, en les consultant, s'y éclairer sur l'un et sur l'autre de ces points.

Il ne me reste plus, Messieurs, qu'à justifier ma conduite à l'égard de la ville d'Avignon, après que j'aurai dit quelques mots sur la ville de Lisle. Mes accusateurs prétendent que j'ai laissé vexer les patriotes de cette ville par les Soissonnais; que, sur la demande de leur rappel, je les ai doublés; que j'ai fait désarmer ces mêmes patriotes; que j'ai souffert dans ses murs une assemblée constitutionnelle de la même nature que celle de Carpentras, sans la dissoudre, et que même je l'ai fait réunir par mes ordres.

Un simple exposé des faits, soutenu des pièces justificatives, va facilement faire disparaitre cette accusation. J'avais requis, pour garnison à Lisle, des gardes nationales du département des Bou

ches-du-Rhône. Ces gardes nationales étaient ar-
rivées à Lisle. Faute du payement du prêt que
j'avançai moi-même plus d'une fois, je fus obligé
de les rendre à leurs municipalités respectives.
Alors, je m'adressai au général Ferrier; je lui
peignis les scissions qui existaient à Lisle, la ne-
cessité des troupes françaises peut maintenir la
paix, le danger qu'il pourrait y avoir à y placer
des Soissonnais, la peine qu'il aurait à diviser
les Boulonnais, ce qui serait cependant utile, et
je finis par lui demander pour Lisle une compa-
gnie d'infanterie, de quel corps il jugerait à pro-
pos. Il s'en tint à son opinion, ne divisa pas les
Boulonnais, et s'accorda avec M. Despeyron pour
faire porter à Lisle la compagnie de M. Découssin.
A son arrivée, il y eut quelques difficultés qui s'ap-
planirent à l'aide des décrets de l'Assemblée na-
tionale. Obligé d'aller à Carpentras, comme vous
l'avez vu, Messieurs, j'appris de M. Despeyron
que ce que je croyais à Lisle être une compa-
gnie, ne formait qu'un total de 37 hommes. Il
me demanda d'y faire porter ce qui était à En-
traygues, et j'y consentis. Daignez remarquer
qu'en ce moment, il n'y avait aucune espèce de
plaintes qui m'eussent été portées par aucun ha-
bitant de Lisle contre les Soissonnais, puisque
j'étais à Carpentras dans les premiers jours de
septembre, et que les premières plaintes qui
m'aient été faites, n'ont eu lieu que le 20. Ces
plaintes, comme elles contenaient un delit mili-
taire, je les ai remises au général Ferrier, avec
les procès-verbaux qui m'avaient été remis; et il
faut croire que le délit n'était pas réel, puisqu'il
n'y a pas eu de punition.

Je n'ai point fait désarmer les patriotes à Lisle: je n'y ai même fait désarmer personne. J'ai seulement requis la municipalité de faire reatrer dans l'arsenal les fusils qui lui appartenaient; et loin de faire désarmer les patriotes gardes nationaux, je lui ai recommandé de constater les fusils qui se trouveraient entre leurs mains.

Ma surveillance sur Lisle était si grande, crainte que le parti que l'on désigne sous le nom d'aristocrate ne l'emportât, qu'ayant appris qu'un jeune diacre constitutionnel, en faisant ses fonctious de catéchiste, avait été insulté et que parmi les injures qui lui avaient été prodiguées, on s'était servi d'expressions fanatiques et de reproches anti-constitutionnels, j'écrivis sur-le-champ à la municipalité pour faire constater les faits, pour que justice lui fut rendue et que respect lui fut porté dans ses fonctions; et si ce jeune ecclesiastique n'a pas eu la satisfaction la plus solennelle, c'est qu'on lui attribua, dans une plainte présentée à la municipalité et accompagnée de dépositions de témoins, que le même jour où les insultes lui furent faites, elles n'avaient eu lieu que parce que cet abbé avait donné un coup à la tête d'un enfant qui en tenait un plus petit encore, et que l'on a prétendu que la revolution occasionnée à cet enfant malade, par les cris de sa sœur, avait causé sa mort.

