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Il disoit « que c'étoit le lieu où il se plaisoit le plus » après son diocèse. » Il assistoit à tous les exercices de la communauté. Il étoit le premier levé pour les matines pendant les huit jours que duroit ordinairement son voyage de la Trappe. Il montra la même assiduité jusqu'à l'âge de soixante-neuf ans, quoiqu'il joignît à ses veilles toute l'austérité de la vie d'un religieux; ce ne fut qu'à l'un de ses derniers voyages qu'il se permit de faire usage d'un peu de yin. « (a) Il trouvoit un charme particulier dans les >> manières dont on y célébroit l'office divin. Le >> chant des Psaumes, qui venoit seul troubler le » silence de cette vaste solitude, les longues pauses » des Complies, les sons doux, tendres et perçans » du Salve Regina lui inspiroient une sorte de mé» lancolie religieuse. »

L'abbé de Rancé admiroit encore plus Bossuet en le voyant assister à tous les offices du jour et de la nuit, s'asseoir à la même table, et se mêler à tous les exercices des religieux, Un si grand exemple étoit fait pour animer leur courage; et sa réforme recevoit une nouvelle approbation de l'autorité d'un tel évêque. Avant Vêpres, on prenoit un peu l'air à la promenade sur l'étang, ou dans les bois qui environnoient ce désert. Alors Bossuet et l'abbé de Rancé se séparoient du groupe des religieux, pour

fut pendant ce voyage qu'il composa l'Avertissement de son Catéchisme, daté de Meaux du 6 octobre 1686; le quatrième en 1687 avec l'abbé Fleury et l'évêque de Mirepoix; le cinquième en 1689; le sixième en 1690, le septième en 1691 avec l'ancien évêque de Troyes (Bouthillier); et le huitième en 1696 avec l'abbé de Langle, depuis évêque de Boulogne.

(a) Mts. de Ledieu.

s'entretenir ensemble: spectacle fait pour offrir un vaste sujet de méditation à ceux qui en étoient témoins, en pensant que l'un de ces deux hommes s'étoit arraché à l'ivresse des plaisirs, et avoit renoncé à toutes les faveurs de la fortune pour habiter les tombeaux; et que l'autre, enlevé à la retraite où il avoit vécu jusqu'à quarante-trois ans, se trouvoit jeté au milieu des Cours.

L'abbé de Rancé regardoit les voyages de Bossuet à la Trappe comme de véritables grâces de la Providence. Au mois d'août 1699, se croyant près de sa fin, il disoit à l'abbé de Saint-André, depuis grand-vicaire de Meaux : « Je mourrai content, si » je puis le voir ici encore une fois, et recevoir sa » sainte bénédiction (1). »

III. De l'ouvrage de l'abbé de Rancé.

Au moment où l'assemblée de 1682 venoit de se séparer, le hasard fit tomber entre les mains de Bossuet le manuscrit d'un ouvrage de l'abbé de la Trappe sur la sainteté et les devoirs de la vie monastique. L'abbé de Rancé s'y étoit uniquement proposé l'instruction des religieux de son monastère. Mais Bossuet jugea que le mérite d'un tel ouvrage ne devoit pas être renfermé dans l'enceinte d'un cloître entièrement séparé du monde; il crut qu'il pouvoit et qu'il devoit servir à l'édification de toute l'Eglise. Il écrivit à l'abbé de la Trappe « qu'il exigeoit absolument qu'il le rendît public, » et qu'il se chargeoit lui-même de le faire impri» mer; qu'au surplus il seroit inutile qu'il s'y op

(1) L'abbé de Rance ne mourut que l'année suivante (le 27 octobre 1700), âgé de soixante-seize ans.

posât, parce qu'il en avoit une copie à lui, dont -> il répondoit. >>

כן

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L'abbé de Rancé paroît avoir opposé une résistance sincère aux premières instances de Bossuet; il ne céda qu'à regret et par un sentiment de déférence au vœu d'un juge si éclairé en matière de religion. Ce fut en effet Bossuet qui présida lui-même à tous les détails de l'impression; et l'on voit par sa correspondance qu'il eut des préventions à combattre et des oppositions à vaincre, avant même que l'ouvrage fût devenu public.

