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droit incontestable, acquis aux vaisseaux armés et munis de commissions d'une nation belligérante; jusqu'à ce que les bâtiments aient été visités, il n'est pas évident quels sont ces vaisseaux, ces cargaisons ou cette destination, et c'est pour déterminer ces points qu'existe la nécessité d'exercer le droit de visite. Ce droit est si évident en principe, que nul ne peut le contester qui admet le droit des captures maritimes; parceque s'il n'était pas permis de déterminer, par une enquête suffisante, s'il existe des propriétés qui peuvent être légalement capturées, il serait impossible d'exercer ce droit. Même ceux qui soutiennent le principe que les vaisseaux libres rendent les marchandises libres, doivent admettre l'exercice du droit de visite au moins pour déterminer si les vaisseaux sont libres ou non. Le droit est également évident suivant l'usage des nations, cet usage étant uniforme et universel.

«Le grand nombre de traités européens qui supposent l'existence de ce droit, le regardent comme un droit préexistant, et en règlent l'exercice comme tel. Tous ceux qui ont écrit sur le droit des gens le reconnaissent, sans même en excepter Hubner, le champion des privilèges des neutres.

« L'interposition par la force du souverain neutre ne peut pas légalement changer les droits d'un croiseur belligérant. Deux souverains peuvent, sans nul doute, s'entendre, par des conventions particulières sur ce point, que la présence d'un de leurs vaisseaux armés avec leurs vaisseaux marchands, doit faire présumer mutuellement qu'il n'y a rien dans ce convoi de vaisseaux marchands, qui puisse être en conflit avec l'amitié et la neutralité; et s'ils consentent à accepter cette assurance, nulle autre partie tierce n'a le droit de s'y opposer. Mais assurément nul souverain n'a le droit de faire accepter une telle garantie par la force. La seule garantie reconnue par le droit des gens, relative à cette matière, hormis le cas d'une convention spéciale, est le droit de visite personnelle, droit qui doit être exercé par ceux qui ont un intérêt à son exercice. >>

La peine qu'encourt la violation du droit de visite est la confiscation de la propriété soustratie à l'exercice de ce droit. Vattel s'exprime ainsi sur ce point: « On ne peut empêcher le << transport des effets de contrebande, si l'on ne visite pas les < vaisseaux neutres. On est donc en droit de les visiter.» Quelques nations puissantes ont refusé, en différents temps, de se soumettre à cette visite. Aujourd'hui un vaisseau neutre qui refuserait de se soumettre, à la visite se ferait condamner, par cela seul, comme étant de bonne prise « Conformément à ce principe, nous

trouvons dans la célèbre ordonnance de 1681, encore en vigueur, que tout vaisseau qui refusera d'amener ses voiles, après la sommation qui lui en aura été faite, par les vaisseaux de guerre ou par les bâtiments armés en course, pourra y être condamné par artillerie ou autrement, et, en cas de résistance et de combat, il sera de bonne prise ...... Telle a toujours été la règle non-contestée de l'amirauté anglaise; d'après le droit des gens, tel qu'il est entendu de nos jours, une résistance délibérée et continue à l'exercice du droit de visite par un croiseur régulier, de la part d'un vaisseau neutre, entraine la confiscation. >>

Il résulte évidemment des déductions de Sir William Scott, d'une part, que l'exercice du droit de visite des bâtiments marchands neutres est une nécessité pour les belligérants; d'autre part, que l'affranchissement de la visite des bâtiments de la marine commerciale neutre, naviguant sous l'escorte d'un bâtiment de guerre de leur nation, n'est point, selon ce jurisconsulte, un principe positif du droit maritime des nations, mais un principe du droit conventionnel entre les Puissances qui l'ont inscrit dans leurs traités publics, lequel lie uniquement l'une envers l'autre, les deux Puissances signataires de l'acte diplomatique qui a consacré ce principe pour la durée du traité.