Enfin, Messieurs, quant à cette assemblée inconstitutionnelle qui s'était, dit-on, établie à Lisle, j'ai eu le bonheur, non seulement de ne point souffrir ses principes, mais de les combattre, mais de les détruire, d'anéantir sa permanence, et d'obtenir des Lislois, que j'avais fait revenir de leurs erreurs, les témoignages les moins suspects de leur réconnaissance. Jai copié des procès-verbaux où ces remerciments sont consignes.

Me voici enfin, Messieurs, arrivé à l'affaire

d'Avignon. Le décret de réunion semblait devoir m'assurer, même à l'égard de cette ville, un reste de mission paisible. Le vœu de la grande majorité des habitants venait d'être rempli; mais le décret avait devancé les calculs des avares déprédateurs avignonnais. Alors, une coalition entre l'assemblée électorale et les administrateurs d'Avignon, se forme malgré mes réclamations les plus expresses, fondées sur les préliminaires et sur la loi du 4 juillet. On imprima un arrêté de cette assemblée, dans lequel on constata mes pouvoirs; on l'envoya dans tout le Comtat, on ne fit aucun cas de la loi du 4, qui devait toujours être en vigueur; on s'empara des biens ecclésiastiques, partout où l'on put, et surtout à Avignon, où les déprédations furent portées à leur comble. Des procès-verbaux inexacts aidaient à les voiler; et les soi-disant patriotes avignonnais, ces prétendus amis de la Constitution française, après le décret de réunion, après même le décret d'organisation provisoire, pillaient les églises, vendaient jusqu'au métal des cloches à un prix au-dessous de sa valeur, et se plaisaient à épuiser les sources où la France bienfaitrice devait trouver naturellement de quoi couvrir la dette immense qu'ils lui laissent payer. Toutes les pièces à l'appui de ce que j'avance sont, partie entre les mains du ministre de la justice et partie entre les miennes.

Je sais que les sieurs Duprat, Tournal, Mainville et le jeune L'Ecuyer ont fait mettre dernièrement dans les papiers publics que les biens nationaux, recueillis par ordre de l'assemblée électorale, étaient encore en nature et non vendus. Mais comment pallieront-ils les ventes faites pendant plusieurs jours, à Saint-Laurent, ces encans successifs qui y ont eu lieu et qui ont occasionné les murmures des canoniers qu'ils n'avaient pas soldés, et qu'ils n'ont apaisés qu'avec le produit de ces ventes? Comment cacherontils la vente des vases saints que des juifs ont achetés et dont ils ont fait à l'instant un usage si révoltant que l'on a été obligé d'en mettre un en prison? Comment représenteront-ils les sommes qu'ils ont prises chez les fermiers des ecclésiastiques à qui ils ne laissaient pas de pain, et dont ils prenaient les revenus, échus même avant la Révolution?

Encore s'ils n'avaient fait que des larcins! mais de quels crimes ne se sont-ils pas souillés ? Les emprisonnements arbitraires étaient les moindres les assassinats étaient leurs jeux. En voici, Messieurs, une preuve éclatante :

Le 4 octobre, les sieurs Duprat, l'abbé Rovère, Mainville l'ainé et plusieurs citoyens d'Avignon vinrent demander, à 11 heures du soir, au bureau des postes, les lettres adressées à l'administration provisoire. Sur le refus qui leur en fut fait, ils se retirèrent en disant des injures. Ils firent plus, Messieurs; le sieur Mainville ainé et un autre, au moment où le sieur Bertrand, commis des postes, se retirait, fondirent sur lui le sabre à la main. Heureusement un jeune homme qui l'accompagnait, para le coup qu'il reçut sur la main gauche, dont il eut l'index coupé. Vous croyez peut-être que la vengeance est assoupie? Non le lendemain, les administrateurs provisoires font incarcérer le sieur Bertrand, qui sortit heureusement sur la réclamation de la demoiselle Le Blanc, directrice des postes, qui le demanda comme attaché à un établissement français. Ce fait, Messieurs, est consigné dans une déclaration que j'ai entre les mains, signée du sieur Bertrand lui-même, qui

me l'a remise en attendant l'établissement des tribunaux (1).

