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aux lois de la discrétion. Il a produit d'autres lettres que les miennes veut-il qu'on lui demande en vertu de quoi? Il fait encore paroître une de mes lettres sur le sujet important, s'il m'a prié de faire son sacre1; et il s'en sert mal à propos pour établir le ridicule empressement qu'il m'impute : par où il montre bien que s'il en avoit d'autres dont il pùt tirer avantage, il ne s'en tairoit pas. Celle-ci se trouve accompagnée d'une de M. de Paris'. Une autre du même prélat, également révélée dans la Réponse à la Relation, assuroit M. de Cambray « que M. Pirot étoit charmé de l'examen de son livre: » M. de Paris lui a-t-il permis de se servir de sa lettre contre un homme qu'il a mis en place, et que cependant M. de Cambray veut convaincre de variation par cette lettre? C'est la seule preuve qu'il ait de la prétendue approbation dont il se vante : il se fait dire par ce docteur que son livre est tout d'or: ne falloit-il pas distinguer des honnêtetés générales, sur un livre dont on entend la lecture en courant sans jamais l'avoir entre ses mains, d'avec une approbation sérieuse? Mais il n'a tenu, dit-il, qu'à M. Pirot d'avoir le livre en sa possession tant qu'il eût voulu. M. Pirot le nie. M. de Cambray l'assure seul, et le lecteur équitable doit du moins aussi peu déférer à son rapport, quand il est seul, que lui-même M. de Cambray défère à celui des autres en cas pareil. Se moque-t-il de tant appuyer sur des faits particuliers avancés en l'air? Nous verrons les autres lettres missives qu'il a imprimées sans l'aveu et contre l'intention de leurs auteurs.

29. Mais encore n'y a-t-il que les lettres qui obligent au secret? Si je lui ai avoué, ce qu'il outre, que dans le temps qu'on me remettoit cette affaire, « je n'avois pas lu saint François de Sales, ni le B. Jean de la Croix *, » ni quelques autres mystiques; d'où il conclut contre moi dans sa réponse latine à M. l'archevêque de Paris, que j'étois ignorant de la voie mystique; et dans sa Réponse à la Relation, que je ne connoissois point les mystiques, en sorte que je voulus qu'il m'en donnât des recueils o, lui ai-je permis de profiter de nos secrètes conversations pour affoiblir le jugement

1 Rép. à la Relat., chap. IV, p. 92. Ibid., chap. II, 1re obj., p. 35, 36.

2 Ibid. 3 Ibid., chap. VI, p. 124. 5 Ibid., p. 33. 6 Ibid., p. 34.

que j'ai porté sur les matières qu'on m'avoit remises, en m'accusant par mon aveu, à ce qu'il prétend, de les ignorer?

30. Mais cela n'est pas un secret? Pourquoi n'en est-ce pas un de me tourner en reproche un aveu particulier qu'on me croit désavantageux? Mais pourquoi les lettres missives de M. de Cambray sont-elles plus secrètes? Qu'on les relise on verra qu'il n'y est fait aucune mention de secret : dans le fond elles n'ont rien de mauvais; elles ne font que représenter une soumission qui étoit louable, et ne tourneroient qu'à honneur au prélat qui les a écrites, si sa conduite suivante ne démentoit pas ses bons sentimens sa faute n'est pas de les avoir eus, mais de les avoir changés. Tout est permis à M. de Cambray : il imprime toutes les lettres et tous les secrets qu'il veut tout est défendu aux autres, et lui seul peut faire passer tout ce qu'il lui plaît.

M. DE CAMBRAY.

31. « Si elles voient maintenant le jour, dit M. de Meaux, parlant de mes lettres secrètes, c'est au moins à l'extrémité, lorsqu'on me force à parler, et toujours plus tôt que je ne voudrois. Qu'est-ce qui l'y force? qu'ai-je fait que défendre le texte de mon livre depuis un an et demi, en le soumettant au Pape 1? »

RÉPONSE.

32.-1. Ce prélat suppose toujours le fait, qu'il n'a point parlé le premier sur les procédés, sur quoi il vient d'être convaincu. 2. Il suppose que son procédé, que j'ai raconté, n'influe pas dans le fond de cette matière, encore qu'il soit constant qu'il détermine son livre à un mauvais sens, et au dessein manifestement condamnable de défendre madame Guyon et sa doctrine, ainsi qu'il a été dit, et que la suite achèvera de le démontrer.

3. Il suppose que c'est ici un fait particulier, pendant qu'il s'agit ou de laisser établir ou d'étouffer dans sa naissance une secte toujours renaissante, que l'on pare de belles couleurs, comme il a été remarqué dans la Relation.

4. Il suppose enfin que ce n'est pas une nouvelle raison de faire 1 Rép. à la Relat., Avert., p. 7. — 2 Relat., 111o sect., n. 15-17.

connoître son juste procédé, qu'il nous ait voulu réduire à passer pour des hypocrites et des persécuteurs, si nous ne le convainquions par des preuves incontestables et par son propre témoignage.

§ VI. Réflexions sur les faits rapportés en cet article, et comment on les doit qualifier.

33. Le sage lecteur décidera comment on doit appeler les suppositions dans le fait, qu'on vient de marquer dans cet article. 34. 1. Que l'auteur n'a fait dans ses livres que soutenir son texte et les dogmes, sans en venir aux procédés, et sans y venir le premier 1.