Dans la réplique qu'il adressa, le 19 avril 1800, à M. Merry, envoyé britannique à Copenhague, chargé de lui faire connaître les conclusions prises par Sir William Scott, le comte de Bernstorff reconnut le droit des belligérants de visiter les bâtiments neutres non-escortés ; « mais ce droit », disait-il, « n'étant pas un droit naturel, mais uniquement conventionnel, l'on ne saurait, sans injustice ou sans violence, en étendre arbitrairement l'effet au-delà de ce qui a été convenu ou de ce qui est consacré par l'usage. Or, aucune Puissance maritime n'avait encore reconnu aux belligérants le droit de visiter les navires neutres escortés. La distinction à faire entre les navires escortés et les navires nonescortés était d'ailleurs aussi juste que naturelle ; la visite exercée par les belligérants sur les bâtiments neutres a pour but de constater leur neutralité et la régularité de leurs expéditions. C'est par conséquent l'autorité du gouvernement au nom duquel ces expéditions ont été faites, qui procure à la Puissance belligérante la sûreté requise; mais le gouvernement neutre en faisant escorter les bâtiments de commerce par ses vaisseaux de guerre, ne fournit-il pas une garantie tout aussi authentique, tout aussi positive, que celle que présentent les papiers de bord ? Aucun doute, aucuns soupçons ne sauraient être élevés à cet égard; ils

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seraient aussi injurieux pour le gouvernement qui en serait l'objet, qu'injustes de la part de ceux qui les concevraient et les manifesteraient....... Si l'on voulait admettre le principe que le convoi du souverain qui l'accorde ne garantit pas les navires de ses sujets de la visite des vaisseaux armés, il en résulterait que l'escadre la plus formidable n'aurait pas le droit de soustraire les bâtiments confiés à sa protection au contrôle du plus chétif corsaire ...... etc. etc. »

Il ne fut pas donné suite à l'affaire de la Huufersen; celle de la Freya souleva de nouvelles plaintes et fit naître de nouvelles négociations; nous avons déjà dit qu'à la demande de satisfaction présentée par le Danemarck, le cabinet britannique répondit que c'était bien plutôt la cour de Londres qui était en droit de réclamer une réparation, à l'occasion d'une agression délibérée par laquelle la vie de ses marins avait été sacrifiée, et l'honneur du pavillon britannique avait été insulté presqu'à la vue des côtes d'Angleterre.

En exposant cette singulière prétention, Lord Grenville annonçait au ministère danois qu'il avait chargé Lord Whitworth d'une mission spéciale pour la cour de Copenhague, et que pour donner un plus grand poids aux représentations que ce diplomate aurait à faire à S. M. danoise, et pour ouvrir la voie à des explications qui pussent détourner la nécessité d'en venir à des extrémités dont le roi de la Grande-Bretagne envisageait la perspective avec répugnance, une escadre accompagnerait Lord Whitworth jusqu'en Danemarck. 1)

L'escadre de seize vaisseaux, chargée de donner par sa présence, plus de poids aux représentations de Lord Whitworth, arriva au Sund; les négociations furent renouées. Lord Charles Whitworth renouvela les objections et les doctrines déjà présentées par le cabinet anglais : « Tout vaisseau neutre qui s'oppose <«< à la visite des croiseurs belligérants, est de bonne prise.» Le comte de Bernstorff soutint de son côté le droit qu'avait eu le capitaine Krabe de résister; mais alors même, disait-il, que cet officier eût outre passé ses instructions, et que pour ce motif le cabinet britannique se croirait en droit de réclamer une réparation, cette réparation en aucun cas ne saurait avoir lieu aussi longtemps que la frégate la Freya et son convoi seraient retenus en Angleterre.

Dans les circonstances difficiles où se trouvait le Danemarck, en présence d'une flotte anglaise prête à bombarder la ville de Copenhague (que l'état de ses fortifications ne mettait pas en mesure de se défendre), le comte de Bernstorff se vit contraint

1) Quelle raillerie!...... Et toujours l'abus de la force!

par la nécessité de céder; il signa, le 29 août 1800, une convention préalable par laquelle il fut convenu, d'une part, que la frégate la Freya et son convoi seraient relâchés; d'autre part, que la question du droit pour les belligérants de visiter les bâtiments de commerce neutres voyageant sous convoi militaire, serait renvoyée à une discussion ultérieure, et que jusque-là S. M. le roi de Danemarck s'engageait à suspendre ses convois.