D'après de pareils traits, je ne dois pas avoir à me disculper des calomnies répandues contre moi. A qui ne suit pas la voie de l'honneur, l'honneur d'autrui n'est rien, et la langue de l'homicide ne peut rien contre celui qui le dévoile.

Qu'ils disent donc, qu'ils fassent répéter par les crieurs soldés du mensonge, qu'ils fassent redire aux murs par les affiches, les folles productions de leur génie calomniateur; qu'ils me disent aristocrate, tyran, contre-révolutionnaire; je resterai patriote, ami des lois et de l'humanité. Qu'ils se disent patriotes et vous les jugerez, Messieurs, d'après leurs actions. Je suis obligé de vous les dévoiler, ces actions atroces qui ont jeté l'amertume sur les derniers jours de ma mission, et dont ils n'ont point hésité de tenter de me faire soupçonner l'auteur.

Les spoliations des temples se multipliaient sous l'autorisation de l'assemblée électorale, au mépris de mes réclamations, et d'après l'encouragement que donnaient aux administrateurs d'Avignon et aux électeurs, leurs députés à Paris, les sieurs Duprat, Cadet et Rovère, comme je l'ai prouvé à M. le ministre de la justice, par la copie de leurs propres lettres (2), ces députés qu'il ne faut pas confondre avec le sieur Tissot, ce citoyen connu par ses soins pour la réunion, par cette fermeté de l'honnête homme, qui lui a fait refuser de signer la dénonciation contre moi, que son silence rendait suspecte; et remettre le même jour à ses commettants, souillés de sang, l'emploi qu'il ne croyait plus pouvoir conserver avec honneur. Ces spoliations avaient tout épuisé. Il restait encore au Mont-de-Piété une malle énorme que la municipalité y avait déposée, et qui contenait les effets les plus précieux enlevés à la cathédrale. Elle tenta les spoliateurs, et elle fut, avec toutes les apparences des formes juridiques, transportée chez le trésorier de la municipalité. Cette malle fut bientôt confondue avec les effets librement portés à ce lieu de ressource. Une fermentation sourde agita les Avignonnais, et surtout les femmes; on s'assemble à l'église des Cordeliers; on fait venir le sieur L'Ecuyer que l'on regardait comme un des principaux agents des déprédations de la municipalité provisoire; on lui demande compte des effets du sanctuaire, de ceux du Mont-de-Piété. Le peuple échauffé ne saisit pas bien ses raisons, et plusieurs mains à la fois sacrilèges et barbares, le frappent au pied de l'autel même. Hélas! ils étaient coupables, les assassins de leurs frères; mais combien plus coupables devinrent ceux qui, par des crimes nouveaux et réfléchis, prétendirent vouloir venger la mort du secrétaire de la commune.

J'avais reçu, pour ainsi dire, au même moment, la nouvelle de la mort du sieur L'Ecuyer, par une lettre des administrateurs provisoires, et la demande des émigrants avignonnais, qui, dans une pétition nombreusement signée, me sollicitaient d'envoyer des secours à Avignon pour empêcher les malheurs que le son du tocsin annonçait. Aux premiers, j'avais répondu par une lettre, dans laquelle je peignais ma douleur sur le sort de la victime immolée cruellement par un peuple égaré, et je les invitais à retenir la vengeance

(1) Voir ci-après, p. 206, pièce justificative n° XXXVI. Voir ci-après, p. 207, pièce justificative no XXXVII.

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de ses amis et à ne livrer les coupables qu'à la | particulière fixée par l'Assemblée nationale, et sévérité des lois qu'ils avaient encourue (1).