2. Que je n'ai pas répondu aux dogmes; et que c'est faute d'y pouvoir répondre, que j'en suis venu aux procédés 2.

3. Il ne s'agit pas de savoir si j'y ai bien répondu ou non; mais si l'on peut supposer comme certain dans le fait, que je n'y ai point répondu ni pu répondre.

4. Que j'ai révélé un secret de confession, et fait pis que le révéler dans toute son étendue 3.

5. Comment ces suppositions dans le fait peuvent être qualifiées et si l'on n'en peut pas conclure que cette Réponse n'a rien de grave ni de sérieux puisque l'auteur n'y fait qu'éblouir le monde, et suivre sa plume échauffée, ou le désir de me contredire, ce qui paroît principalement dans l'accusation de la confession révélée, et dans la supposition comme constante que je n'en puis plus.

ARTICLE II.

Sur le chapitre premier de la réponse de M. de Cambray, où il justifie son estime pour madame Guyon.

§ I. Quelle étoit l'estime de ce prélat.

M. DE CAMBRAY.

1. Il faut voir avant toutes choses, quelle étoit l'estime que M. de Cambray avoit conçue de madame Guyon, et considérer 1 Voy. ci-dessus, § 4. — 2 Ci-dessus, § 1 et 2.

3 Ci-dessus, § 3.

ensuite si les témoignages sur lesquels il se fonde y sont proportionnés.

2. « Cette personne, il est vrai, me parut fort pieuse. Je l'estimai beaucoup je la crus fort expérimentée et éclairée sur les voies intérieures; quoiqu'elle fût fort ignorante, je crus apprendre plus sur la pratique de ces voies en examinant avec elle ses expériences, que je n'eusse pu faire en consultant des personnes plus savantes, mais sans expérience pour la pratique. On peut apprendre tous les jours en étudiant les voies de Dieu sur les ignorans expérimentés: n'auroit-on pas pu apprendre pour la pratique, en conversant par exemple avec le bon frère Laurent? Voilà ce que je puis avoir dit à M. l'archevêque de Paris, et à M. de Meaux, en présence de M. Tronson 1. »

RÉPONSE.

3. Encore qu'il affoiblisse ce qu'il nous a dit de cette femme, il nous suffit qu'il l'ait regardée comme une personne dans laquelle les voies parfaites étoient pour ainsi dire si réalisées, qu'on les y voyoit comme en celles qui sont enseignées de Dieu par l'onction de son esprit, telles que sont les personnes saintes. Son estime a encore deux caractères : l'un qu'il la fait passer à ceux qui le croient l'autre qu'elle s'étend jusqu'à ses livres, à la manière qui a paru dans son Mémoire 2, et que la suite fera mieux connoître.

4. Ce fondement supposé, il faut maintenant considérer si les témoignages qu'il rapporte sur le sujet de cette femme, sont proportionnés à l'estime qu'il avoit pour elle : voici le premier.

§ II. Premier témoignage de feu M. de Genève.

5. « Je l'ai connue (madame Guyon) au commencement de l'année 1689, quelques mois après qu'elle fut sortie de la Visitation de la rue Saint-Antoine, et quelques mois avant que j'allasse à la Cour. J'étois alors prévenu contre elle, sur ce que j'avois ouï

2 Rép. à la Relat., chap. 1, p. 19. n. 9, 11, 22, 23; ve sect., n. 9-11.

2 Mém. de M. de Cambray, Relat., Ive sect.,

dire de ses voyages: voici ce qui contribua à effacer mes impressions. Je lus une lettre de feu M. de Genève, datée du 29 juin 1683, où sont ces paroles sur cette personne : « Je l'estime infiniment; mais je ne puis approuver qu'elle veuille rendre son esprit universel, et qu'elle veuille l'introduire dans tous nos monastères au préjudice de celui de leur institut. Cela divise et brouille les communautés les plus saintes... A cela près je l'estime, et je l'honore au delà de l'imaginable 1. >>

RÉPONSE.

6. Il faut avoir bien envie d'estimer madame Guyon, et d'effacer les mauvaises impressions de ses voyages, du moins indiscrets avec le Père Lacombe, pour s'appuyer de cette lettre. Voici comme en parle M. de Cambray : « Je voyois, dit-il, que le seul grief de ce prélat étoit le zèle indiscret d'une femme qui vouloit trop communiquer ce qu'elle croyoit bon. » Il se contente d'appeler un zèle indiscret, d'avoir voulu introduire partout son esprit particulier, et même « dans les monastères, au préjudice de celui de leurs instituts. >>

7. M. de Cambray compte pour rien cette dernière parole, qui loin de permettre qu'on approchât madame Guyon des maisons religieuses, l'en devoit exclure à jamais comme une femme qui y brouilloit tout n'est-ce pas de dessein formé vouloir excuser madame Guyon, que de réduire à une simple indiscrétion la témérité de contredire l'esprit des communautés ? Mais celle que ce saint prélat éloignoit des monastères bien réglés, croira-t-on qu'il l'eût laissée approcher aisément des autres personnes pieuses, et acquérir leur estime? A cela près tout alloit bien, et M. de Cambray, facile à contenter sur le sujet de cette femme, se payoit des complimens de civilité que lui faisoit un prélat, à condition de lui fermer toute approche de ses monastères.

1
1 Rép. à la Relat., chap. I, p. 11. — 2 Ibid.

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