Après les notes énergiques et fondées en raison du comte de Bernstorff, on ne pouvait guères s'attendre, en Europe, à un semblable dénouement. Mais on ne saurait blâmer cependant ce ministre honnête-homme, dévoué à son pays, esprit sage, loyal, homme d'État habile et consciencieux, digne fils en tout point du ministre célèbre auquel il avait succédé dans la direction des affaires politiques extérieures de son souverain; tout ce que l'on connait de la haute capacité du comte Christian de Bernstorff, de ses talents, de la droiture de son caractère, est le garant le plus sûr qu'en agissant comme il l'a fait, s'il semble avoir fléchi, c'est que l'intérêt de son pays, aux prises avec les difficultés des événements politiques qui agitaient l'Europe et livraient en quelque sorte le Danemarck à ses seules forces, voulait impérieusement qu'il n'opposât pas une plus longue résistance. Pouvait-il compter sur l'appui de la Russie qui, depuis le commencement de la guerre de la révolution française, avait abandonné les principes protecteurs des droits des neutres, proclamés en 1780? Les arguments les mieux fondés en raison, en équité, en justice pouvaient-ils lutter longtemps contre les représentations de l'envoyé anglais, appuyées de la présence d'une flotte de seize vaisseaux de guerre, chargés, selon l'expression de Lord Grenville, de donner plus de poids à ses représentations? Sous la pression de la force, le Danemarck consentit à suspendre ses convois sans renoncer au principe!

Mais, par une singulière coïncidence de temps, c'est au moment même où le Danemarck, se croyant abandonné à ses seules forces et pouvant douter de l'assistance de la Russie, se décidait à signer la convention du 29 août 1800, que l'empereur de Russie, irrité au plus haut degré de l'arrivée d'une flotte anglaise dans le Sund, dressait, sous la date du 27 du même mois, une déclaration par laquelle il invitait la Suède, la Prusse et le Danemarck, à concluré une convention pour le rétablissement des droits des neutres et de la neutralité armée de 1780. (Voir chap. XXIII.)

Dans les chapitres XXIV et XXV, nous dirons, d'une part, quelles furent pour la Russie, la Suède et le Danemarck, les

conséquences du rétablissement de la neutralité armée; et, d'autre part, comment ces Puissances ne tardèrent pas à abandonner, par le traité du 17 juin 1801, entre la Grande-Bretagne et la Russie, auquel la Suède et le Danemarck donnèrent leur adhésion, des principes qu'elles avaient consacrés par des traités antérieurs, notamment, en ce qui touche le respect dû au convoi maritime sous pavillon militaire, dont la doctrine eût à subir, par le traité de 1804, une modification déplorable; ce traité serait encore invoqué par la Grande-Bretagne, sans aucun doute, en cas de guerre maritime. L'art. VIII lui en donne le droit.

Le traité du 17 juin 1801 réserve aux seuls bâtiments de guerre le droit de visiter les bâtiments marchands naviguant sous l'escorte d'un bâtiment portant le pavillon militaire. Du moment que le convoi du souverain ne garantit pas absolument complètement, entre les Puissances signataires, les navires de leurs sujets de la visite en mer, il peut se présenter quelque jour que l'escadre la plus formidable, selon l'expression du comte de Bernstorff, n'aura pas le droit de soustraire les bâtiments confiés à sa protection, au contrôle du plus chétif brick de guerre, du plus chétif cutter armé, portant le pavillon de la marine militaire de l'État. C'est tout simplement absurde; qu'on nous pardonne de le Idire aussi franchement.

CHAPITRE XXIII.

DEUXIÈME NEUTRALITÉ ARMÉE. (1800.)

(CINQUIÈME PHASE. )

Abandon par les Puissances du Nord des principes consacrés en 1780; Retour à ces principes en 1800.

La guerre survenue entre la France et la Grande-Bretagne, à la suite de la révolution qui précipita Louis XVI du trône et qui trouva des juges pour envoyer à la mort le souverain le plus homme de bien qui ait jamais existé, avait amené l'abandon des sages principes proclamés en 1780, par les Puissances du Nord,

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