Il était plus difficile de satisfaire aux demandes des émigrants (2). Je pris la loi et j'écrivis au général Ferrier (3) pour m'informer s'il se sentait en force pour faire exécuter, dans Avignon, la garantie promise à tous les citoyens. Une repouse du general, qui ne contenait que le nombre des soldats qui étaient à ses ordres, nécessita une demande plus pressante, et semblait me préparer une réponse dont néanmoins le résultat était que, dans le cas de résistance qu'il supposait, il ne pourrait répondre d'une attaque, s'il était commandé (4).

Une nuit désastreuse nécessita, de ma part, le lendemain, une requisition pour l'assemblée d'un conseil de guerre qui statuåt, s'il était possible, de porter des secours aux malheureux Avignonnals: mais il n'y fut rien décidé, et l'on convint verbalement que, suivant les règles de l'art, on ne pouvait répondre de rien.

Je me vis done placé dans cette alternative cruelle, ou de compromettre inutilement le peu de troupes françaises qui étaient à ma disposition, ou de laisser exercer des vengeances criminelles sur des hommes à qui la France avait pr mis sûreté individuelle et garantie.

Cette courte explication de ma part, prouvée par des pièces authentiques, suffit sans doute pour me disculper à vos yeux de la double accusation qui m'est faite. Ceux qui, avec les assassins, mes accusateurs, me blåment d'avoir tenté de faire marcher vers Avignon les troupes qui étaient à ma disposition, trouvent leur réponse dans les préliminaires de paix, article V, et dans la loi du i juillet dernier, article II (5).

Ce cas malheureux, prévu par la loi, se présentait, certes, dans la circonstance où l'on égorgeait des citoyens! La loi me commandait done, mais etait-il possible de l'exécuter dans la position où je me trouvais? Non ; et c'est ma réponse à ceux qui me reprochent de n'avoir pas fait marcher les troupes.

Le général, le conseil de guerre croient et me disent qu'ils ne peuvent répondre du succès en cas de res stance. Le général écrit et imprime qu'il n'a que 800 hommes à pouvoir employer. Il ne me restait de ressources que celle de réquerir des gardes nationales ou troupes de ligne.

Les troupes de ligne? j'en avais requis inutilement quelque temps auparavant, auprès de M. de Coincy, commandant à Toulon. Je n'avais pu obtenir meme deux compagnies, placées à Villeneuve-lès-Avignon, et qui n'avaient que l'eau à passer. Je ne pouvais pas accelerer, par ma volonte seule l'arrivée de celles que je demandais depuis longtemps au ministre de la guerre et qu'il m'avait promises (6).

Je ne pouvais tirer des gardes nationales du Gard: le directoire m'avait déclare ne vouloir plus m'en fournir (7).

Je ne pouvais pas employer les gardes nationales organisées; M. le ministre de l'interieur m'avait erit qu'elles avaient une destination

(1 Voir ci-après, p. 208, pière justificative n° XXXVIII.
Voir ci-apres, page 190, les remarques sur les
emigrants, avant les pie es justificatives.

3 Voir ci après, p. 28, picce justificative n° XXXIX.
4. Voir ci-apres, p. 209, piece justificative u* XL.
(5 Voir ci-après, p. 192, piece justificative ' III.
(6) Voir ci-apres, p. 210, piece justificative n° ALI
(7) Voir ci-ajres, p. 210, piece justificative n° XLII.

qu'il ne pouvait pas les en détourner (1).

La Drome et les Bouches-du-Rhône eussent peutêtre pu m'en donner; mais je n'avais pas de quoi les solder. D'après un décret de l'Assemblée, defense était faite au trésorier des troupes de procurer des avances; et les départements s'y prêtaient si peu, que je fus obligé, dans le mois de septembre, de faire, faute de prèt, retourner dans leurs communes respectives quelques détachements tirés des Bouches-du-Rhône.

Je me vis donc réduit à tenter les seuls moyens qui me restaient entre les mains : j'envoyai à Avignon un trompette avec une réquisition dont voici la teneur :

Nous, etc., requérons les administrateurs provisoires, sur leur propre responsabilité, de faire cesser les meurtres qui déshonorent leur ville; d'en faire arrêter les auteurs, de laisser entrer les troupes françaises que requièrent les habitants propriétaires d'Avignon, et de leur laisser la garde des portes et les postes que Ton croira necessaires pour assurer la tranquillite publique. Nous attendons sur-le-champ, et par ecrit, la réponse. Fait à Sorgues, ce 17 octobre,

etc...