« (a) Hier j'entretins amplement M. l'archevêque » de Paris de la commission que vous m'aviez donnée » pour lui. Je lui dis que j'avois lu le livre sans votre » participation, et que j'avois cru absolument né>> cessaire de l'imprimer, tant pour le bien qu'il » pouvoit faire à l'Eglise et à tout l'ordre monas» tique, que pour éviter les impressions qui s'en > seroient pu faire malgré vous. Par là il entendit » la raison par laquelle vous n'aviez pas pu le lui » communiquer. Cela se passa bien. Je lui ajoutai » que vous parliez avec toute la force possible de » la perfection de votre état retiré et solitaire, mais » avec toutes les précautions nécessaires pour les mi»tigations autorisées par l'Eglise, et pour les ordres

qu'elle destinoit à d'autres emplois. Tout cela se » passa bien; il reçut parfaitement toutes les honnê» tetés que je lui fis de votre part, et écouta avec joie ce que je lui dis sur les marques, non-seu» lement de respect, mais encore de l'attachement » et de tendresse que je vous avois vus pour lui. »

>>

(a) Lettre de Bossuet à l'abbé de Rancé, du 6 février 1683; OEuvres de Bossuet, tom. xxxvu, p. 277, édit. de Vers. in-8°.

Bossuet voulut même donner une espèce d'autorité à l'ouvrage, et le prémunir contre les attaques qui sembloient le menacer, en y attachant son approbation et celles de l'archevêque de Rheims et de l'évêque de Grenoble, depuis le cardinal le Camus. Mais quelque imposant que fût pareil témoignage, le traité de la Sainteté et des Devoirs de la vie monastique excita une discussion assez vive entre le savant Mabillon et l'abbé de la Trappe. Mabillon crut trouver dans l'interdiction que l'abbé de Rancé prononçoit contre les religieux qui se livroient à l'étude des sciences, une espèce de censure contre la congrégation dont il étoit membre, et qui a élevé tant de monumens utiles à la religion et aux lettres.

Cette différence d'opinion entre deux religieux qui se rapprochoient plus dans leur amour pour la religion et l'Eglise, qu'ils n'avoient de conformité dans le caractère et dans le goût des mêmes études, produisit plusieurs écrits, où peut-être l'on mit des deux côtés un excès de chaleur (1). Il eût été facile de prévenir dès l'origine une discussion sans objet et sans utilité, si l'on eût voulut observer avec Bossuet la sage distinction qu'il établit entre l'état solitaire et retiré auquel l'abbé de Rancé s'étoit voué, et qui étoit le seul pour lequel il avoit rédigé ses intructions, et les ordres religieux que l'Eglise a destinés à d'autres emplois. Peut-être l'abbé de la Trappe avoit-il trop négligé d'exprimer cette distinction; et Mabillon avoit pu se croire justement fondé à

(1) Dom Thuilier, ami et confrère de Mabillon, en écrivant l'histoire de cette contestation, suppose tous les torts du côté de l'abbé de Rance'; et dom Gervaisé, ami et confrère de l'abbé de la Trappe, a prétendu montrer que son adversaire n'en avoit pas été entièrement exempt.

réclamer contre une opinion qui empruntoit une grande autorité du nom et des vertus du réformateur de la Trappe, et pouvoit jeter une espèce de défaveur sur tout l'ordre de Saint-Benoît.

IV. Lettre de Bossuet sur l'adoration de la Croix.

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Ce fut dans un de ses voyages à la Trappe, que Bossuet eut occasion de voir le frère Armand, nouveau Catholique. C'étoit un gentilhomme français, réfugié en Hollande, où il s'étoit attaché au service du prince d'Orange. La lecture de quelques ouvrages de Bossuet avoit commencé par lui donner des doutes, et finit par le disposer à goûter sa doctrine. H revint en France, fit abjuration, se retira à la Trappe, et fut admis à faire des vœux, après que sa vocation eut été long-temps éprouvée. L'abbé de Rancé s'étoit singulièrement attaché à ce nouveau prosélyte, qui avoit beaucoup d'esprit, et qui avoit fait de grands sacrifices pour se réunir à la religion catholique. Il voulut même lui donner un témoignage de son affection paternelle, en lui faisant prendre le nom d'Armand (1), à l'époque où il émit ses vœux solennels. L'abbé de Rancé le fit connoître à Bossuet, et l'autorisa à s'entretenir avec ce prélat sur des matières de religion. Il obtint ensuite permission de lui écrire, et de lui proposer ses doutes; c'est ce qui donna lieu à une réponse que Bossuet lui fit de Versailles le 17 mars 1691, et qui a été publiée sous le titre de Lettre de monsieur l'évêque de Meaux, sur l'adoration de la Croix (a); elle fut imprimée en 1692.

(a) OEuvres de Bossuet, tom. xxv, p. 53, édit. de Vers. in-8°.

(1) Armand étoit le prénom de l'abbé de Rance.

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