Ces meurtres, je ne les connaissais que par des rapports vagues : mais ils n'étaient pas moins réels. Eh bien! Messieurs, les administrateurs provisoires, que l'on avait dit avoir été, le matia même où je leur écrivais, pour se présenter aux prisons; qui avaient vu le sang et les victimes, m'écrivent froidement :

Monsieur, nous sommes parvenus à rétablir la tranquillité: il n'y a de nouveaux émigrants que les auteurs et complices de l'affreux complot qui a produit l'assassinat inoui du patriote L'Ecuyer. La loi est en vigueur : nous avons, pour temoins de notre conduite, des membres de l'Assemblee nationale constituante. Nous serons toujours ea état de le justifier... »

Pendant que le trompette était à Avignon, je reçus des dépositions qui me faisaient fremir par leurs détails: à son retour, recevant une répouse aussi insignifiante que celle que vous venez d'entendre, je renvoyai un tambour, avec une requi sition plus pressante. La seconde reponse fut plus insignifiante encore:

« Nous vous avons écrit ce matin, me marquait-on, que la tranquilité était retablie; elle n'a pas été troublée depuis. Des procès-verbaux ont été dresses et envoyés à l'Assemblée nationale; nous attendons sa decision. »

Alors, je me vis dans la triste nécessité d'être le temoin impuissant des atrocites avignonnaises, d'en écrire à M. le ministre de la justice pour l'en instruire; pour presser l'arrivée des commissaires qui devaient me remplacer, et que j'esperais devoir être revêtus de tels pouvoirs qu'ils ne pussent être contestès, et qu'ils en imposassent au crime et fissent respecter la vertu.

Le 21 octobre, ils sont arrives. Le plus tôt qu'ils ont pu, ils ont fait notifier leur pouvoir; et déjà, Messieurs, ils vous ont instruits qu'une hecatombe humaine avait été immolee aux månes du sieur L'Ecuyer; ils vous ont écrit eux-mêmes que ces prisonniers sacres, ces electeurs, ce prêtre consfitutionnel, ces membres de la municipalite, que Ton vous avait annonce à cette barre devoir être remis aux tribunaux, avaient peri par un fer assassin : ils vous ont dit que la mère avait expiré

1. Voir ci-apres, p. 210, pièce justificative n° XLIII.

sur le corps de son fils, le fils sur celui de son père; que l'on n'avait pas respecté la femme chargée de ce dépôt précieux que lui a confié la nature, et que le fer de la justice épargne même dans une criminelle condamnée; ils vous ont dit que des bourreaux se relayaient pour commettre ces meurtres, et que, parmi ces bourreaux, un enfant de 16 ans en avait frappé sept. Ils vous ont dit que ces victimes entassées avaient été jetées dans un de ces lieux que la chaleur du pays rend si nécessaires, et dont ils privaient leur patrie.

Encore quelques jours, Messieurs, et puisque l'on tient les scélérats auteurs de ces crimes, vous apprendrez de nouvelles horreurs (1). Je ne doute plus que l'on ne découvre, par des voies légales, que ce sont ces mêmes assassins qui, ne pouvant m'associer aux victimes qu'ils avaient égorgées, faisaient mouvoir ici leur agent pour me traîner, s'ils eussent pu, sur l'échalaud où le criminel seul doit périr; que ce sont eux qui ont dicté les procès-verbaux envoyés contre moi, comme ils en avaient dicté un à l'un de leurs prisonniers, qui, quelques jours avant le massacre général, n'a obtenu sa liberté qu'au prix de ce parjure; j'ai sa déclaration entre les mains (2).

Les commissaires vous apprendront encore que ce sont leurs propres mains qui ont peint cette vierge dont les couleurs attribuées à des pinceaux fanatiques, ne sont que leur ouvrage; que l'insurrection a été méditée par eux, les victimes frappées par eux et que le sang répandu par ces bourreaux est une libation faite, moins sur le tombeau d'un de leurs anciens complices, qu'un sacrifice à la vengeance et à l'ambition.

Vous croyez peut-être que le ressentiment personnel me porte à calomnier à mon tour mes calomniateurs? Non. Je serais indigne de paraître devant vous, si j'étais capable de ce crime. Mais, Messieurs, saisissez l'ensemble des faits, et vous jugerez de mes conjectures.

Les chefs avignonnais commencent la révolution avec des vues intéressées. Les richesses et la domination exclusive, voilà leur but. La guerre leur procure d'utiles pillages; le pacte fédératif leur donne la suprême puissance. Des spoliations d'autels, et quelques crimes particuliers excitent des murmures: la municipalité les accueille : un juge prononce des décrets: voilà une procédure à enlever, des officiers municipaux dont il faut se venger, un juge qu'il faut punir de sa témérité, des places échappées qu'il faut reprendre; et une insurrection se combine, s'exécute, la procédure est enlevée, les officiers municipaux sont emprisonnés, le juge est assassiné sur les terres françaises, le sieur L'Ecuyer redevient secrétaire de la commune. Mais, malgré leurs efforts, les officiers municipaux reparaîtront; ils pourront avoir l'amour du peuple, ils seront élus peut-être de nouveau aux places municipales; il faut s'en défaire. Une nouvelle insurrection a lieu; ils sont égorgés: mais la peine de tant de crimes ne doit-elle pas être infligée? Les coupables s'aveuglent une amnistie est annoncée; ils se l'appliquent. M. Le Scène est un homme à craindre; if a de la probité : il sera calomnié; on vous le dénonce. J'étais trop clairvoyant, je les gênais trop dans leurs déprédations; j'étais le rapporteur trop fidèle de toutes leurs actions auprès du mo

(1) Déjà la commune entière, assemblée en section, a envoyé à l'Assemblée nationale et au roi une délibération unanimement prise par 3,335 citoyens actifs, qui me disculpe (Voy. ci-après, p. 209, pièces justificatives, n° LXV).

(2) Voir ci-après, page 210, pièce justificative no LXIV.

narque qui m'avait revêtu de ses pouvoirs; il faut atténuer mes récits, me rendre odieux. Voilà, Messieurs, l'origine de ma dénonciation, des libelles et des calomnies dont j'ai été couvert.

Mes successeurs, les commissaires civils, ont levé le voile qui couvrait les meurtres de mes accusateurs. Je vous ai démontré le néant et la cause de leurs calomnies. Prononcez maintenant, Messieurs, entre ces bourreaux et celui que sa probité vous a fait donner pour collègue. (Applaudissements.)

M. le Président. Monsieur, vous avez satisfait au décret de l'Assemblée; elle pèsera, dans sa justice et dans sa sagesse, la vérité des faits que vous avez présentés. Elle sera flattée d'avoir à prononcer la justification d'un citoyen et de se convaincre qu'il n'a jamais cessé d'être digne de la confiance dont ses compatriotes l'ont honoré. Elle vous invite à vous retirer.

M. l'abbé Mulot se retire au milieu des applaudissements d'une partie de l'Assemblée.

M. Morisson. Il a été fait contre M. Mulot l'accusation la plus grave. Si M. Mulot s'est rendu coupable des horreurs dont il est accusé, il mérite les plus grands supplices, et nous devons le renvoyer aux tribunaux. Si M. Mulot est innocent, il doit être justifié d'une manière éclatante. Je demande que l'Assemblée renvoie à son comité de législation le rapport de M. Mulot et les pièces justificatives sur lesquelles il l'a établi; et je demande que M. Mulot ne puisse être admis à prendre sa place de représentant de la nation qu'après le rapport du comité de législation.

M. Gossuin. Les pièces que vient de vous lire à la barre M. Mulot, doivent être remises sur-lechamp au comité des petitions, qui a déjà connaissance de cette affaire et qui vous a, pour cela, entamé son rapport. Je demande, en outre, qu'il soit fixé un jour dans la semaine prochaine pour que le comite puisse vous faire son rapport, parce qu'il est juste, ou que M. Mulot soit absous, s'il n'est pas coupable, ou qu'il soit puni, s'il est coupable.

M. Garran-de-Coulon. Je ne m'oppose pas au renvoi au comité de législation, mais je soutiens, qu'en attendant, M. Mulot doit jouir de l'intégrité de son état de représentant de la nation. Vous ne pouvez pas, quand il n'y a pas eu contre lui de décret porté, quand il n'y a qu'une simple dénonciation à laquelle il veut bien répondre, vous ne pouvez pas, dis-je, le préjuger coupable, en le privant de son état. Les titres de M. Mulot ont été vérifiés avec ceux de tous les députés du département de Paris. Il avait le droit, il à encore le droit de siéger parmi nous. S'il a paru à la barre, c'est qu'il ne parlait point comme député, mais en qualité de commissaire du roi dans le comtat Venaissin. Je demande donc qu'en renvoyant le mémoire et les pièces justificatives au comité de législation, il soit déclaré expressément que M. Mulot a le droit de siéger parmi nous. (Applaudissements.)

Un membre: Je demande la question préalable; M. Garran s'est trompé en pensant que M. Mulot avait le droit d'être admis avant de s'être justifié.

Un membre: La dénonciation faite contre M. Mulot est trop capitale, et il faut attendre le rapport avant de l'admettre.

Un membre: Je respecte beaucoup trop la position de M. Mulot, pour le juger sur la lecture d'un mémoire très intéressant dans certaines parties, et peut-être assez extraordinaire dans

d'autres. Je conviens qu'il est de la dignité de l'Assemblée nationale, qu'il est de l'intérêt même de M. Mulot de produire sa justification; mais, Messieurs, je vous supplie de distinguer, dans M. Mulot, deux qualités bien essentielles. En sa première qualité, comme commissaire du roi dans le comtat Venaissin, il a dù vous rendre compte de sa conduite: il n'en était pas plus exempt que les autres agents du pouvoir exécutif; c'est en cette qualité que vous l'avez appelé à la barre. Mais il réunit une qualité bien plus importante, bien plus précieuse, et à laquelle on peut encore moins porter atteinte, celle de représentant du peuple français. En cette qualité, ses pouvoirs ont été vérifiés. Il serait odieux, il serait au-dessous de la dignité de l'Assemblée nationale de suspendre l'un de ses membres, sur une simple suspicion, dans une qualité aussi imposante. (Applaudissements.) Je demande la question préalable sur la motion de M. Garrande-Coulon, parce qu'il n'y a pas lieu de déclarer que M. Mulot doit prendre séance.

Par le même principe que lui, je soutiens que M. Mulot n'a pas besoin d'une déclaration de l'Assemblée pour se présenter à la tribune. Je demande que sa défense soit renvoyée au comité des pétitions, et que, sur le reste, on passe à l'ordre du jour.

Un membre: Si M. le Président n'avait pas dit à M. Mulot de se retirer, j'appuierais l'avis du préopinant; mais...

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix le renvoi !

(L'Assemblée renvoie le mémoire et les pièces justificatives au comité de législation et, sur le surplus, passe à l'ordre du jour.)

M. l'abbé Mulot rentre dans la salle au milieu des applaudissements, monte à la tribune et prête, comme député du département de Paris, le serment individuel prescrit par la Constitution.

Un de MM. les secrétaires fait lecture de la liste des pétitionnaires qui demandent à être admis demain à la barre.

Un membre: Je fais la motion de renvoyer toutes les pétitions au comité des pétitions et de n'admettre désormais aucun pétitionnaire à la barre.

Plusieurs membres: La question préalable! (L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette motion.)

La séance est levée à dix heures.

PREMIÈRE ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLEE NATIONALE LÉGISLATIVE DU SAMEDI 19 NOVEMBRE 1791 au soir.

ANNEXES AU COMPTE RENDU PAR M. L'ABBÉ MULOT (1) à l'Asssemblée nationale, comme commissaire du roi à Avignon, le 19 novembre 1791 (2).

REMARQUES ESSENTIELLES.

I

Le sieur Rovère, et ceux dont il est l'agent, ne cessent de dire que les vertueux patriotes les

(1) Voir ci-dessus même, p. 168, ce compte rendu. (2) Bibliotheque nationale: Assemblee nationale législative, petitions, t. ¡¡, A.

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amis de la Constitution française sont dans les fers à Avignon; qu'ils y ont été mis par les aristocrates émigrés », qui ne sont rentrés qu'avec les troupes françaises. Il est essentiel de remarquer qu'il y avait deux sortes « d'émigrants = å Avignon; ceux quiavaient fui le 10 juin 1790, auxquels on reprochait leur attachement à l'ancien régime. Ces émigrants étaient, pour la plupart, réfugiés à Villeneuve-les-Avignon. Les autres émigrants» ne sont sortis de cette ville que depuis le 21 août dernier : ce sont des amis de la Constitution qui ont voté pour être réunis à la France, lesquels n'ont fui que pour se soustraire aux fureurs des chefs de la faction avignonnaise, qui ont arbitrairement enfermé, puis massacré tant les membres de la municipalité que les autres citoyens qui pouvaient leur porter ombrage. Ces émigrants étaient réfugiés, pour la plus grande partie, dans la petite île de la Bathalasse entre Avignon et Villeneuve. Lors donc que le sieur Rovère présente sous le nom d'aristocrates tous les émigrants, c'est une imposture dont il faut se métier; et il est important de se convaincre que si, à la faveur des troupes, quelques personnes attachées à l'ancien régime sont rentrees à Avignon, elles ne forment qu'un très petit nombre, et que les émigrants à la Bathalasse, qui sont aussi rentrés avec les troupes, sont de vrais patriotes, que la peur seule avait éloignes de leurs demeures. Il est bon de remarquer encore que, parmi les citoyens égorgés pendant la nuit du 16 octobre, il en est qui peuvent d'autant moins être soupçonnés d'aristocratie, qu'ils n'ont pas quitté l'armée de Monteux.

II

Parmi les différentes objections qui ont été faites pour prouver que j'étais l'ennemi des patriotes, on a cité l'élargissement que j'ai accordé aux prisionniers de Caromb, accusés d'avoir tire sur les citoyens de la même ville à leur retour de l'armée. Si je n'ai pas répondu à cette objection, pendant le cours de mon rapport, ce n'est point pour y échapper, mais parce qu'elle avait échappé elle-même à ma mémoire. If sullira saus doute à ceux qui doivent prononcer entre mes adversaires et moi, de savoir que parmi les quatre prisonniers retenus sans décret préliminaire, il y en avait un qui, par erreur, avait été arrêté pour son frère, et que la liberté lui était due; que les autres ne sont sortis que d'après plusieurs petitions faites en leur faveur, avec les précautions qui peuvent assurer qu'ils n'échapperont pas à la sévérité de la loi s'ils sont coupables; ils se sont engagés en effet à reparaître devant les tribunaux qui doivent être établis; et quoiqu'ils soient restés soumis ainsi à la loi, dans la ville même de Caromb, j'ai exigé d'eux des obligations de se représenter et des cautions pecuniaires dans le cas où ils ne se représenteraient pas. Ces actes souscrits par ceux qui savaient écrire, passés pardevant notaire par ceux qui ne le savaient pas, sont entre les mains de mes successeurs, MM. les commissaires civils.

Ces prisonniers qui ne pouvaient être retenus dans les prisons que par une infraction à la loi, ne sont donc pas soustraits à la justice, comme le prétendent mes adversaires. Ce serait en vain que l'on voudrait opposer à la liberté provisoire que je leur ai rendue la captivité de quelques citoyens de Sorgues et des soi-disant gardes-vignes d'Avignon. Ceux-ci n'ont été retenus en etat d'ar

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